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Catherine et Étienne se hâtèrent de remplir leurs berlines et les poussèrent au plan incliné, l’échine raidie, rampant sous le toit bossué de la voie. Dès le second voyage, la sueur les inondait et leurs os craquaient de nouveau.

Dans la taille, le travail des haveurs avait repris. Souvent, ils abrégeaient le déjeuner, pour ne pas se refroidir ; et leurs briquets, mangés ainsi loin du soleil, avec une voracité muette, leur chargeaient de plomb l’estomac. Allongés sur le flanc, ils tapaient plus fort, ils n’avaient que l’idée fixe de compléter un gros nombre de berlines. Tout disparaissait dans cette rage du gain disputé si rudement. Ils cessaient de sentir l’eau qui ruisselait et enflait leurs membres, les crampes des attitudes forcées, l’étouffement des 96

ténèbres, où ils blêmissaient ainsi que des plantes mises en cave. Pourtant, à mesure que la journée s’avançait, l’air s’empoisonnait davantage, se chauffait de la fumée des lampes, de la pestilence des haleines, de l’asphyxie du grisou, gênant sur les yeux comme des toiles d’araignée, et que devait seul balayer l’aérage de la nuit. Eux, au fond de leur trou de taupe, sous le poids de la terre, n’ayant plus de souffle dans leurs poitrines embrasées, tapaient toujours.

97

V

Maheu, sans regarder à sa montre laissée dans sa veste, s’arrêta et dit :

– Bientôt une heure... Zacharie, est-ce fait ?

Le jeune homme boisait depuis un instant. Au milieu de sa besogne, il était resté sur le dos, les yeux vagues, rêvassant aux parties de crosse qu’il avait faites la veille. Il s’éveilla, il répondit :

– Oui, ça suffira, on verra demain.

Et il retourna prendre sa place à la taille.

Levaque et Chaval, eux aussi, lâchaient la rivelaine. Il y eut un repos. Tous s’essuyaient le visage sur leurs bras nus, en regardant la roche du toit, dont les masses schisteuses se fendillaient.

Ils ne causaient guère que de leur travail.

– Encore une chance, murmura Chaval, d’être tombé sur des terres qui déboulent !... Ils n’ont pas tenu compte de ça, dans le marchandage.

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– Des filous ! grogna Levaque. Ils ne cherchent qu’à nous foutre dedans.

Zacharie se mit à rire. Il se fichait du travail et du reste, mais ça l’amusait d’entendre empoigner la Compagnie. De son air placide, Maheu expliqua que la nature des terrains changeait tous les vingt mètres. Il fallait être juste, on ne pouvait rien prévoir. Puis, les deux autres continuant à déblatérer contre les chefs, il devint inquiet, il regarda autour de lui.

– Chut ! en voilà assez !

– Tu as raison, dit Levaque, qui baissa également la voix. C’est malsain.

Une obsession des mouchards les hantait, même à cette profondeur, comme si la houille des actionnaires, encore dans la veine, avait eu des oreilles.

– N’empêche, ajouta très haut Chaval d’un air de défi, que si ce cochon de Dansaert me parle sur le ton de l’autre jour, je lui colle une brique dans le ventre... Je ne l’empêche pas, moi, de se payer les blondes qui ont la peau fine.

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Cette fois, Zacharie éclata. Les amours du maître-porion et de la Pierronne étaient la continuelle plaisanterie de la fosse. Catherine elle-même, appuyée sur sa pelle, en bas de la taille, se tint les côtes et mit d’une phrase Étienne au courant ; tandis que Maheu se fâchait, pris d’une peur qu’il ne cachait plus.

– Hein ? tu vas te taire !... Attends d’être tout seul, si tu veux qu’il t’arrive du mal.

Il parlait encore, lorsqu’un bruit de pas vint de la galerie supérieure. Presque aussitôt, l’ingénieur de la fosse, le petit Négrel, comme les ouvriers le nommaient entre eux, parut en haut de la taille, accompagné de Dansaert, le maître-porion.

– Quand je le disais ! murmura Maheu. Il y en a toujours là, qui sortent de la terre.

Paul Négrel, neveu de monsieur Hennebeau, était un garçon de vingt-six ans, mince et joli, avec des cheveux frisés et des moustaches brunes. Son nez pointu, ses yeux vifs, lui donnaient un air de furet aimable, d’une intelligence sceptique, qui se changeait en une autorité cassante, dans ses rapports avec les 100

ouvriers. Il était vêtu comme eux, barbouillé comme eux de charbon ; et, pour les réduire au respect, il montrait un courage à se casser les os, passant par les endroits les plus difficiles, toujours le premier sous les éboulements et dans les coups de grisou.

– Nous y sommes, n’est-ce pas, Dansaert ?

demanda-t-il.

Le maître-porion, un Belge à face épaisse, au gros nez sensuel, répondit avec une politesse exagérée :

– Oui, monsieur Négrel... Voici l’homme qu’on a embauché ce matin.

Tous deux s’étaient laissés glisser au milieu de la taille. On fit monter Étienne. L’ingénieur leva sa lampe, le regarda, sans le questionner.

– C’est bon, dit-il enfin. Je n’aime guère qu’on ramasse des inconnus sur les routes... Surtout, ne recommencez pas.

Et il n’écouta point les explications qu’on lui donnait, les nécessités du travail, le désir de remplacer les femmes par des garçons, pour le 101

roulage. Il s’était mis à étudier le toit, pendant que les haveurs reprenaient leurs rivelaines. Tout d’un coup, il s’écria :

– Dites donc, Maheu, est-ce que vous vous fichez du monde !... Vous allez tous y rester, nom d’un chien !

– Oh ! c’est solide, répondit tranquillement l’ouvrier.

– Comment ! solide !... Mais la roche tasse déjà, et vous plantez des bois à plus de deux mètres, d’un air de regret ! Ah ! vous êtes bien tous les mêmes, vous vous laisseriez aplatir le crâne, plutôt que de lâcher la veine, pour mettre au boisage le temps voulu !... Je vous prie de m’étayer ça sur-le-champ. Doublez les bois, entendez-vous !

Et, devant le mauvais vouloir des mineurs qui discutaient, en disant qu’ils étaient bons juges de leur sécurité, il s’emporta.

– Allons donc ! quand vous aurez la tête broyée, est-ce que c’est vous qui en supporterez les conséquences ? Pas du tout ! ce sera la 102

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