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– Cela est évident, répondit l’ingénieur. Ainsi donc, mes amis, puisque nous avons cette chance de rapatriement, attendons avec patience, et si elle nous est enlevée, nous verrons alors ce que nous devrons faire.

– En tout cas, dit Pencroff, il est bien entendu que si nous quittons l’île Lincoln d’une façon ou d’une autre, ce ne sera pas parce que nous nous y trouvons mal !

– Non, Pencroff, répondit l’ingénieur, ce sera parce que nous y sommes loin de tout ce qu’un homme doit chérir le plus au monde, sa famille, ses amis, son pays natal ! »

Les choses étant ainsi décidées, il ne fut plus question d’entreprendre la construction d’un navire assez grand pour s’aventurer, soit jusqu’aux archipels, dans le nord, soit jusqu’à la Nouvelle-Zélande, dans l’ouest, et on ne s’occupa que des travaux accoutumés en vue d’un troisième hivernage à Granite-House.

Toutefois, il fut aussi décidé que la chaloupe serait employée, avant les mauvais jours, à faire un voyage autour de l’île. La reconnaissance complète des côtes n’était pas terminée encore, et les colons n’avaient qu’une idée imparfaite du littoral à l’ouest et au nord, depuis l’embouchure de la rivière de la chute jusqu’aux caps mandibule, non plus que de l’étroite baie qui se creusait entre eux comme une mâchoire de requin.

Le projet de cette excursion fut mis en avant par Pencroff, et Cyrus Smith y donna pleine adhésion, car il voulait voir par lui-même toute cette portion de son domaine.

Le temps était variable alors, mais le baromètre n’oscillait pas par mouvements brusques, et l’on pouvait donc compter sur un temps maniable.

Précisément, pendant la première semaine d’avril, après une forte baisse barométrique, la reprise de la hausse fut signalée par un fort coup de vent d’ouest qui dura cinq à six jours ; puis, l’aiguille de l’instrument redevint stationnaire à une hauteur de vingt-neuf pouces et neuf dixièmes (759, 45 mm), et les circonstances parurent propices à l’exploration.

Le jour du départ fut fixé au 16 avril, et le Bonadventure, mouillé au port ballon, fut approvisionné pour un voyage qui pouvait avoir quelque durée.

Cyrus Smith prévint Ayrton de l’expédition projetée et lui proposa d’y prendre part ; mais, Ayrton ayant préféré rester à terre, il fut décidé qu’il viendrait à Granite-House pendant l’absence de ses compagnons. Maître Jup devait lui tenir compagnie et ne fit aucune récrimination.

Le 16 avril, au matin, tous les colons, accompagnés de Top, étaient embarqués. Le vent soufflait de la partie du sud-ouest, en belle brise, et le Bonadventure dut louvoyer en quittant le port ballon, afin de gagner le promontoire du reptile. Sur les quatre-vingt-dix milles que mesurait le périmètre de l’île, la côte sud en comptait une vingtaine depuis le port jusqu’au promontoire. De là, nécessité d’enlever ces vingt milles au plus près, car le vent était absolument debout.

Il ne fallut pas moins de la journée entière pour atteindre le promontoire, car l’embarcation, en quittant le port, ne trouva plus que deux heures de jusant et eut, au contraire, six heures de flot qu’il fut très difficile d’étaler. La nuit était donc venue, quand le promontoire fut doublé.

Pencroff proposa alors à l’ingénieur de continuer la route à petite vitesse, avec deux ris dans sa voile. Mais Cyrus Smith préféra mouiller à quelques encablures de terre, afin de revoir cette partie de la côte pendant le jour. Il fut même convenu que, puisqu’il s’agissait d’une exploration minutieuse du littoral de l’île, on ne naviguerait pas la nuit, et que, le soir venu, on jetterait l’ancre près de terre, tant que le temps le permettrait.

La nuit se passa donc au mouillage sous le promontoire, et le vent étant tombé avec la brume, le silence ne fut plus troublé. Les passagers, à l’exception du marin, dormirent peut-être un peu moins bien à bord du Bonadventure qu’ils n’eussent fait dans leurs chambres de Granite-House, mais enfin ils dormirent.

