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David Foenkinos

La délicatesse

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c o l l e c t i o n f o l i o

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David Foenkinos

La délicatesse

Gallimard

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© Éditions Gallimard, 2009.

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David Foenkinos est l’auteur de neuf romans dont Le poten-tiel érotique de ma femme, Nos séparations et La délicatesse. Ses romans sont traduits dans plus d’une vingtaine de pays.

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Je ne saurais me réconcilier avec les choses, chaque instant dût-il s’arracher au temps pour me donner un baiser.

c i o r a n

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1

Nathalie était plutôt discrète (une sorte de féminité suisse). Elle avait traversé l’adolescence sans heurt, respectant les passages piétons. À vingt ans, elle envi-sageait l’avenir comme une promesse. Elle aimait rire, elle aimait lire. Deux occupations rarement simultanées puisqu’elle préférait les histoires tristes. L’orientation littéraire n’étant pas assez concrète à son goût, elle avait décidé de poursuivre des études d’économie. Sous ses airs de rêveuse, elle laissait peu de place à l’à-peu-près.

Elle restait des heures à observer des courbes sur l’évo-lution du PIB en Estonie, un étrange sourire sur le visage. Au moment où la vie d’adulte s’annonçait, il lui arrivait parfois de repenser à son enfance. Des instants de bonheur ramassés en quelques épisodes, toujours les mêmes. Elle courait sur une plage, elle montait dans un avion, elle dormait dans les bras de son père. Mais elle ne ressentait aucune nostalgie, jamais. Ce qui était assez rare pour une Nathalie 1 .

1. Il y a souvent une nette tendance à la nostalgie chez les Nathalie.

11

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2

La plupart des couples adorent se raconter des histoires, penser que leur rencontre revêt un carac-tère exceptionnel, et ces innombrables unions qui se forment dans la banalité la plus totale sont souvent enrichies de détails offrant, tout de même, une petite extase. Finalement, on cherche l’exégèse en toute chose.

Nathalie et François se sont rencontrés dans la rue. C’est toujours délicat un homme qui aborde une femme. Elle se demande forcément : « Est-ce qu’il ne passe pas son temps à faire ça ? » Les hommes disent souvent que c’est la première fois. À les écouter, ils sont soudain frappés par une grâce iné-dite leur permettant de braver une timidité de toujours. Les femmes répondent, d’une manière auto-matique, qu’elles n’ont pas le temps. Nathalie ne dérogea pas à cette règle. C’était idiot : elle n’avait pas grand-chose à faire, et aimait l’idée d’être ainsi accostée. Personne n’osait jamais. Elle s’était plu-sieurs fois posé la question : ai-je l’air trop boudeuse ou trop paresseuse ? Une de ses amies lui avait dit : personne ne t’arrête jamais, car tu as l’allure d’une femme poursuivie par le temps qui passe.

Quand un homme vient voir une inconnue, c’est pour lui dire de jolies choses. Existe-t-il, ce kamikaze 12

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masculin qui arrêterait une femme pour asséner :

« Comment faites-vous pour porter ces chaussures ?

Vos orteils sont comme dans un goulag. C’est une honte, vous êtes la Staline de vos pieds ! » Qui pourrait dire ça ? Certainement pas François, sagement rangé du côté des compliments. Il tenta de défi nir la chose la moins défi nissable qui soit : le trouble. Pourquoi l’avait-il arrêtée elle ? Il s’agissait surtout de sa démarche. Il avait senti quelque chose de nouveau, de presque enfantin, comme une rhapsodie des rotules.

Il émanait d’elle une sorte de naturel émouvant, une grâce dans le mouvement, et il pensa : elle est exac-tement le genre de femme avec qui je voudrais partir en week-end à Genève. Alors, il prit son courage à deux mains — et il aurait même aimé en avoir quatre à cet instant. Surtout que pour lui, c’était vraiment la première fois. Ici et maintenant, sur ce trottoir, ils se rencontraient. Une entrée en matière absolument classique, qui détermine souvent le début des choses qui le sont moins, par la suite.

Il avait balbutié les premiers mots, et subitement tout était venu, d’une manière limpide. Ses paroles avaient été propulsées par cette énergie un peu pathé-tique, mais si touchante, du désespoir. C’est bien la magie de nos paradoxes : la situation était tellement inconfortable qu’il s’en sortait avec élégance. Au bout de trente secondes, il parvint même à la faire sourire.

C’était une brèche dans l’anonymat. Elle accepta de prendre un café et il comprit qu’elle n’était pas du tout pressée. Il trouvait cela si étonnant de pouvoir ainsi passer un moment avec une femme qui venait à peine d’entrer dans son champ de vision. Il avait toujours 13

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aimé regarder les femmes dans la rue. Il se souvenait même avoir été une sorte d’adolescent romantique capable de suivre des jeunes fi lles de bonne famille jusqu’à la porte de leur appartement. Dans le métro, il lui arrivait de changer de wagon, pour être près d’une passagère qu’il avait repérée au loin. Soumis à la dictature de la sensualité, il n’en demeurait pas moins un homme romantique, pensant que le monde des femmes pouvait se réduire à une femme.

Il lui demanda ce qu’elle voulait boire. Son choix serait déterminant. Il pensa : si elle commande un déca, je me lève, et je m’en vais. On n’avait pas le droit de boire un déca à ce genre de rendez-vous.

C’est la boisson la moins conviviale qui soit. Un thé, ce n’est guère mieux. À peine rencontrés et déjà s’ins-talle une sorte de cocon un peu mou. On sent qu’on va passer des dimanches après-midi à regarder la télévision. Ou pire : chez les beaux-parents. Oui, le thé c’est incontestablement une ambiance de belle-famille. Alors quoi ? De l’alcool ? Non, ce n’est pas bien à cette heure-ci. On pourrait avoir peur d’une femme qui se met à boire comme ça, d’un coup.

Même un verre de vin rouge ne passerait pas. François continuait d’attendre qu’elle choisisse ce qu’elle allait boire, et il poursuivait ainsi son analyse liquide de la première impression féminine. Que restait-il maintenant ? Le Coca-Cola, ou tout autre type de soda… non, pas possible, cela ne faisait pas du tout femme. Autant demander une paille aussi, tant qu’elle y était. Finalement, il se dit qu’un jus, ça serait bien.

Oui un jus, c’est sympathique. C’est convivial et pas trop agressif. On sent la fi lle douce et équilibrée. Mais 14

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quel jus ? Mieux vaut esquiver les grands classiques : évitons la pomme ou l’orange, trop vu. Il faut être un tout petit peu original, sans être toutefois excentrique.

La papaye ou la goyave, ça fait peur. Non, le mieux, c’est de choisir un entre-deux, comme l’abricot. Voilà, c’est ça. Le jus d’abricot, c’est parfait. Si elle choisit ça, je l’épouse, pensa François. À cet instant précis, Nathalie releva la tête de la carte, comme si elle reve-nait d’une longue réfl exion. La même réfl exion que venait de mener l’inconnu face à elle.

« Je vais prendre un jus…

Are sens