– Reposez-vous, père. Moi, je ne suis pas fatigué ; je vais aller me promener dans la forêt pour y chercher des nids.
– Petit vaniteux ! rétorqua le père ; pourquoi veux-tu te promener ? Tu vas te fatiguer et, après, tu ne pourras plus remuer les bras. Reste ici et assieds-toi près de moi.
Le fils, cependant, partit par la forêt, mangea son pain et, tout joyeux, il regardait à travers les branches pour voir s’il ne découvrirait pas un nid. Il alla ainsi, de-ci, de-là, jusqu’à ce qu’il arrivât à un grand chêne, vieux de plusieurs centaines d’années, et que cinq hommes se tenant par les bras n’auraient certainement pas pu enlacer. Il s’arrêta, regarda le géant et songea : « Il y a certainement plus d’un oiseau qui y a fait son nid. » Tout à coup, il lui sembla entendre une voix. Il écouta et comprit : « Fais-moi sortir de là ! Fais-moi sortir de là ! » Il regarda autour de lui, mais ne vit rien. Il lui parut que la voix sortait de terre. Il s’écria :
– Où es-tu ?
La voix répondit :
– Je suis là, en bas, près des racines du chêne. Fais-moi sortir ! Fais-moi sortir !
L’écolier commença par nettoyer le sol, au pied du chêne, et à chercher du côté des racines. Brusquement, il aperçut une bouteille de verre enfoncée dans une petite excavation. Il la saisit et la tint à la lumière. Il y vit alors une chose qui ressemblait à une grenouille ; elle sautait dans la bouteille.
– Fais-moi sortir ! Fais-moi sortir ! ne cessait-elle de crier.
Sans songer à mal, l’écolier enleva le bouchon. Aussitôt, un esprit sortit de la bouteille, et commença à grandir, à grandir tant et si vite qu’en un instant un personnage horrible, grand comme la moitié de l’arbre se dressa devant le garçon.
– Sais-tu quel sera ton salaire pour m’avoir libéré ? lui demanda-t-il d’une épouvantable voix.
– Non, répondit l’écolier qui ne ressentait aucune crainte. Comment le saurais-je ?
– Je vais te tuer ! hurla l’esprit. Je vais te casser la tête !
– Tu aurais dû me le dire plus tôt, dit le garçon. Je t’aurais laissé où tu étais. Mais tu ne me casseras pas la tête. Tu n’es pas seul à décider !
– Pas seul à décider ! Pas seul à décider ! cria l’esprit. Tu crois ça ! T’imaginerais-tu que c’est pour ma bonté qu’on m’a tenu enfermé si longtemps ? Non ! c’est pour me punir ! je suis le puissant Mercure. Je dois rompre le col à qui me laisse échapper.
– Parbleu ! répondit l’écolier. Pas si vite ! Il faudrait d’abord que je sache si c’était bien toi qui étais dans la petite bouteille et si tu es le véritable esprit. Si tu peux y entrer à nouveau, je te croirai. Après, tu feras ce que tu veux.
Plein de vanité, l’esprit déclara :
– C’est la moindre des chose.
Il se retira en lui-même et se fit aussi mince et petit qu’il l’était au début. De sorte qu’il put passer par l’étroit orifice de la bouteille et s’y faufiler à nouveau.
À peine y fut-il entré que l’écolier remettait le bouchon et lançait la bouteille sous les racines du chêne, là où il l’avait trouvée. L’esprit avait été pris.
Le garçon s’apprêta à rejoindre son père. Mais l’esprit lui cria d’une voix plaintive :
– Fais-moi sortir ! Fais-moi sortir !
– Non ! répondit l’écolier. Pas une deuxième fois ! Quand on a menacé ma vie une fois, je ne libère pas mon ennemi après avoir réussi à le mettre hors d’état de nuire.
– Si tu me rends la liberté, dit l’esprit, je te donnerai tant de richesses que tu en auras assez pour toute ta vie.
– Non ! reprit le garçon. Tu me tromperais comme la première fois.
– Par légèreté, tu vas manquer ta chance, dit l’esprit. Je ne te ferai aucun mal et je te récompenserai richement.
L’écolier pensa : « Je vais essayer. Peut-être tiendra-t-il parole. » Il enleva le bouchon et, comme la fois précédente, l’esprit sortit de la bouteille, grandit et devint gigantesque.
– Je vais te donner ton salaire, dit-il. Il tendit au jeune homme un petit chiffon qui ressemblait à un pansement et dit :
– Si tu en frottes une blessure par un bout, elle guérira. Si, par l’autre bout, tu en frottes de l’acier ou du fer, ils se transformeront en argent.
– Il faut d’abord que j’essaie, dit l’écolier.
Il s’approcha d’un arbre, en fendit l’écorce avec sa hache et toucha la blessure avec un bout du chiffon. Elle se referma aussitôt.
– C’était donc bien vrai, dit-il à l’esprit. Nous pouvons nous séparer.
L’esprit le remercia de l’avoir libéré ; l’écolier le remercia pour son cadeau et partit rejoindre son père.
– Où étais-tu donc ? lui demanda celui-ci. Pourquoi as-tu oublié ton travail ? Je te l’avais bien dit que tu ne t’y ferais pas !
– Soyez tranquille, père, je vais me rattraper.
– Oui, te rattraper ! dit le père avec colère. Ce n’est pas une méthode !
– Regardez, père, je vais frapper cet arbre si fort qu’il en tombera.
Il prit son chiffon, en frotta sa hache et assena un coup formidable. Mais, comme le fer était devenu de l’argent, le fil de la hache s’écrasa.
– Eh ! père, regardez la mauvaise hache que vous m’avez donnée ! La voilà toute tordue.
Le père en fut bouleversé et dit :
– Qu’as-tu fait ! Il va me falloir payer cette hache. Et avec quoi ? Voilà ce que me rapporte ton travail !