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La princesse hésita. Mais le roi lui donna l’ordre d’obéir. Quand la grenouille fut installée sur la chaise, elle demanda à monter sur la table. Et quand elle y fut, elle dit :

– Approche ta petite assiette d’or, nous allons y manger ensemble.

La princesse fit ce qu’on voulait, mais c’était malgré tout de mauvais cœur. La grenouille mangea de bon appétit ; quant à la princesse, chaque bouchée lui restait au travers de la gorge. À la fin, la grenouille dit :

– J’ai mangé à satiété ; maintenant, je suis fatiguée. Conduis-moi dans ta chambrette et prépare ton lit de soie ; nous allons dormir.

La fille du roi se mit à pleurer ; elle avait peur du contact glacé de la grenouille et n’osait pas la toucher. Et maintenant, elle allait dormir dans son joli lit bien propre ! Mais le roi se fâcha et dit :

– Tu n’as pas le droit de mépriser celle qui t’a aidée quand tu étais dans le chagrin.

La princesse saisit la grenouille entre deux doigts, la monta dans sa chambre et la déposa dans un coin. Quand elle fut couchée, la grenouille sauta près du lit et dit :

– Prends-moi, sinon je le dirai à ton père.

La princesse se mit en colère, saisit la grenouille et la projeta de toutes ses forces contre le mur :

– Comme ça tu dormiras, affreuse grenouille !

Mais quand l’animal retomba sur le sol, ce n’était plus une grenouille. Un prince aux beaux yeux pleins d’amitié la regardait. Il en fut fait selon la volonté du père de la princesse. Il devint son compagnon aimé et son époux. Il lui raconta qu’une méchante sorcière lui avait jeté un sort et la princesse seule pouvait l’en libérer. Le lendemain, ils partiraient tous deux pour son royaume. Ils s’endormirent et, au matin, quand le soleil se leva, on vit arriver une voiture attelée de huit chevaux blancs. Ils avaient de blancs plumets sur la tête et leurs harnais étaient d’or. À l’arrière se tenait le valet du jeune roi. C’était le fidèle Henri. Il avait eu tant de chagrin quand il avait vu son seigneur transformé en grenouille qu’il s’était fait bander la poitrine de trois cercles de fer pour que son cœur n’éclatât pas de douleur. La voiture devait emmener le prince dans son royaume. Le fidèle Henri l’y fit monter avec la princesse, et s’installa de nouveau à l’arrière, tout heureux de voir son maître libéré du mauvais sort.

Quand ils eurent roulé pendant quelque temps, le prince entendit des craquements derrière lui, comme si quelque chose se brisait. Il tourna la tête et dit :

– Henri, est-ce l’attelage qui brise ses chaînes ?

– Eh ! non, Seigneur, ce n’est pas la voiture,

Mais de mon cœur l’une des ceintures.

Car j’ai eu tant de peine

Quand vous étiez dans la fontaine,

Transformé en grenouille vilaine !

Par deux fois encore, en cours de route, on entendit des craquements et le prince crut encore que la voiture se brisait. Mais ce n’était que les cercles de fer du fidèle Henri, heureux de voir son seigneur délivré.

Chapitre 25 Frérot et sœurette

Frérot prit sa sœurette par la main et dit :

– Depuis que notre mère est morte, nous ne connaissons plus que le malheur. Notre belle-mère nous bat tous les jours et quand nous voulons nous approcher d’elle, elle nous chasse à coups de pied. Pour nourriture, nous n’avons que de vieilles croûtes de pain, et le petit chien, sous la table, est plus gâté que nous ; de temps à autre, elle lui jette quelques bons morceaux. Que Dieu ait pitié de nous ! Si notre mère savait cela ! Viens, nous allons partir par le vaste monde !

Tout le jour ils marchèrent par les prés, les champs et les pierrailles et quand la pluie se mit à tomber, sœurette dit :

– Dieu et nos cœurs pleurent ensemble !

Au soir, ils arrivèrent dans une grande forêt. Ils étaient si épuisés de douleur, de faim et d’avoir si longtemps marché qu’ils se blottirent au creux d’un arbre et s’endormirent.

Quand ils se réveillèrent le lendemain matin, le soleil était déjà haut dans le ciel et sa chaleur pénétrait la forêt. frérot dit à sa sœur :

– Sœurette, j’ai soif. Si je savais où il y a une source, j’y courrais pour y boire ; il me semble entendre murmurer un ruisseau.

Il se leva, prit Sœurette par la main et ils partirent tous deux à la recherche de la source. Leur méchante marâtre était en réalité une sorcière et elle avait vu partir les enfants. Elles les avait suivis en secret, sans bruit, à la manière des sorcières, et avait jeté un sort sur toutes les sources de la forêt. Quand les deux enfants en découvrirent une qui coulait comme du vif argent sur les pierres, Frérot voulut y boire. Mais Sœurette entendit dans le murmure de l’eau une voix qui disait : « Qui me boit devient tigre. Qui me boit devient tigre. » Elle s’écria :

– Je t’en prie, Frérot, ne bois pas ; sinon tu deviendras une bête sauvage qui me dévorera. Frérot ne but pas, malgré sa grande soif, et dit :

– J’attendrai jusqu’à la prochaine source.

Quand ils arrivèrent à la deuxième source, Sœurette l’entendit qui disait : « Qui me boit devient loup. Qui me boit devient loup. » Elle s’écria :

– Frérot, je t’en prie, ne bois pas sinon tu deviendras loup et tu me mangeras.

Frérot ne but pas et dit :

– J’attendrai que nous arrivions à une troisième source, mais alors je boirai, quoi que tu dises, car ma soif est trop grande.

Quand ils arrivèrent à la troisième source, Sœurette entendit dans le murmure de l’eau : « Qui me boit devient chevreuil. Qui me boit devient chevreuil. » Elle dit :

– Ah ! Frérot, je t’en prie, ne bois pas, sinon tu deviendras chevreuil et tu partiras loin de moi.

Mais déjà Frérot s’était agenouillé au bord de la source, déjà il s’était penché sur l’eau et il buvait. Quand les premières gouttes touchèrent ses lèvres, il fut transformé en jeune chevreuil.

Sœurette pleura sur le sort de Frérot et le petit chevreuil pleura aussi et s’allongea tristement auprès d’elle. Finalement, la petite fille dit :

– Ne pleure pas cher petit chevreuil, je ne t’abandonnerai jamais.

Elle détacha sa jarretière d’or, la mit autour du cou du chevreuil, cueillit des joncs et en tressa une corde souple. Elle y attacha le petit animal et ils s’enfoncèrent toujours plus avant dans la forêt. Après avoir marché longtemps, longtemps, ils arrivèrent à une petite maison. La jeune fille regarda par la fenêtre et, voyant qu’elle était vide, elle se dit : « Nous pourrions y habiter. » Elle ramassa des feuilles et de la mousse et installa une couche bien douce pour le chevreuil. Chaque matin, elle faisait cueillette de racines, de baies et de noisettes pour elle et d’herbe tendre pour Frérot. Il la lui mangeait dans la main, était content et folâtrait autour d’elle. Le soir, quand Sœurette était fatiguée et avait dit sa prière, elle appuyait sa tête sur le dos du chevreuil -c’était un doux oreiller – et s’endormait. Leur existence eût été merveilleuse si Frérot avait eu son apparence humaine !

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