"Unleash your creativity and unlock your potential with MsgBrains.Com - the innovative platform for nurturing your intellect." » Français Books » ,,Notre-Dame de Paris '' - Victor Hugo

Add to favorite ,,Notre-Dame de Paris '' - Victor Hugo

Select the language in which you want the text you are reading to be translated, then select the words you don't know with the cursor to get the translation above the selected word!




Go to page:
Text Size:

Chapitre II

la peau sur les os. Il agonise misérablement.

Cependant que devient l’imprimerie ? Toute cette vie qui s’en va de l’architecture vient chez elle. A mesure que l’architecture baisse, l’imprimerie s’enfle et grossit. Ce capital de forces que la pensée humaine dépen-sait en édifices, elle le dépense désormais en livres. Aussi dès le seizième siècle la presse, grandie au niveau de l’architecture décroissante, lutte avec elle et la tue. Au dix-septième siècle, elle est déjà assez souveraine, assez triomphante, assez assise dans sa victoire pour donner au monde la fête d’un grand siècle littéraire. Au dix-huitième, longtemps reposée à la cour de Louis XIV, elle ressaisit la vieille épée de Luther, en arme Voltaire, et court, tumultueuse, à l’attaque de cette ancienne Europe dont elle a déjà tué l’expression architecturale. Au moment où le dix-huitième siècle s’achève, elle a tout détruit. Au dix-neuvième, elle va reconstruire.

Or, nous le demandons maintenant, lequel des deux arts représente réellement depuis trois siècles la pensée humaine ? lequel la traduit ? lequel exprime, non pas seulement ses manies littéraires et scolastiques, mais son vaste, profond, universel mouvement ? Lequel se superpose constamment, sans rupture et sans lacune, au genre humain, qui marche, monstre à mille pieds ? L’architecture ou l’imprimerie ?

L’imprimerie. Qu’on ne s’y trompe pas, l’architecture est morte, morte sans retour, tuée par le livre imprimé, tuée parce qu’elle dure moins, tuée parce qu’elle coûte plus cher. Toute cathédrale est un milliard. Qu’on se représente maintenant quelle mise de fonds il faudrait pour récrire le livre architectural ; pour faire fourmiller de nouveau sur le sol des milliers d’édifices ; pour revenir à ces époques où la foule des monuments était telle qu’au dire d’un témoin oculaire « on eût dit que le monde en se secouant avait rejeté ses vieux habillements pour se couvrir d’un blanc vêtement d’églises ». Erat enim ut si mundus, ipse excutiendo semet, re-jecta vetustate, candidam ecclesiarum vestem indueret. (GLABER RADUL-PHUS.)

Un livre est sitôt fait, coûte si peu, et peut aller si loin ! Comment s’étonner que toute la pensée humaine s’écoule par cette pente ? Ce n’est pas à dire que l’architecture n’aura pas encore çà et là un beau monument, un chef-d’œuvre isolé. On pourra bien encore avoir de temps en temps, sous le règne de l’imprimerie, une colonne faite, je suppose, par toute 201

Notre-Dame de Paris

Chapitre II

une armée, avec des canons amalgamés, comme on avait, sous le règne de l’architecture, des Iliades et des Romanceros, des Mahabâhrata et des Niebelungen, faits par tout un peuple avec des rapsodies amoncelées et fondues. Le grand accident d’un architecte de génie pourra survenir au vingtième siècle, comme celui de Dante au treizième. Mais l’architecture ne sera plus l’art social, l’art collectif, l’art dominant. Le grand poëme, le grand édifice, la grande œuvre de l’humanité ne se bâtira plus, elle s’imprimera.

Et désormais, si l’architecture se relève accidentellement, elle ne sera plus maîtresse. Elle subira la loi de la littérature, qui la recevait d’elle autrefois. Les positions respectives des deux arts seront interverties. Il est certain que dans l’époque architecturale les poëmes, rares, il est vrai, ressemblent aux monuments. Dans l’Inde, Vyasa est touffu, étrange, impénétrable comme une pagode. Dans l’orient égyptien, la poésie a, comme les édifices, la grandeur et la tranquillité des lignes ; dans la Grèce antique, la beauté, la sérénité, le calme ; dans l’Europe chrétienne, la majesté catho-lique, la naïveté populaire, la riche et luxuriante végétation d’une époque de renouvellement. La Bible ressemble aux Pyramides, l’Iliade au Parthénon, Homère à Phidias. Dante au treizième siècle, c’est la dernière église romane ; Shakespeare au seizième, la dernière cathédrale gothique.

