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– Qui te l’a dit ? fit-elle en tressaillant.

– Qui me l’a dit ? répliqua-t-il un peu surpris de ce ton brusque ; c’est Girard, que j’ai rencontré tout à l’heure à la porte du Café Français. Il est parti en voyage, ou il doit partir.

Elle eut un sanglot.

– Quoi donc t’étonne ? Il s’absente ainsi de temps à autre pour se distraire, et, ma foi ! je l’approuve. Quand on a de la fortune et que l’on est garçon !... Du reste, il s’amuse joliment, notre ami ! c’est un farceur. M. Langlois m’a conté...

Il se tut, par convenance, à cause de la domestique qui entrait.

Celle-ci replaça dans la corbeille les abricots répandus sur l’étagère ; Charles, sans remarquer la rougeur de sa femme, se les fit apporter, en prit un et mordit à même.

– Oh ! parfait ! disait-il. Tiens, goûte.

Et il tendit la corbeille, qu’elle repoussa doucement.

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– Sens donc : quelle odeur ! fit-il en la lui passant sous le nez à plusieurs reprises.

– J’étouffe ! s’écria-t-elle en se levant d’un bond.

Mais, par un effort de volonté, ce spasme disparut ; puis :

– Ce n’est rien ! dit-elle, ce n’est rien ! c’est nerveux ! Assieds-toi, mange !

Car elle redoutait qu’on ne fût à la questionner, à la soigner, qu’on ne la quittât plus.

Charles, pour lui obéir, s’était rassis, et il crachait dans sa main les noyaux des abricots, qu’il déposait ensuite dans son assiette.

Tout à coup, un tilbury bleu passa au grand

trot sur la place. Emma poussa un cri et tomba roide par terre, à la renverse.

En effet, Rodolphe, après bien des réflexions, s’était décidé à partir pour Rouen. Or, comme il n’y a, de la Huchette à Buchy, pas d’autre chemin que celui d’Yonville, il lui avait fallu traverser le village, et Emma l’avait reconnu à la lueur des lanternes qui coupaient comme un éclair le 426

crépuscule.

Le pharmacien, au tumulte qui se faisait dans la maison, s’y précipita. La table, avec toutes les assiettes, était renversée ; de la sauce, de la viande, les couteaux, la salière et l’huilier jonchaient l’appartement ; Charles appelait au secours ; Berthe, effarée, criait ; et Félicité, dont les mains tremblaient, délaçait Madame, qui avait le long du corps des mouvements convulsifs.

– Je cours, dit l’apothicaire, chercher dans mon laboratoire un peu de vinaigre aromatique.

Puis, comme elle rouvrait les yeux en respirant le flacon :

– J’en étais sûr, fit-il ; cela vous réveillerait un mort.

– Parle-nous ! disait Charles, parle-nous !

Remets-toi ! C’est moi, ton Charles qui t’aime !

Me reconnais-tu ? Tiens, voilà ta petite fille ; embrasse-la donc !

L’enfant avançait les bras vers sa mère pour se pendre à son cou. Mais, détournant la tête, Emma dit d’une voix saccadée :

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– Non, non... personne !

Elle s’évanouit encore. On la porta sur son lit.

Elle restait étendue, la bouche ouverte, les paupières fermées, les mains à plat, immobile, et blanche comme une statue de cire. Il sortait de ses yeux deux ruisseaux de larmes qui coulaient lentement sur l’oreiller.

Charles, debout, se tenait au fond de l’alcôve, et le pharmacien, près de lui, gardait ce silence méditatif qu’il est convenable d’avoir dans les occasions sérieuses de la vie.

– Rassurez-vous, dit-il en lui poussant le coude, je crois que le paroxysme est passé.

– Oui, elle repose un peu maintenant !

répondit Charles, qui la regardait dormir. Pauvre femme !... pauvre femme !... la voilà retombée !

Alors Homais demanda comment cet accident

était survenu. Charles répondit que cela l’avait saisie tout à coup, pendant qu’elle mangeait des abricots.

– Extraordinaire !... reprit le pharmacien. Mais il se pourrait que les abricots eussent occasionné 428

la syncope ! Il y a des natures si impressionnables à l’encontre de certaines odeurs ! et ce serait même une belle question à étudier, tant sous le rapport pathologique que sous le rapport physiologique. Les prêtres en connaissaient l’importance, eux qui ont toujours mêlé des aromates à leurs cérémonies. C’est pour vous stupéfier l’entendement et provoquer des extases, chose d’ailleurs facile à obtenir chez les personnes du sexe, qui sont plus délicates que les autres. On en cite qui s’évanouissent à l’odeur de la corne brûlée, du pain tendre...

– Prenez garde de l’éveiller ! dit à voix basse Bovary.

– Et non seulement, continua l’apothicaire, les humains sont en butte à ces anomalies, mais encore les animaux. Ainsi, vous n’êtes pas sans savoir l’effet singulièrement aphrodisiaque que produit le nepeta cataria, vulgairement appelé herbe-au-chat, sur la gent féline ; et d’autre part, pour citer un exemple que je garantis authentique, Bridoux (un de mes anciens camarades, actuellement établi rue Malpalu), possède un 429

chien qui tombe en convulsions dès qu’on lui présente une tabatière. Souvent même il en fait l’expérience devant ses amis, à son pavillon du bois Guillaume. Croirait-on qu’un simple sternutatoire pût exercer de tels ravages dans l’organisme d’un quadrupède ? C’est

extrêmement curieux, n’est-il pas vrai ?

– Oui, dit Charles, qui n’écoutait pas.

– Cela nous prouve, reprit l’autre en souriant avec un air de suffisance bénigne, les irrégularités sans nombre du système nerveux. Pour ce qui est de Madame, elle m’a toujours paru, je l’avoue, une vraie sensitive. Aussi ne vous conseillerai-je point, mon bon ami, aucun de ces prétendus remèdes qui, sous prétexte d’attaquer les symptômes, attaquent le tempérament. Non, pas de médicamentation oiseuse ! du régime, voilà tout ! des sédatifs, des émollients, des dulcifiants.

Puis, ne pensez-vous pas qu’il faudrait peut-être frapper l’imagination ?

– En quoi ? comment ? dit Bovary.

– Ah ! c’est là la question ! Telle est effectivement la question : That is the question !

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comme je lisais dernièrement dans le journal.

Are sens