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l’ingénieur. Deux fois, il revint à la charge, sans tirer de lui autre chose que des haussements d’épaules exaspérés. Eh bien ! l’eau montait, que pouvait-il y faire ?

Mouque parut avec Bataille, qu’il conduisait à la corvée ; et il dut le tenir des deux mains, le vieux cheval somnolent s’était brusquement cabré, la tête allongée vers le puits, hennissant à la mort.

– Quoi donc, philosophe ? qu’est-ce qui t’inquiète ?... Ah ! c’est parce qu’il pleut. Viens donc, ça ne te regarde pas.

Mais la bête frissonnait de tout son poil, il la traîna de force au roulage.

Presque au même instant, comme Mouque et Bataille disparaissaient au fond d’une galerie, un craquement eut lieu en l’air, suivi d’un vacarme prolongé de chute. C’était une pièce du cuvelage qui se détachait, qui tombait de cent quatre-vingts mètres, en rebondissant contre les parois. Pierron et les autres chargeurs purent se garer, la planche de chêne broya seulement une berline vide. En même temps, un paquet d’eau, le flot jaillissant 893

d’une digue crevée, ruisselait. Dansaert voulut monter voir ; mais il parlait encore, qu’une seconde pièce déboula. Et, devant la catastrophe menaçante, effaré, il n’hésita plus, il donna l’ordre de la remonte, lança des porions pour avertir les hommes, dans les chantiers.

Alors, commença une effroyable bousculade.

De chaque galerie, des files d’ouvriers arrivaient au galop, se ruaient à l’assaut des cages. On s’écrasait, on se tuait pour être remonté tout de suite. Quelques-uns, qui avaient eu l’idée de prendre le goyot des échelles, redescendirent en criant que le passage y était bouché déjà. C’était l’épouvante de tous, après chaque départ d’une cage : celle-là venait de passer, mais qui savait si la suivante passerait encore, au milieu des obstacles dont le puits s’obstruait ? En haut, la débâcle devait continuer, on entendait une série de sourdes détonations, les bois qui se fendaient, qui éclataient dans le grondement continu et croissant de l’averse. Une cage bientôt fut hors d’usage, défoncée, ne glissant plus entre les guides, rompues sans doute. L’autre frottait tellement, que le câble allait casser bien sûr. Et il 894

restait une centaine d’hommes à sortir, tous râlaient, se cramponnaient, ensanglantés, noyés.

Deux furent tués par des chutes de planches. Un troisième, qui avait empoigné la cage, retomba de cinquante mètres et disparut dans le bougnou.

Dansaert, cependant, tâchait de mettre de l’ordre. Armé d’une rivelaine, il menaçait d’ouvrir le crâne au premier qui n’obéirait pas ; et il voulait les ranger à la file, il criait que les chargeurs sortiraient les derniers, après avoir emballé les camarades. On ne l’écoutait pas, il avait empêché Pierron, lâche et blême, de filer un des premiers. À chaque départ, il devait l’écarter d’une gifle. Mais lui-même claquait des dents, une minute de plus, et il était englouti : tout crevait là-haut, c’était un fleuve débordé, une pluie meurtrière de charpentes. Quelques ouvriers accouraient encore, lorsque, fou de peur, il sauta dans une berline, en laissant Pierron y sauter derrière lui. La cage monta.

À ce moment, l’équipe d’Étienne et de Chaval débouchait dans l’accrochage. Ils virent la cage disparaître, ils se précipitèrent ; mais il leur fallut 895

reculer, sous l’écroulement final du cuvelage : le puits se bouchait, la cage ne redescendrait pas.

Catherine sanglotait, Chaval s’étranglait à crier des jurons. On était une vingtaine, est-ce que ces cochons de chefs les abandonneraient ainsi ? Le père Mouque, qui avait ramené Bataille, sans hâte, le tenait encore par la bride, tous les deux stupéfiés, le vieux et la bête, devant la hausse rapide de l’inondation. L’eau déjà montait aux cuisses. Étienne muet, les dents serrées, souleva Catherine entre les bras. Et les vingt hurlaient, la face en l’air, les vingt s’entêtaient, imbéciles, à regarder le puits, ce trou éboulé qui crachait un fleuve, et d’où ne pouvait plus leur venir aucun secours.