Ainsi, pour résumer ce que nous avons dit jusqu’ici d’une façon nécessairement incomplète et tronquée, le genre humain a deux livres, deux registres, deux testaments, la maçonnerie et l’imprimerie, la bible de pierre et la bible de papier. Sans doute, quand on contemple ces deux bibles, si largement ouvertes dans les siècles, il est permis de regretter la majesté visible de l’écriture de granit, ces gigantesques alphabets formulés en colonnades, en pylônes, en obélisques, ces espèces de montagnes humaines qui couvrent le monde et le passé, depuis la pyramide jusqu’au clocher, de Chéops à Strasbourg. Il faut relire le passé sur ces pages de marbre. Il faut admirer et refeuilleter sans cesse le livre écrit par l’architecture ; mais il ne faut pas nier la grandeur de l’édifice qu’élève à son tour l’imprimerie.

Cet édifice est colossal. Je ne sais quel faiseur de statistique a calculé qu’en superposant l’un à l’autre tous les volumes sortis de la presse depuis Gutenberg on comblerait l’intervalle de la terre à la lune ; mais ce n’est pas de cette sorte de grandeur que nous voulons parler. Cepen-202

Notre-Dame de Paris

Chapitre II

dant, quand on cherche à recueillir dans sa pensée une image totale de l’ensemble des produits de l’imprimerie jusqu’à nos jours, cet ensemble ne nous apparaît-il pas comme une immense construction, appuyée sur le monde entier, à laquelle l’humanité travaille sans relâche, et dont la tête monstrueuse se perd dans les brumes profondes de l’avenir ? C’est la fourmilière des intelligences. C’est la ruche où toutes les imaginations, ces abeilles dorées, arrivent avec leur miel. L’édifice a mille étages. Çà et là, on voit déboucher sur ses rampes les cavernes ténébreuses de la science qui s’entrecoupent dans ses entrailles. Partout sur sa surface l’art fait luxurier à l’œil ses arabesques, ses rosaces et ses dentelles. Là chaque œuvre individuelle, si capricieuse et si isolée qu’elle semble, a sa place et sa saillie.

L’harmonie résulte du tout. Depuis la cathédrale de Shakespeare jusqu’à la mosquée de Byron, mille clochetons s’encombrent pêle-mêle sur cette métropole de la pensée universelle. A sa base, on a récrit quelques anciens titres de l’humanité que l’architecture n’avait pas enregistrés. A gauche de l’entrée, on a scellé le vieux bas-relief en marbre blanc d’Homère, à droite la Bible polyglotte dresse ses sept têtes. L’hydre du Romancero se hérisse plus loin, et quelques autres formes hybrides, les Védas et les Niebelungen. Du reste, le prodigieux édifice demeure toujours inachevé. La presse, cette machine géante, qui pompe sans relâche toute la séve intellectuelle de la société, vomit incessamment de nouveaux matériaux pour son œuvre. Le genre humain tout entier est sur l’échafaudage. Chaque esprit est maçon. Le plus humble bouche son trou ou met sa pierre. Rétif de la Bretonne apporte sa hottée de plâtras. Tous les jours une nouvelle assise s’élève. Indépendamment du versement original et individuel de chaque écrivain, il y a des contingents collectifs. Le dix-huitième siècle donne l’ Encyclopédie, la révolution donne le Moniteur. Certes, c’est là aussi une construction qui grandit et s’amoncelle en spirales sans fin ; là aussi il y a confusion des langues, activité incessante, labeur infatigable, concours acharné de l’humanité tout entière, refuge promis à l’intelligence contre un nouveau déluge, contre une submersion de barbares. C’est la seconde tour de Babel du genre humain.

n

203

VI

LIVRE SIXIÈME

204

CHAPITRE I

COUP D’ŒIL IMPARTIAL SUR

L’ANCIENNE

MAGISTRATURE

C’heureuxpersonnage,enl’andegrâce1482,que noble homme Robert d’Estouteville, chevalier, sieur de Beyne, baron d’Yvri et Saint-Andry en la Marche, conseiller et chambellan du roi, et garde de la prévôté de Paris. Il y avait déjà près de dix-sept ans qu’il avait reçu du roi, le 7 novembre 1465, l’année de la comète ¹,

cette belle charge de prévôt de Paris, qui était réputée plutôt seigneurie qu’office, dignitas, dit Joannes Lœmnœus, quœ cum non exigua potestate politiam concernente, atque prœrogativis multis et juribus conjuncta est. La chose était merveilleuse en 82 qu’un gentilhomme ayant commission du 1. Cette comète, contre laquelle le pape Calixte, oncle de Borgia, ordonna des prières publiques, est la même qui reparaîtra en 1835.

205

Notre-Dame de Paris

Chapitre I

roi et dont les lettres d’institution remontaient à l’époque du mariage de la fille naturelle de Louis XI avec monsieur le bâtard de Bourbon. Le même jour où Robert d’Estouteville avait remplacé Jacques de Villiers dans la prévôté de Paris, maître Jehan Dauvet remplaçait messire Hélye de Thor-rettes dans la première présidence de la cour de parlement, Jehan Jouvenel des Ursins supplantait Pierre de Morvilliers dans l’office de chancelier de France, Regnault des Dormans désappointait Pierre Puy de la charge de maître des requêtes ordinaires de l’hôtel du roi. Or sur combien de têtes la présidence, la chancellerie et la maîtrise s’étaient-elles promenées depuis que Robert d’Estouteville avait la prévôté de Paris ! Elle lui avait été baillée en garde, disaient les lettres patentes ; et certes, il la gardait bien.

