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A cette lecture lugubre, il éprouva ce qu’éprouve l’aveugle qui se sent 389

Notre-Dame de Paris

Chapitre I

piquer par le bâton qu’il a ramassé. Ses genoux se dérobèrent sous lui, et il s’affaissa sur le pavé, songeant à celle qui était morte dans le jour. Il sentait passer et se dégorger dans son cerveau tant de fumées monstrueuses, qu’il lui semblait que sa tête était devenue une des cheminées de l’enfer.

Il paraît qu’il resta longtemps dans cette attitude, ne pensant plus, abîmé et passif sous la main du démon. Enfin, quelque force lui revint, il songea à s’aller réfugier dans la tour près de son fidèle Quasimodo. Il se leva, et, comme il avait peur, il prit pour s’éclairer la lampe du bréviaire.

C’était un sacrilège ; mais il n’en était plus à regarder à si peu de chose.

Il gravit lentement l’escalier des tours, plein d’un secret effroi que devait propager jusqu’aux rares passants du Parvis la mystérieuse lumière de sa lampe montant si tard de meurtrière en meurtrière au haut du clocher.

Tout à coup il sentit quelque fraîcheur sur son visage et se trouva sous la porte de la plus haute galerie. L’air était froid ; le ciel charriait des nuages dont les larges lames blanches débordaient les unes sur les autres en s’écrasant par les angles, et figuraient une débâcle de fleuve en hiver.

Le croissant de la lune, échoué au milieu des nuées, semblait un navire céleste pris dans ces glaçons de l’air.

Il baissa la vue et contempla un instant, entre la grille de colonnettes qui unit les deux tours, au loin, à travers une gaze de brumes et de fumées, la foule silencieuse des toits de Paris, aigus, innombrables, pressés et petits comme les flots d’une mer tranquille dans une nuit d’été.

La lune jetait un faible rayon qui donnait au ciel et à la terre une teinte de cendre.

En ce moment l’horloge éleva sa voix grêle et fêlée. Minuit sonna. Le prêtre pensa à midi. C’étaient les douze heures qui revenaient.

― Oh ! se dit-il tout bas, elle doit être froide à présent !

Tout à coup un coup de vent éteignit sa lampe, et presque en même temps il vit paraître, à l’angle opposé de la tour, une ombre, une blancheur, une forme, une femme. Il tressaillit. A côté de cette femme, il y avait une petite chèvre, qui mêlait son bêlement au dernier bêlement de l’horloge.

Il eut la force de regarder. C’était elle.

Elle était pâle, elle était sombre. Ses cheveux tombaient sur ses épaules comme le matin. Mais plus de corde au cou, plus de mains attachées. Elle 390

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Chapitre I

était libre, elle était morte.

Elle était vêtue de blanc et avait un voile blanc sur la tête.

Elle venait vers lui, lentement, en regardant le ciel. La chèvre surnaturelle la suivait. Il se sentait de pierre et trop lourd pour fuir. A chaque pas qu’elle faisait en avant, il en faisait un en arrière, et c’était tout. Il rentra ainsi sous la voûte obscure de l’escalier. Il était glacé de l’idée qu’elle allait peut-être y entrer aussi ; si elle l’eût fait, il serait mort de terreur.

Elle arriva en effet devant la porte de l’escalier, s’y arrêta quelques instants, regarda fixement dans l’ombre, mais sans paraître y voir le prêtre, et passa. Elle lui parut plus grande que lorsqu’elle vivait ; il vit la lune à travers sa robe blanche ; il entendit son souffle.

Quand elle fut passée, il se mit à redescendre l’escalier, avec la lenteur qu’il avait vue au spectre, se croyant spectre lui-même, hagard, les cheveux tout droits, sa lampe éteinte toujours à la main ; et, tout en descendant les degrés en spirale, il entendait distinctement dans son oreille une voix qui riait et qui répétait :

« …Un esprit passa devant ma face, et j’entendis un petit souffle, et le poil de ma chair se hérissa. »

n

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CHAPITRE II

BOSSU, BORGNE, BOITEUX

Tmoyenâge,et,jusqu’àLouisXII,toutevilleen France avait ses lieux d’asile. Ces lieux d’asile, au milieu du déluge de lois pénales et de juridictions barbares qui inondaient la cité, étaient des espèces d’îles qui s’élevaient au-dessus du niveau de la justice humaine. Tout criminel qui y abordait était sauvé. Il y avait dans une banlieue presque autant de lieux d’asile que de lieux patibulaires.

C’était l’abus de l’impunité à côté de l’abus des supplices, deux choses mauvaises qui tâchaient de se corriger l’une par l’autre. Les palais du roi, les hôtels des princes, les églises surtout, avaient droit d’asile. Quelquefois d’une ville tout entière qu’on avait besoin de repeupler on faisait temporairement un lieu de refuge. Louis XI fit Paris asile en 1467.

Une fois le pied dans l’asile, le criminel était sacré ; mais il fallait qu’il se gardât d’en sortir. Un pas hors du sanctuaire, il retombait dans le flot. La roue, le gibet, l’estrapade, faisaient bonne garde autour du lieu de refuge, et guettaient sans cesse leur proie comme les requins autour du vaisseau.

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Chapitre II

On a vu des condamnés qui blanchissaient ainsi dans un cloître, sur l’escalier d’un palais, dans la culture d’une abbaye, sous un porche d’église ; de cette façon, l’asile était une prison comme une autre.

Il arrivait quelquefois qu’un arrêt solennel du parlement violait le refuge et restituait le condamné au bourreau ; mais la chose était rare. Les parlements s’effarouchaient des évêques, et, quand ces deux robes-là en venaient à se froisser, la simarre n’avait pas beau jeu avec la soutane.

Parfois cependant, comme dans l’affaire des assassins de Petit-Jean, bourreau de Paris, et dans celle d’Émery Rousseau, meurtrier de Jean Valleret, la justice sautait par-dessus l’église et passait outre à l’exécution de ses sentences ; mais, à moins d’un arrêt du parlement, malheur à qui violait à main armée un lieu d’asile ! On sait quelle fut la mort de Robert de Clermont, maréchal de France, et de Jean de Châlons, maréchal de Champagne ; et pourtant il ne s’agissait que d’un certain Perrin Marc, garçon d’un changeur, un misérable assassin ; mais les deux maréchaux avaient brisé les portes de Saint-Méry. Là était l’énormité.

Il y avait autour des refuges un tel respect, qu’au dire de la tradition, il prenait parfois jusqu’aux animaux. Aymoin conte qu’un cerf, chassé par Dagobert, s’étant réfugié près du tombeau de saint Denis, la meute s’arrêta tout court en aboyant.

Les églises avaient d’ordinaire une logette préparée pour recevoir les suppliants. En 1407, Nicolas Flamel leur fit bâtir, sur les voûtes de Saint-Jacques-de-la-Boucherie, une chambre qui lui coûta quatre livres six sols seize deniers parisis.

A Notre-Dame, c’était une cellule établie sur les combles des bas côtés sous les arcs-boutants, en regard du cloître, précisément à l’endroit où la femme du concierge actuel des tours s’est pratiqué un jardin, qui est aux jardins suspendus de Babylone ce qu’une laitue est à un palmier, ce qu’une portière est à Sémiramis.

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