Le lendemain, 17 avril, Pencroff appareilla dès le point du jour, et, grand largue et bâbord amures, il put ranger de très près la côte occidentale.

Les colons connaissaient cette côte boisée, si magnifique, puisqu’ils en avaient déjà parcouru à pied la lisière, et pourtant elle excita encore toute leur admiration. Ils côtoyaient la terre d’aussi près que possible, en modérant leur vitesse, de manière à tout observer, prenant garde seulement de heurter quelques troncs d’arbres qui flottaient çà et là.

Plusieurs fois même, ils jetèrent l’ancre, et Gédéon Spilett prit des vues photographiques de ce superbe littoral.

Vers midi, le Bonadventure était arrivé à l’embouchure de la rivière de la chute. Au delà, sur la rive droite, les arbres reparaissaient, mais plus clairsemés, et, trois milles plus loin, ils ne formaient plus que des bouquets isolés entre les contreforts occidentaux du mont, dont l’aride échine se prolongeait jusqu’au littoral. Quel contraste entre la portion sud et la portion nord de cette côte ! Autant celle-là était boisée et verdoyante, autant l’autre était âpre et sauvage ! On eût dit une de ces « côtes de fer », comme on les appelle en certains pays, et sa contexture tourmentée semblait indiquer qu’une véritable cristallisation s’était brusquement produite dans le basalte encore bouillant des époques géologiques. Entassement d’un aspect terrible, qui eût épouvanté tout d’abord les colons, si le hasard les eût jetés sur cette partie de l’île ! Lorsqu’ils étaient au sommet du mont Franklin, ils n’avaient pu reconnaître l’aspect profondément sinistre de ce rivage, car ils le dominaient de trop haut ; mais, vu de la mer, ce littoral se présentait avec un caractère d’étrangeté, dont l’équivalent ne se rencontrait peut-être pas en aucun coin du monde.

Le Bonadventure passa devant cette côte, qu’il prolongea à la distance d’un demi-mille. Il fut facile de voir qu’elle se composait de blocs de toutes dimensions, depuis vingt pieds jusqu’à trois cents pieds de hauteur, et de toutes formes, cylindriques comme des tours, prismatiques comme des clochers, pyramidaux comme des obélisques, coniques comme des cheminées d’usine. Une banquise des mers glaciales n’eût pas été plus capricieusement dressée dans sa sublime horreur ! Ici, des ponts jetés d’un roc à l’autre ; là, des arceaux disposés comme ceux d’une nef, dont le regard ne pouvait découvrir la profondeur ; en un endroit, de larges excavations, dont les voûtes présentaient un aspect monumental ; en un autre, une véritable cohue de pointes, de pyramidions, de flèches comme aucune cathédrale gothique n’en a jamais compté. Tous les caprices de la nature, plus variés encore que ceux de l’imagination, dessinaient ce littoral grandiose, qui se prolongeait sur une longueur de huit à neuf milles.

Cyrus Smith et ses compagnons regardaient avec un sentiment de surprise qui touchait à la stupéfaction.

Mais, s’ils restaient muets, Top, lui, ne se gênait pas pour jeter des aboiements que répétaient les mille échos de la muraille basaltique. L’ingénieur observa même que ces aboiements avaient quelque chose de bizarre, comme ceux que le chien faisait entendre à l’orifice du puits de Granite-House.

« Accostons », dit-il.

Et le Bonadventure vint raser d’aussi près que possible les rochers du littoral. Peut-être existait-il là quelque grotte qu’il convenait d’explorer ? Mais Cyrus Smith ne vit rien, pas une caverne, pas une anfractuosité qui pût servir de retraite à un être quelconque, car le pied des roches baignait dans le ressac même des eaux. Bientôt les aboiements de Top cessèrent, et l’embarcation reprit sa distance à quelques encablures du littoral.

Dans la portion nord-ouest de l’île, le rivage redevint plat et sablonneux. Quelques rares arbres se profilaient au-dessus d’une terre basse et marécageuse, que les colons avaient déjà entrevue, et, par un contraste violent avec l’autre côte si déserte, la vie se manifestait alors par la présence de myriades d’oiseaux aquatiques.

