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« L’expiation va pour moi au delà de la vérité... »

Je ne croyais pourtant pas faire une mauvaise action, monsieur l’avocat impérial, en lisant ces pages à mes filles qui sont mariées, honnêtes filles qui ont reçu de bons exemples, de bonnes leçons, et que jamais, jamais on n’a mises, par une indiscrétion, hors de la voie la plus étroite, hors des choses qui peuvent et doivent être entendues... Il m’est impossible de continuer cette lecture, je m’en tiendrai rigoureusement aux passages incriminés :

« Les bras étendus et à mesure que le râle devenait plus fort (Charles était de l’autre côté, cet homme que vous ne voyez jamais, et qui est admirable), et à mesure que le râle devenait plus fort, l’ecclésiastique précipitait ses oraisons ; elles se mêlaient aux sanglots étouffés de Bovary, 882

et quelquefois tout semblait disparaître dans le sourd murmure des syllabes latines, qui tintaient comme un glas de cloche.

« Tout à coup on entendit sur le trottoir un bruit de gros sabots, avec le frôlement d’un bâton ; et une voix s’éleva, une voix rauque qui chantait :

« Souvent la chaleur d’un beau jour

« Fait rêver fillette à l’amour.

« Elle se releva comme un cadavre que l’on

galvanise, les cheveux dénoués, la prunelle fixe, béante.

« Pour amasser diligemment

« Les épis que la faux moissonne,

« Ma Nanette va s’inclinant

« Vers le sillon qui nous les donne.

« – L’aveugle ! s’écria-t-elle.

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Et Emma se mit à rire, d’un rire atroce, frénétique, désespéré, croyant voir la face hideuse du misérable qui se dressait dans les ténèbres éternelles comme un épouvantement.

« Il souffla bien fort ce jour-là,

« Et le jupon court s’envola !

« Une convulsion la rabattit sur le matelas.

Tous s’approchèrent. Elle n’existait plus. »

Voyez, messieurs, dans ce moment suprême,

le rappel de sa faute, le remords, avec tout ce qu’il a de poignant et d’affreux. Ce n’est pas une fantaisie d’artiste voulant seulement faire un contraste sans utilité, sans moralité, c’est l’aveugle qu’elle entend dans la rue chantant cette affreuse chanson, qu’il chantait quand elle revenait toute suante, toute hideuse des rendez-vous de l’adultère ; c’est l’aveugle qu’elle voyait à chacun de ces rendez-vous : c’est cet aveugle qui la poursuivait de son chant, de son importunité ; c’est lui qui, au moment où la 884

miséricorde divine est là, vient personnifier la rage humaine qui la poursuit à l’instant suprême de la mort ! Et on appelle cela un outrage à la morale publique ! Mais je puis dire, au contraire, que c’est là un hommage à la morale publique, qu’il n’y a rien de plus moral que cela ; je puis dire que, dans ce livre, le vice de l’éducation est animé, qu’il est pris dans le vrai, dans la chair vivante de notre société, qu’à chaque trait l’auteur nous pose cette question : « As-tu fait ce que tu devais pour l’éducation de tes filles ? La religion que tu leur as donnée, est-elle celle qui peut les soutenir dans les orages de la vie, ou n’est-elle qu’un amas de superstitions charnelles, qui laissent sans appui quand la tempête gronde ?

Leur as-tu enseigné que la vie n’est pas la réalisation de rêves chimériques, que c’est quelque chose de prosaïque dont il faut s’accommoder ? Leur as-tu enseigné cela, toi ?

As-tu fait ce que tu devais pour leur bonheur ?

Leur as-tu dit : Pauvres enfants, hors de la route que je vous indique, dans les plaisirs que vous poursuivez, vous n’avez que le dégoût qui vous attend, l’abandon de la maison, le trouble, le 885

désordre, la dilapidation, les convulsions, la saisie... » Et vous voyez si quelque chose manque au tableau, l’huissier est là, là aussi est le juif qui a vendu pour satisfaire les caprices de cette femme, les meubles sont saisis, la vente va avoir lieu ; et le mari ignore tout encore. Il ne reste plus à la malheureuse qu’à mourir !

Mais, dit le ministère public, sa mort est volontaire, cette femme meurt à son heure.

Est-ce qu’elle pouvait vivre ? Est-ce qu’elle n’était pas condamnée ? Est-ce qu’elle n’avait pas épuisé le dernier degré de la honte et de la bassesse ?

Oui, sur nos scènes, on montre les femmes qui ont dévié, gracieuses, souriantes, heureuses, et je ne veux pas dire ce qu’elles ont fait. Questum corpore jecerant. Je me borne à dire ceci. Quand on nous les montre heureuses, charmantes, enveloppées de mousseline, présentant une main gracieuse à des comtes, à des marquis, à des ducs, que souvent elles répondent elles-mêmes au nom de marquises ou de duchesses : voilà ce que vous appelez respecter la morale publique. Et celui qui 886

vous présente la femme adultère mourant honteusement, celui-là commet un outrage à la morale publique !