Il s’y était cramponné, il s’y était incorporé, il s’y était identifié si bien, qu’il avait échappé à cette furie de changement qui possédait Louis XI, roi défiant, taquin et travailleur, qui tenait à entretenir, par des institu-tions et des révocations fréquentes, l’élasticité de son pouvoir. Il y a plus, le brave chevalier avait obtenu pour son fils la survivance de sa charge, et il y avait déjà deux ans que le nom de noble homme Jacques d’Estouteville, écuyer, figurait à côté du sien en tête du registre de l’ordinaire de la prévôté de Paris. Rare, certes, et insigne faveur ! Il est vrai que Robert d’Estouteville était un bon soldat, qu’il avait loyalement levé le pennon contre la ligue du bien public, et qu’il avait offert à la reine un très merveilleux cerf en confitures le jour de son entrée à Paris en 14… Il avait de plus la bonne amitié de messire Tristan l’Hermite, prévôt des maréchaux de l’hôtel du roi. C’était donc une très douce et plaisante existence que celle de messire Robert. D’abord, de fort bons gages, auxquels se ratta-chaient et pendaient, comme des grappes de plus à sa vigne, les revenus des greffes civil et criminel de la prévôté, plus les revenus civils et criminels des auditoires d’Embas du Châtelet, sans compter quelque petit péage au pont de Mantes et de Corbeil, et les profits du tru sur l’esgrin de Paris, sur les mouleurs de bûches et les mesureurs de sel. Ajoutez à cela le plaisir d’étaler dans les chevauchées de la ville et de faire ressortir sur les robes mi-parties rouge et tanné des échevins et des quarteniers son bel habit de guerre que vous pouvez encore admirer aujourd’hui sculpté sur son tombeau, à l’abbaye de Valmont en Normandie, et son morion tout bosselé à Montlhéry. Et puis, n’était-ce rien que d’avoir toute supré-206

Notre-Dame de Paris

Chapitre I

matie sur les sergents de la douzaine, le concierge et guette du Châtelet, les deux auditeurs du Châtelet, auditores Castelleti, les seize commissaires des seize quartiers, le geôlier du Châtelet, les quatre sergents fieffés, les cent vingt sergents à cheval, les cent vingt sergents à verge, le chevalier du guet avec son guet, son sous-guet, son contre-guet et son arrière-guet ?

N’était-ce rien que d’exercer haute et basse justice, droit de tourner, de pendre et de traîner, sans compter la menue juridiction en premier ressort ( in prima instantia, comme disent les chartes) sur cette vicomté de Paris, si glorieusement apanagée de sept nobles bailliages ? Peut-on rien imaginer de plus suave que de rendre arrêts et jugements, comme faisait quotidiennement messire Robert d’Estouteville, dans le Grand-Châtelet, sous les ogives larges et écrasées de Philippe-Auguste ? et d’aller, comme il avait coutume chaque soir, en cette charmante maison sise rue Galilée, dans le pourpris du palais royal, qu’il tenait du chef de sa femme, madame Ambroise de Loré, se reposer de la fatigue d’avoir envoyé quelque pauvre diable passer la nuit de son côté dans « cette petite logette de la rue de l’Escorcherie, en laquelle les prévôts et échevins de Paris soulaient faire leur prison ; contenant icelle onze pieds de long, sept pieds et quatre pouces de lez et onze pieds de haut ² » ?

Et non-seulement messire Robert d’Estouteville avait sa justice particulière de prévôt et vicomte de Paris, mais encore il avait part, coup d’œil et coup de dent dans la grande justice du roi. Il n’y avait pas de tête un peu haute qui ne lui eût passé par les mains avant d’échoir au bourreau.

C’est lui qui avait été quérir à la Bastille Saint-Antoine, pour le mener aux Halles, M. de Nemours ; pour le mener en Grève, M. de Saint-Pol, lequel rechignait et se récriait, à la grande joie de M. le prévôt, qui n’aimait pas M. le connétable.

En voilà, certes, plus qu’il n’en fallait pour faire une vie heureuse et illustre, et pour mériter un jour une page notable dans cette intéressante histoire des prévôts de Paris, où l’on apprend que Oudard de Villeneuve avait une maison rue des Boucheries, que Guillaume de Hangast acheta la grande et petite Savoie, que Guillaume Thiboust donna aux religieuses de Sainte-Geneviève ses maisons de la rue Clopin, que Hugues Aubriot 2. Comptes du domaine, 1383.

207

Are sens

Copyright 2023-2059 MsgBrains.Com