vous présente la femme adultère mourant honteusement, celui-là commet un outrage à la morale publique !
Tenez, je ne veux pas dire que ce n’est pas
votre pensée que vous avez exprimée, puisque vous l’avez exprimée, mais vous avez cédé à une grande préoccupation. Non, ce n’est pas vous, le mari, le père de famille, l’homme qui est là, ce n’est pas vous, ce n’est pas possible ; ce n’est pas vous qui, sans la préoccupation du réquisitoire et d’une idée préconçue, seriez venu dire que M.
Flaubert est l’auteur d’un mauvais livre ! Oui, abandonné à vos inspirations, votre appréciation serait la même que la mienne, je ne parle pas du point de vue littéraire, nous ne pouvons pas différer vous et moi à cet égard, mais au point de vue de la morale et du sentiment religieux tel que vous l’entendez, tel que je l’entends.
On nous a dit encore que nous avions mis en
scène un curé matérialiste. Nous avons pris le curé, comme nous avons pris le mari. Ce n’est pas un ecclésiastique éminent, c’est un ecclésiastique ordinaire, un curé de campagne. Et 887
de même que nous n’avons insulté personne, que nous n’avons exprimé aucun sentiment, aucune pensée qui pût être injurieuse pour le mari, nous n’avons pas davantage insulté l’ecclésiastique qui était là. Je n’ai qu’un mot à dire là-dessus.
Voulez-vous des livres dans lesquels les ecclésiastiques jouent un rôle déplorable ? Prenez Gil-Blas, le Chanoine, de Balzac ; Notre-Dame de Paris, de Victor Hugo. Si vous voulez des prêtres qui soient la honte du clergé, prenez-les ailleurs, vous ne les trouveriez pas dansMadame
Bovary. Qu’est-ce que j’ai montré, moi ? Un curé de campagne qui est dans ses fonctions de curé de campagne ce qu’est M. Bovary, un homme ordinaire. L’ai-je représenté libertin, gourmand, ivrogne ? Je n’ai pas dit un mot de cela. Je l’ai représenté remplissant son ministère, non pas avec une intelligence élevée, mais comme sa nature l’appelait à le remplir. J’ai mis en contact avec lui et en état de discussions presque perpétuelles un type qui vivra – comme a vécu la création de M. Prudhomme – comme vivront quelques autres créations de notre temps, tellement étudiées et prises sur le vrai, qu’il n’y a 888
pas possibilité qu’on les oublie ; c’est le pharmacien de campagne, le voltairien, le sceptique, l’incrédule, l’homme qui est en querelle perpétuelle avec le curé. Mais dans ces querelles avec le curé, qui est-ce qui est continuellement battu, bafoué, ridiculisé ? C’est Homais, c’est lui à qui on a donné le rôle le plus comique parce qu’il est le plus vrai, celui qui peint le mieux notre époque sceptique, un enragé, ce qu’on appelle le prêtrophobe. Permettez-moi encore de vous lire la page 2061. C’est la bonne femme de l’auberge qui offre quelque chose à son curé :
« – Qu’y a-t-il pour votre service, monsieur le curé ? demanda la maîtresse d’auberge tout en atteignant sur la cheminée un des flambeaux de cuivre qui s’y trouvaient rangés en colonnade avec leurs chandelles. Voulez-vous prendre quelque chose ? Un doigt de cassis, un verre de vin ?
« L’ecclésiastique refusa fort civilement. Il venait chercher son parapluie qu’il avait oublié 1 Page 128.
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l’autre jour au couvent d’Ernemont, et, après avoir prié madame Lefrançois de le lui faire remettre au presbytère dans la soirée, il sortit pour se rendre à l’église où l’on sonnait l’ Angélus.
« Quand le pharmacien n’entendit plus sur la place le bruit de ses souliers, il trouva fort inconvenant sa conduite de tout à l’heure. Ce refus d’accepter un rafraîchissement lui semblait une hypocrisie des plus odieuses ; les prêtres godaillaient tous sans qu’on les vît et cherchaient à ramener le temps de la dîme.