Au jour, Dansaert, en débarquant, aperçut Négrel qui accourait. Madame Hennebeau, par une fatalité, l’avait, ce matin-là, au saut du lit, retenu à feuilleter des catalogues, pour l’achat de la corbeille. Il était dix heures.

– Eh bien ! qu’arrive-t-il donc ? cria-t-il de loin.

– La fosse est perdue, répondit le maître-896

porion.

Et il conta la catastrophe, en bégayant, tandis que l’ingénieur, incrédule, haussait les épaules : allons donc ! est-ce qu’un cuvelage se démolissait comme ça ? On exagérait, il fallait voir.

– Personne n’est resté au fond, n’est-ce pas ?

Dansaert se troublait. Non, personne. Il l’espérait du moins. Pourtant, des ouvriers avaient pu s’attarder.

– Mais, nom d’un chien ! dit Négrel, pourquoi êtes-vous sorti, alors ? Est-ce qu’on lâche ses hommes !

Tout de suite, il donna l’ordre de compter les lampes. Le matin, on en avait distribué trois cent vingt-deux ; et l’on n’en retrouvait que deux cent cinquante-cinq ; seulement, plusieurs ouvriers avouaient que la leur était restée là-bas, tombée de leur main, dans les bousculades de la panique.

On tâcha de procéder à un appel, il fut impossible d’établir un nombre exact : des mineurs s’étaient sauvés, d’autres n’entendaient plus leur nom.

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Personne ne tombait d’accord sur les camarades manquants. Ils étaient peut-être vingt, peut-être quarante. Et, seule, une certitude se faisait pour l’ingénieur : il y avait des hommes au fond, on distinguait leur hurlement, dans le bruit des eaux, à travers les charpentes écroulées, lorsqu’on se penchait à la bouche du puits.

Le premier soin de Négrel fut d’envoyer chercher monsieur Hennebeau et de vouloir fermer la fosse. Mais il était déjà trop tard, les charbonniers qui avaient galopé au coron des Deux-Cent-Quarante, comme poursuivis par les craquements du cuvelage, venaient d’épouvanter les familles ; et des bandes de femmes, des vieux, des petits, dévalaient en courant, secoués de cris et de sanglots. Il fallut les repousser, un cordon de surveillants fut chargé de les maintenir, car ils auraient gêné les manœuvres. Beaucoup des ouvriers remontés du puits demeuraient là, stupides, sans penser à changer de vêtements, retenus par une fascination de la peur, en face de ce trou effrayant où ils avaient failli rester. Les femmes, éperdues autour d’eux, les suppliaient, les interrogeaient, demandaient les noms. Est-ce 898

que celui-ci en était ? et celui-là ? et cet autre ?

Ils ne savaient pas, ils balbutiaient, ils avaient de grands frissons et des gestes de fous, des gestes qui écartaient une vision abominable, toujours présente. La foule augmentait rapidement, une lamentation montait des routes. Et, là-haut, sur le terri, dans la cabane de Bonnemort, il y avait, assis par terre, un homme, Souvarine, qui ne s’était pas éloigné, et qui regardait.

– Les noms ! les noms ! criaient les femmes, d’une voix étranglée de larmes.

Négrel parut un instant, jeta ces mots :

– Dès que nous saurons les noms nous les ferons connaître. Mais rien n’est perdu, tout le monde sera sauvé... Je descends.

Alors, muette d’angoisse, la foule attendit. En effet, avec une bravoure tranquille, l’ingénieur s’apprêtait à descendre. Il avait fait décrocher la cage, en donnant l’ordre de la remplacer, au bout du câble, par un cuffat ; et, comme il se doutait que l’eau éteindrait sa lampe, il commanda d’en attacher une autre sous le cuffat, qui la protégerait.

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Des porions, tremblants, la face blanche et décomposée, aidaient à ces préparatifs.

– Vous descendez avec moi, Dansaert, dit Négrel d’une voix brève.

Puis, quand il les vit tous sans courage, quand il vit le maître-porion chanceler, ivre d’épouvante, il l’écarta d’un geste de mépris.

– Non, vous m’embarrasseriez... J’aime mieux être seul.

Déjà, il était dans l’étroit baquet, qui vacillait à l’extrémité du câble ; et, tenant d’une main sa lampe, serrant de l’autre la corde du signal, il criait lui-même au machineur :

– Doucement !

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