« Il savourait pour la première fois, et dans l’exercice de l’amour, l’inexprimable délicatesse des élégances féminines. Jamais il n’avait rencontré cette grâce de langage, cette réserve de vêtement, ces poses de colombe assoupie. Il admirait l’exaltation de son âme et les dentelles de sa jupe. D’ailleurs, n’était-ce pas une femme du monde, et une femme mariée ? une vraie maîtresse, enfin ? »
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Voilà, messieurs, une description qui ne laissera rien à désirer, j’espère, au point de vue de la prévention ? En voici une autre, ou plutôt, voici la continuation de la même scène :
« Elle avait des paroles qui l’enflammaient avec des baisers qui lui emportaient l’âme. Où donc avait-elle appris ces caresses presque immatérielles, à force d’être profondes et dissimulées ? »
Oh ! je comprends bien, messieurs, le dégoût que lui inspirait ce mari qui voulait l’embrasser à son retour ; je comprends à merveille que lorsque les rendez-vous de cette espèce avaient lieu, elle sentit avec horreur, la nuit, « contre sa chair, cet homme étendu qui dormait ».
Ce n’est pas tout, à la page 731, il est un dernier tableau que je ne peux pas omettre ; elle était arrivée jusqu’à la fatigue de la volupté.
« Elle se promettait continuellement pour son prochain voyage une félicité profonde ; puis elle s’avouait ne rien sentir d’extraordinaire. Mais cette déception s’effaçait vite sous un espoir 1 Page 114.
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nouveau, et Emma revenait à lui plus enflammée, plus haletante, plus avide. Elle se déshabillait brutalement, arrachant le lacet mince de son corset qui sifflait autour de ses hanches comme une couleuvre qui glisse. Elle allait sur la pointe de ses pieds nus regarder encore une fois si la porte était fermée, puis elle faisait d’un seul geste tomber ensemble tous ses vêtements ; – et pâle, sans parler, sérieuse, elle s’abattait contre sa poitrine, avec un long frisson. »
Je signale ici deux choses, messieurs, une peinture admirable sous le rapport du talent, mais une peinture exécrable au point de vue de la morale. Oui, M. Flaubert sait embellir ses peintures avec toutes les ressources de l’art, mais sans les ménagements de l’art. Chez lui point de gaze, point de voiles, c’est la nature dans toute sa nudité, dans toute sa crudité !
Encore une citation de la page 781.
« Ils se connaissaient trop pour avoir ces ébahissements de possession qui en centuplent la joie. Elle était aussi dégoûtée de lui qu’il était 1 Page 480.
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fatigué d’elle. Emma retrouvait dans l’adultère toutes les platitudes du mariage. »
Platitudes du mariage, poésie de l’adultère !
Tantôt, c’est la souillure du mariage, tantôt ce sont ses platitudes, mais c’est toujours la poésie de l’adultère. Voilà, messieurs, les situations que M. Flaubert aime à peindre, et malheureusement il ne les peint que trop bien.
J’ai raconté trois scènes : la scène avec Rodolphe, et vous y avez vu la chute dans la forêt, la glorification de l’adultère, et cette femme dont la beauté devient plus grande avec cette poésie. J’ai parlé de la transition religieuse, et vous y avez vu la prière emprunter à l’adultère son langage. J’ai parlé de la seconde chute, je vous ai déroulé les scènes qui se passent avec Léon. Je vous ai montré la scène du fiacre –
supprimée – mais je vous ai montré le tableau de la chambre et du lit. Maintenant que nous croyons nos convictions faites, arrivons à la dernière scène ; à celle du supplice.
Des coupures nombreuses y ont été faites, à ce qu’il paraît, par la Revue de Paris. Voici en quels 751
termes M. Flaubert s’en plaint :
« Des considérations que je n’ai pas à apprécier ont contraint la Revue de Paris à faire une suppression dans le numéro du 1er décembre.