« L’hôtesse prit la défense de son curé :
« – D’ailleurs, il en plierait quatre comme vous sur son genou. Il a, l’année dernière, aidé nos gens à rentrer la paille ; il en portait jusqu’à six bottes à la fois, tant il est fort !
« – Bravo ! fit le pharmacien. Envoyez donc
vos filles à confesse à des gaillards d’un tempérament pareil ! Moi, si j’étais le gouvernement, je voudrais qu’on saignât les prêtres une fois par mois. Oui, madame Lefrançois, tous les mois une large phlébotomie, 890
dans l’intérêt de la police et des mœurs !
« – Taisez-vous donc, monsieur Homais, vous
êtes un impie, vous n’avez pas de religion !
« Le pharmacien répondit :
« – J’ai une religion, ma religion, et même j’en ai plus qu’eux tous avec leurs momeries et leurs jongleries. J’adore Dieu, au contraire ! Je crois en l’Être suprême, à un créateur quel qu’il soit, peu m’importe, qui nous a placés ici-bas pour y remplir nos devoirs de citoyen et de père de famille ; mais je n’ai pas besoin d’aller dans une église baiser des plats d’argent et engraisser de ma poche un tas de farceurs qui se nourrissent mieux que nous. Car on peut l’honorer aussi bien dans un bois, dans un champ, ou même en contemplant la voûte éthérée, comme les anciens.
Mon Dieu, à moi, c’est le Dieu de Socrate, de Franklin, de Voltaire et de Béranger ! Je suis pour la Profession de foi du vicaire savoyard et les immortels principes de 89 ! Aussi je n’admets pas un bonhomme de Bon-Dieu qui se promène dans
son parterre la canne à la main, loge ses amis dans le ventre des baleines, meurt en poussant un 891
cri et ressuscite au bout de trois jours – choses absurdes en elles-mêmes et complètement opposées, d’ailleurs, à toutes les lois de la physique, ce qui nous démontre, en passant, que les prêtres ont toujours croupi dans une ignorance turpide, où ils s’efforcent d’engloutir avec eux les populations.
« Il se tut, cherchant des yeux un public autour de lui, car, dans son effervescence, le pharmacien, un moment, s’était cru en plein conseil municipal. Mais la maîtresse d’auberge ne l’écoutait plus. »
Qu’est-ce qu’il y a là ? Un dialogue, une scène, comme il y en avait chaque fois que Homais avait occasion de parler des prêtres.
Maintenant il y a quelque chose de mieux dans le dernier passage, page 2711 :
« Mais l’attention publique fut distraite par l’apparition de M. Bournisien, qui passait sous les halles avec les saintes huiles.
« Homais, comme il le devait à ses principes, 1 Page 535.
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compara les prêtres à des corbeaux qu’attire l’odeur des morts ; la vue d’un ecclésiastique lui était personnellement désagréable, car la soutane le faisait rêver au linceul, et il exécrait l’une un peu par épouvante de l’autre. »
Notre vieil ami, celui qui nous a prêté le catéchisme, était fort heureux de ce passage ; il nous disait : C’est d’une vérité frappante ; c’est bien le portrait du prêtrophobe que « la soutane fait rêver au linceul et qui exècre l’une un peu par épouvante de l’autre ». C’était un impie, et il exécrait la soutane, un peu par impiété peut-être, mais beaucoup plus parce qu’elle le faisait rêver au linceul.
Permettez-moi de résumer tout ceci.
Je défends un homme qui, s’il avait rencontré une critique littéraire sur la forme de son livre, sur quelques expressions sur trop de détails, sur un point ou sur un autre, aurait accepté cette critique littéraire du meilleur cœur du monde.
Mais se voir accusé d’outrage à la morale et à la religion ! M. Flaubert n’en revient pas ; et il proteste ici devant vous avec tout l’étonnement et 893
toute l’énergie dont il est capable contre une telle accusation.
Vous n’êtes pas de ceux qui condamnent des