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Mais quand la planche aux vaches était levée, il fallait suivre les murs qui longeaient la rivière.

La berge était glissante ; elle s’accrochait de la main, pour ne pas tomber, aux bouquets de ravenelles flétries. Puis elle prenait à travers des champs en labour, où elle enfonçait, trébuchait et empêtrait ses bottines minces. Son foulard, noué sur sa tête, s’agitait au vent dans les herbages ; elle avait peur des bœufs, elle se mettait à courir ; elle arrivait essoufflée, les joues roses, et exhalant de toute sa personne un frais parfum de sève, de verdure et de grand air. Rodolphe, à cette heure-là, dormait encore. C’était comme une matinée de printemps qui entrait dans sa chambre.

Les rideaux jaunes, le long des fenêtres, laissaient passer doucement une lourde lumière blonde. Emma tâtonnait en clignant des yeux, 337

tandis que les gouttes de rosée suspendues à ses bandeaux faisaient comme une auréole de topazes tout autour de sa figure. Rodolphe, en riant, l’attirait à lui et il la prenait sur son cœur.

Ensuite, elle examinait l’appartement, elle ouvrait les tiroirs des meubles, elle se peignait avec son peigne et se regardait dans le miroir à barbe. Souvent même, elle mettait entre ses dents le tuyau d’une grosse pipe qui était sur la table de nuit, parmi des citrons et des morceaux de sucre, près d’une carafe d’eau. Il leur fallait un bon quart d’heure pour les adieux. Alors Emma pleurait ; elle aurait voulu ne jamais abandonner Rodolphe. Quelque chose de plus fort qu’elle la poussait vers lui, si bien qu’un jour, la voyant survenir à l’improviste, il fronça le visage comme quelqu’un de contrarié.

– Qu’as-tu donc ? dit-elle. Souffres-tu ? Parle-moi !

Enfin il déclara, d’un air sérieux, que ses visites devenaient imprudentes et qu’elle se compromettait.

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X

Peu à peu, ces craintes de Rodolphe la gagnèrent. L’amour l’avait enivrée d’abord, et elle n’avait songé à rien au delà. Mais, à présent qu’il était indispensable à sa vie, elle craignait d’en perdre quelque chose, ou même qu’il ne fût troublé. Quand elle s’en revenait de chez lui, elle jetait tout alentour des regards inquiets, épiant chaque forme qui passait à l’horizon et chaque lucarne du village d’où l’on pouvait l’apercevoir.

Elle écoutait les pas, les cris, le bruit des charrues ; et elle s’arrêtait plus blême et plus tremblante que les feuilles des peupliers qui se balançaient sur sa tête.

Un matin, qu’elle s’en retournait ainsi, elle crut distinguer tout à coup le long canon d’une carabine qui semblait la tenir en joue. Il dépassait obliquement le bord d’un petit tonneau, à demi enfoui entre les herbes, sur la marge d’un fossé.

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Emma, prête à défaillir de terreur, avança cependant, et un homme sortit du tonneau, comme ces diables à boudin qui se dressent du fond des boîtes. Il avait des guêtres bouclées jusqu’aux genoux, sa casquette enfoncée jusqu’aux yeux, les lèvres grelottantes et le nez rouge. C’était le capitaine Binet, à l’affût des canards sauvages.

– Vous auriez dû parler de loin ! s’écria-t-il.

Quand on aperçoit un fusil, il faut toujours avertir.

Le percepteur, par là, tâchait de dissimuler la crainte qu’il venait d’avoir, car, un arrêté préfectoral ayant interdit la chasse aux canards autrement qu’en bateau, M. Binet, malgré son respect pour les lois, se trouvait en contravention.

Aussi croyait-il à chaque minute entendre arriver le garde champêtre. Mais cette inquiétude irritait son plaisir, et, tout seul dans son tonneau, il s’applaudissait de son bonheur et de sa malice.

À la vue d’Emma, il parut soulagé d’un grand poids, et aussitôt, entamant la conversation :

– Il ne fait pas chaud ; ça pique !

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Emma ne répondit rien. Il poursuivit :

– Et vous voilà sortie de bien bonne heure ?

– Oui, dit-elle en balbutiant ; je viens de chez la nourrice où est mon enfant.

– Ah ! fort bien ! fort bien ! Quant à moi, tel que vous me voyez, dès la pointe du jour, je suis là ; mais le temps est si crassineux, qu’à moins d’avoir la plume juste au bout...

– Bonsoir, monsieur Binet, interrompit-elle en lui tournant les talons.

– Serviteur, madame, reprit-il d’un ton sec.

Et il rentra dans son tonneau.

Emma se repentit d’avoir quitté si brusquement le percepteur. Sans doute, il allait faire des conjectures défavorables. L’histoire de la nourrice était la pire excuse, tout le monde sachant bien à Yonville que la petite Bovary, depuis un an, était revenue chez ses parents.

D’ailleurs, personne n’habitait aux environs ; ce chemin ne conduisait qu’à la Huchette ; Binet donc avait deviné d’où elle venait, et il ne se tairait pas, il bavarderait, c’était certain ! Elle 341

resta jusqu’au soir à se torturer l’esprit dans tous les projets de mensonges imaginables, et ayant sans cesse devant les yeux cet imbécile à carnassière.

Charles, après le dîner, la voyant soucieuse, voulut, par distraction, la conduire chez le pharmacien ; et la première personne qu’elle aperçut dans la pharmacie, ce fut encore lui, le percepteur ! Il était debout devant le comptoir, éclairé par la lumière du bocal rouge, et il disait :

– Donnez-moi, je vous prie, une demi-once de vitriol.

– Justin, cria l’apothicaire, apporte-nous l’acide sulfurique.

Puis, à Emma, qui voulait monter dans l’appartement de madame Homais :

– Non, restez, ce n’est pas la peine, elle va descendre. Chauffez-vous au poêle en attendant...

Excusez-moi... Bonjour, docteur (car le pharmacien se plaisait beaucoup à prononcer ce mot docteur, comme si, en l’adressant à un autre, il eût fait rejaillir sur lui-même quelque chose de 342

la pompe qu’il y trouvait)... Mais prends garde de renverser les mortiers ! va plutôt chercher les chaises de la petite salle ; tu sais bien qu’on ne dérange pas les fauteuils du salon.

Et, pour remettre en place son fauteuil, Homais se précipitait hors du comptoir, quand Binet lui demanda une demi-once d’acide de sucre.

– Acide de sucre ? fit le pharmacien dédaigneusement. Je ne connais pas, j’ignore !

Vous voulez peut-être de l’acide oxalique ? C’est oxalique, n’est-il pas vrai ?

Binet expliqua qu’il avait besoin d’un mordant pour composer lui-même une eau de cuivre avec quoi dérouiller diverses garnitures de chasse.

Emma tressaillit. Le pharmacien se mit à dire :

– En effet, le temps n’est pas propice, à cause de l’humidité.

– Cependant, reprit le percepteur d’un air finaud, il y a des personnes qui s’en arrangent.

Elle étouffait.

– Donnez-moi encore...

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– Il ne s’en ira donc jamais ! pensait-elle.

– Une demi-once d’arcanson et de

Are sens