Ses scrupules s’étant renouvelés à l’occasion du présent numéro, elle a jugé convenable d’enlever encore plusieurs passages. En conséquence, je déclare dénier la responsabilité des lignes qui suivent ; le lecteur est donc prié de n’y voir que des fragments et non pas un ensemble. »
Passons donc sur ces fragments et arrivons à la mort. Elle s’empoisonne. Elle s’empoisonne, pourquoi ? « Ah ! c’est bien peu de chose, la mort, pensa-t-elle ; je vais m’endormir et tout sera fini. » Puis, sans un remords, sans un aveu, sans une larme de repentir sur ce suicide qui s’achève et les adultères de la veille, elle va recevoir le sacrement des mourants. Pourquoi le sacrement, puisque, sans sa pensée de tout à l’heure, elle va au néant ? Pourquoi, quand il n’y a pas une larme, pas un soupir de Madeleine sur son crime d’incrédulité, sur son suicide, sur ses adultères ?
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Après cette scène, vient celle de l’extrême-onction. Ce sont des paroles saintes et sacrées pour tous. C’est avec ces paroles-là que nous avons endormi nos aïeux, nos pères et nos proches, et c’est avec elles qu’un jour nos enfants nous endormiront. Quand on veut les reproduire, il faut le faire exactement ; il ne faut pas du moins les accompagner d’une image voluptueuse sur la vie passée.
Vous le savez, le prêtre fait les onctions saintes sur le front, sur les oreilles, sur la bouche, sur les pieds, en prononçant ces phrases liturgiques : quidquid per pedes, per aures, per pectus, etc., toujours suivies des mots misericordia... péché d’un côté, miséricorde de l’autre. Il faut les reproduire exactement, ces paroles saintes et sacrées ; si vous ne les reproduisez pas exactement, au moins n’y mettez rien de voluptueux.
« Elle tourna sa figure lentement et parut saisie de joie à voir tout à coup l’étole violette, sans doute retrouvant au milieu d’un apaisement extraordinaire la volupté perdue de ses premiers 753
élancements mystiques, avec des visions de béatitude éternelle qui commençaient.
« Le prêtre se releva pour prendre le crucifix ; alors elle allongea le cou comme quelqu’un qui a soif, et collant ses lèvres sur le corps de l’Homme-Dieu, elle y déposa de toute sa force expirante le plus grand baiser d’amour qu’elle eût jamais donné. Ensuite il récita le Misereatur et l’ Indulgentiam, trempa son pouce droit dans l’huile et commença les onctions : d’abord sur les yeux, qui avaient tant convoité toutes les somptuosités terrestres ; puis sur les narines, friandes de brises tièdes et de senteurs amoureuses ; puis sur la bouche, qui s’était ouverte pour le mensonge, qui avait gémi d’orgueil et crié dans la luxure ; puis sur les mains, qui se délectaient aux contacts suaves, et enfin sur la plante des pieds, si rapides autrefois quand elle courait à l’assouvissance de ses désirs, et qui maintenant ne marchaient plus. »
Maintenant, il y a les prières des agonisants que le prêtre récite tout bas, où à chaque verset se trouvent les mots : « Âme chrétienne, partez pour 754
une région plus haute. » On les murmure au moment où le dernier souffle du mourant s’échappe de ses lèvres. Le prêtre les récite, etc.
« À mesure que le râle devenait plus fort, l’ecclésiastique précipitait ses oraisons ; elles se mêlaient aux sanglots étouffés de Bovary, et quelquefois tout semblait disparaître dans le sourd murmure des syllabes latines qui tintaient comme un glas lugubre. »
L’auteur a jugé à propos d’alterner ces paroles, de leur faire une sorte de réplique. Il fait intervenir sur le trottoir un aveugle qui entonne une chanson dont les paroles profanes sont une sorte de réponse aux prières des agonisants.
« Tout à coup on entendit sur le trottoir un bruit de gros sabots, avec le frôlement d’un bâton, et une voix s’éleva, une voie rauque, qui chantait :
« Souvent la chaleur d’un beau jour
« Fait rêver fillette à l’amour.
« Il souffla bien fort ce jour-là,
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« Et le jupon court s’envola. »
C’est à ce moment que madame Bovary meurt.