Tenez, je ne veux pas dire que ce n’est pas

votre pensée que vous avez exprimée, puisque vous l’avez exprimée, mais vous avez cédé à une grande préoccupation. Non, ce n’est pas vous, le mari, le père de famille, l’homme qui est là, ce n’est pas vous, ce n’est pas possible ; ce n’est pas vous qui, sans la préoccupation du réquisitoire et d’une idée préconçue, seriez venu dire que M.

Flaubert est l’auteur d’un mauvais livre ! Oui, abandonné à vos inspirations, votre appréciation serait la même que la mienne, je ne parle pas du point de vue littéraire, nous ne pouvons pas différer vous et moi à cet égard, mais au point de vue de la morale et du sentiment religieux tel que vous l’entendez, tel que je l’entends.

On nous a dit encore que nous avions mis en

scène un curé matérialiste. Nous avons pris le curé, comme nous avons pris le mari. Ce n’est pas un ecclésiastique éminent, c’est un ecclésiastique ordinaire, un curé de campagne. Et 887

de même que nous n’avons insulté personne, que nous n’avons exprimé aucun sentiment, aucune pensée qui pût être injurieuse pour le mari, nous n’avons pas davantage insulté l’ecclésiastique qui était là. Je n’ai qu’un mot à dire là-dessus.

Voulez-vous des livres dans lesquels les ecclésiastiques jouent un rôle déplorable ? Prenez Gil-Blas, le Chanoine, de Balzac ; Notre-Dame de Paris, de Victor Hugo. Si vous voulez des prêtres qui soient la honte du clergé, prenez-les ailleurs, vous ne les trouveriez pas dansMadame

Bovary. Qu’est-ce que j’ai montré, moi ? Un curé de campagne qui est dans ses fonctions de curé de campagne ce qu’est M. Bovary, un homme ordinaire. L’ai-je représenté libertin, gourmand, ivrogne ? Je n’ai pas dit un mot de cela. Je l’ai représenté remplissant son ministère, non pas avec une intelligence élevée, mais comme sa nature l’appelait à le remplir. J’ai mis en contact avec lui et en état de discussions presque perpétuelles un type qui vivra – comme a vécu la création de M. Prudhomme – comme vivront quelques autres créations de notre temps, tellement étudiées et prises sur le vrai, qu’il n’y a 888

pas possibilité qu’on les oublie ; c’est le pharmacien de campagne, le voltairien, le sceptique, l’incrédule, l’homme qui est en querelle perpétuelle avec le curé. Mais dans ces querelles avec le curé, qui est-ce qui est continuellement battu, bafoué, ridiculisé ? C’est Homais, c’est lui à qui on a donné le rôle le plus comique parce qu’il est le plus vrai, celui qui peint le mieux notre époque sceptique, un enragé, ce qu’on appelle le prêtrophobe. Permettez-moi encore de vous lire la page 2061. C’est la bonne femme de l’auberge qui offre quelque chose à son curé :

« – Qu’y a-t-il pour votre service, monsieur le curé ? demanda la maîtresse d’auberge tout en atteignant sur la cheminée un des flambeaux de cuivre qui s’y trouvaient rangés en colonnade avec leurs chandelles. Voulez-vous prendre quelque chose ? Un doigt de cassis, un verre de vin ?

« L’ecclésiastique refusa fort civilement. Il venait chercher son parapluie qu’il avait oublié 1 Page 128.

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l’autre jour au couvent d’Ernemont, et, après avoir prié madame Lefrançois de le lui faire remettre au presbytère dans la soirée, il sortit pour se rendre à l’église où l’on sonnait l’ Angélus.

« Quand le pharmacien n’entendit plus sur la place le bruit de ses souliers, il trouva fort inconvenant sa conduite de tout à l’heure. Ce refus d’accepter un rafraîchissement lui semblait une hypocrisie des plus odieuses ; les prêtres godaillaient tous sans qu’on les vît et cherchaient à ramener le temps de la dîme.

« L’hôtesse prit la défense de son curé :

« – D’ailleurs, il en plierait quatre comme vous sur son genou. Il a, l’année dernière, aidé nos gens à rentrer la paille ; il en portait jusqu’à six bottes à la fois, tant il est fort !

« – Bravo ! fit le pharmacien. Envoyez donc

vos filles à confesse à des gaillards d’un tempérament pareil ! Moi, si j’étais le gouvernement, je voudrais qu’on saignât les prêtres une fois par mois. Oui, madame Lefrançois, tous les mois une large phlébotomie, 890

dans l’intérêt de la police et des mœurs !

Are sens