Le soir, le Bonadventure mouilla dans un léger renfoncement du littoral, au nord de l’île, près de terre, tant les eaux étaient profondes en cet endroit.

La nuit se passa paisiblement, car la brise s’éteignit, pour ainsi dire, avec les dernières lueurs du jour, et elle ne reprit qu’avec les premières nuances de l’aube.

Comme il était facile d’accoster la terre, ce matin-là, les chasseurs attitrés de la colonie, c’est-à-dire Harbert et Gédéon Spilett, allèrent faire une promenade de deux heures et revinrent avec plusieurs chapelets de canards et de bécassines.

Top avait fait merveille, et pas un gibier n’avait été perdu, grâce à son zèle et à son adresse.

À huit heures du matin, le Bonadventure

Appareillait et filait très rapidement en s’élevant vers le cap mandibule-nord, car il avait vent arrière, et la brise tendait à fraîchir.

« Du reste, dit Pencroff, je ne serais pas étonné qu’il se préparât quelque coup de vent d’ouest. Hier, le soleil s’est couché sur un horizon très rouge, et voici, ce matin, des « queues de chat « qui ne présagent rien de bon. »

Ces queues de chat étaient des cirrus effilés, éparpillés au zénith, et dont la hauteur n’est jamais inférieure à cinq mille pieds au-dessus du niveau de la mer. On eût dit de légers morceaux de ouate, dont la présence annonce ordinairement quelque trouble prochain dans les éléments.

« Eh bien, dit Cyrus Smith, portons autant de toile que nous en pouvons porter, et allons chercher refuge dans le golfe du requin. Je pense que le Bonadventure y sera en sûreté.

– Parfaitement, répondit Pencroff, et, d’ailleurs, la côte nord n’est formée que de dunes peu intéressantes à considérer.

– Je ne serais pas fâché, ajouta l’ingénieur, de passer non seulement la nuit, mais encore la journée de demain dans cette baie, qui mérite d’être explorée avec soin.

– Je crois que nous y serons forcés, que nous le voulions ou non, répondit Pencroff, car l’horizon commence à devenir menaçant dans la partie de l’ouest. Voyez comme il s’encrasse !

– En tout cas, nous avons bon vent pour gagner le cap mandibule, fit observer le reporter.

– Très bon vent, répondit le marin ; mais pour entrer dans le golfe, il faudra louvoyer, et j’aimerais assez y voir clair dans ces parages que je ne connais pas !

– Parages qui doivent être semés d’écueils, ajouta Harbert, si nous en jugeons par ce que nous avons vu à la côte sud du golfe du requin.

– Pencroff, dit alors Cyrus Smith, faites pour le mieux, nous nous en rapportons à vous.

– Soyez tranquille, Monsieur Cyrus, répondit le marin, je ne m’exposerai pas sans nécessité ! J’aimerais mieux un coup de couteau dans mes œuvres vives qu’un coup de roche dans celles de mon Bonadventure ! »

Ce que Pencroff appelait œuvres vives, c’était la partie immergée de la carène de son embarcation, et il y tenait plus qu’à sa propre peau !

« Quelle heure est-il ? demanda Pencroff.

– Dix heures, répondit Gédéon Spilett.

– Et quelle distance avons-nous à parcourir jusqu’au cap, Monsieur Cyrus ?

– Environ quinze milles, répondit l’ingénieur.

– C’est l’affaire de deux heures et demie, dit alors le marin, et nous serons par le travers du cap entre midi et une heure. Malheureusement, la marée renversera à ce moment, et le jusant sortira du golfe. Je crains donc bien qu’il ne soit difficile d’y entrer, ayant vent et mer contre nous.

– D’autant plus que c’est aujourd’hui pleine lune, fit observer Harbert, et que ces marées d’avril sont très fortes.

– Eh bien, Pencroff, demanda Cyrus Smith, ne pouvez-vous mouiller à la pointe du cap ?

– Mouiller près de terre, avec du mauvais temps en perspective ! s’écria le marin. Y pensez-vous, Monsieur Cyrus ? Ce serait vouloir se mettre volontairement à la côte !

Are sens