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– Apprends ce que tu veux, dit le père. Ça m’est égal ! Voici cinquante talents, va par le monde et surtout ne dis à personne d’où tu viens et qui est ton père.

– Qu’il en soit fait selon votre volonté, père. Si c’est là tout ce que vous exigez, je m’y tiendrai sans peine.

Quand vint le jour, le jeune homme empocha les cinquante talents et prit la route en se disant : « Si seulement j’avais peur ! si seulement je frissonnais ! »Arrive un homme qui entend les paroles que le garçon se disait à lui-même. Un peu plus loin, à un endroit d’où l’on apercevait des gibets, il lui dit :

– Tu vois cet arbre ? Il y en a sept qui s’y sont mariés avec la fille du cordier et qui maintenant prennent des leçons de vol. Assieds-toi là et attends que tombe la nuit. Tu sauras ce que c’est que de frissonner.

– Si c’est aussi facile que ça, répondit le garçon, c’est comme si c’était déjà fait. Si j’apprends si vite à frissonner, je te donnerai mes cinquante talents. Tu n’as qu’à revenir ici demain matin.

Le jeune homme s’installa sous la potence et attendit que vînt le soir. Et comme il avait froid, il alluma du feu. À minuit le vent était devenu si glacial que, malgré le feu, il ne parvenait pas à se réchauffer. Et les pendus s’entrechoquaient en s’agitant de-ci, de-là. Il pensa : « Moi, ici, près du feu, je gèle. Comme ils doivent avoir froid et frissonner, ceux qui sont là-haut ! » Et, comme il les prenait en pitié, il appliqua l’échelle contre le gibet, l’escalada, décrocha les pendus les uns après les autres et les descendit tous les sept. Il attisa le feu, souffla sur les braises et disposa les pendus tout autour pour les réchauffer. Comme ils ne bougeaient pas et que les flammes venaient lécher leurs vêtements, il dit :

– Faites donc attention ! Sinon je vais vous rependre là-haut !

Les morts, cependant, n’entendaient rien, se taisaient et laissaient brûler leurs loques. Le garçon finit par se mettre en colère.

– Si vous ne faites pas attention, dit-il, je n’y puis rien ! je n’ai pas envie de brûler avec vous.

Et, l’un après l’autre, il les raccrocha au gibet. Il se coucha près du feu et s’endormit. Le lendemain, l’homme s’en vint et lui réclama les cinquante talents :

– Alors, sais-tu maintenant ce que c’est que d’avoir le frisson ? lui dit-il.

– Non, répondit le garçon. D’où le saurais-je ? Ceux qui sont là-haut n’ont pas ouvert la bouche, et ils sont si bêtes qu’ils ont laissé brûler les quelques hardes qu’ils ont sur le dos.

L’homme comprit qu’il n’obtiendrait pas les cinquante talents ce jour-là et s’en alla en disant : « Je n’ai jamais vu un être comme celui-là ! »

Le jeune homme reprit également sa route et se dit à nouveau, parlant à haute voix.

– Ah ! si seulement j’avais peur ! Si seulement je savais frissonner !

Un cocher qui marchait derrière lui l’entendit et demanda :

– Qui es-tu ?

– Je ne sais pas, répondit le garçon.

Le cocher reprit :

– D’où viens-tu ?

– Je ne sais pas, rétorqua le jeune homme.

– Qui est ton père ?

– Je n’ai pas le droit de le dire.

– Que marmonnes-tu sans cesse dans ta barbe ?

– Eh ! répondit le garçon, je voudrais frissonner. Mais personne ne peut me dire comment j’y arriverai.

– Cesse de dire des bêtises ! reprit le cocher. Viens avec moi !

Le jeune homme accompagna donc le cocher et, le soir, ils arrivèrent à une auberge avec l’intention d’y passer la nuit. En entrant dans sa chambre, le garçon répéta à haute et intelligible voix :

– Si seulement j’avais peur ! Si seulement je savais frissonner !

L’aubergiste l’entendit et dit en riant :

– Si vraiment ça te fait plaisir, tu en auras sûrement l’occasion chez moi.

– Tais-toi donc ! dit sa femme. À être curieux, plus d’un a déjà perdu la vie, et ce serait vraiment dommage pour ses jolis yeux s’ils ne devaient plus jamais voir la lumière du jour.

Mais le garçon répondit :

– Même s’il fallait en arriver là, je veux apprendre à frissonner. C’est d’ailleurs pour ça que je voyage.

Il ne laissa à l’aubergiste ni trêve ni repos jusqu’à ce qu’il lui dévoilât son secret. Non loin de là, se trouvait un château maudit, dans lequel il pourrait certainement apprendre ce que c’était que d’avoir peur, en y passant seulement trois nuits. Le roi avait promis sa fille en mariage à qui tenterait l’expérience et cette fille était la plus belle qu’on eût jamais vue sous le soleil. Il y avait aussi au château de grands trésors gardés par de mauvais génies dont la libération pourrait rendre un pauvre très riche. Bien des gens étaient déjà entrés au château, mais personne n’en était jamais ressorti. Le lendemain, le jeune homme se rendit auprès du roi :

– Si vous le permettez, je voudrais bien passer trois nuits dans le château.

Le roi l’examina, et comme il lui plaisait, il répondit :

– Tu peux me demander trois choses. Mais aucune d’elles ne saurait être animée et tu pourras les emporter avec toi au château.

Le garçon lui dit alors :

– Eh bien ! je vous demande du feu, un tour et un banc de ciseleur avec un couteau.

Le jour même, le roi fit porter tout cela au château. À la tombée de la nuit, le jeune homme s’y rendit, alluma un grand feu dans une chambre, installa le tabouret avec le couteau tout à côté et s’assit sur le tour.

– Ah ! si seulement je pouvais frissonner ! dit-il. Mais ce n’est pas encore ici que je saurai ce que c’est.

Vers minuit, il entreprit de ranimer son feu. Et comme il soufflait dessus, une voix retentit tout à coup dans un coin de la chambre :

– Hou, miaou, comme nous avons froid !

– Bande de fous ! s’écria-t-il. Pourquoi hurlez-vous comme ça ? Si vous avez froid, venez ici, asseyez-vous près du feu et réchauffez-vous !

À peine eut-il prononcé ces paroles que deux gros chats noirs, d’un bond formidable, sautèrent vers lui et s’installèrent de part et d’autre du garçon en le regardant d’un air sauvage avec leurs yeux de braise. Quelque temps après, s’étant réchauffés, ils dirent :

– Si nous jouions aux cartes, camarade ?

– Pourquoi pas ! répondit-il, mais montrez-moi d’abord vos pattes.

Les chats sortirent leurs griffes.

– Holà ! dit-il. Que vos ongles sont longs ! attendez ! il faut d’abord que je vous les coupe.

Il les prit par la peau du dos, les posa sur l’étau et leur y coinça les pattes.

Are sens