La tête répond :
« Ô ! toi ma princesse, qui par là te rend
Si ta mère savait cela
Son cœur volerait en éclats ! »
Et Kurt raconta aussi ce qui se passait ensuite dans le pré aux oies et comment il était obligé de courir après son chapeau.
Le vieux roi lui donna ordre d’agir le lendemain comme de coutume et, au matin, il se tint lui-même sous la porte sombre et entendit comment la jeune fille parlait à la tête de Falada. Il les suivit ensuite dans les champs et se cacha dans un buisson. Bientôt, il vit de ses propres yeux comment le garçon et la gardeuse d’oies amenaient le troupeau et comment, après quelque temps, la jeune fille s’asseyait et laissait couler ses cheveux d’or. Et de nouveau elle dit :
« Je pleure, je pleure, brise légère !
De Kurt bien vite prend le bonnet
Et qu’il coure après sa coiffure chère
Jusqu’à ce que de nouveau mes cheveux soient nets. »
Le vent souffla et emporta le chapeau de Kurt qui dut le poursuivre au loin. La gardeuse d’oies peigna ses cheveux et enroula ses boucles. Le vieux roi vit tout cela. Sans qu’on l’eût aperçu, il quitta les lieux. Lorsque, le soir venu, la jeune fille fut rentrée, il la fit mander et lui demanda pourquoi elle agissait ainsi :
– Je ne puis vous le dire, répondit-elle. Et je ne peux dire mon malheur à personne au monde, je l’ai juré devant Dieu pour éviter que l’on ne me tue.
Le roi essaya de la contraindre à parler, mais il ne put rien en tirer. Alors il dit :
– Si tu ne veux rien me dire, raconte ta peine au fourneau.
Et il s’en alla. Elle s’accroupit près du poêle, gémit et pleura, vidant son cœur et disant :
– Me voilà ici, abandonnée du monde entier, quoique fille du roi. Une méchante camériste m’a obligée par la menace à lui donner mes habits royaux. Elle a pris ma place auprès de mon fiancé et je suis contrainte au travail vulgaire de gardeuse d’oies. Si ma mère le savait, de douleur, son cœur volerait en éclats.
Le vieux roi se tenait de l’autre côté du mur, l’oreille collée à la cheminée. Il avait entendu tout ce qu’elle avait dit. Il revint et la fit quitter le poêle.
On lui apporta des vêtements royaux et elle était si belle que c’était miracle. Le vieux roi appela son fils et lui expliqua qu’il avait choisi une fausse fiancée, qui était en réalité une camériste. La véritable fiancée se tenait devant lui ; c’était la gardeuse d’oies. Le prince fut rempli de joie en la voyant si belle et si vertueuse. On prépara un grand repas auquel furent invités tous les amis et connaissances. Au bout de la table se tenaient le fiancé et la princesse et, en face d’eux, la camériste. Celle-ci était éblouie et elle ne reconnaissait pas sa maîtresse dans cette jeune fille magnifiquement parée. Quand ils eurent mangé et bu et que tout le monde fut de bonne humeur, le vieux roi proposa une devinette à la camériste. Elle devait dire ce que valait une femme qui avait trompé son seigneur. Il lui raconta toute l’histoire et demanda :
– Quelle peine a-t-elle méritée ?
– Elle ne vaut pas plus que d’être enfouie toute nue dans un tonneau bardé de clous pointus à l’intérieur. Et il faut y atteler deux chevaux blancs qui la tireront de rue en rue j’usqu’à ce qu’elle meure.
– Cette femme, c’est toi, dit le vieux roi. Tu as prononcé ton propre verdict et tu seras traitée comme tu l’as dit.
Quand la peine fut exécutée, le prince épousa sa véritable fiancée et ils régnèrent sur le pays dans la paix et la félicité.
Chapitre 27 Hansel et Gretel
A l’orée d’une grande forêt vivaient un pauvre bûcheron, sa femme et ses deux enfants. Le garçon s’appelait Hansel et la fille Grethel. La famille ne mangeait guère. Une année que la famine régnait dans le pays et que le pain lui-même vint à manquer, le bûcheron ruminait des idées noires, une nuit, dans son lit et remâchait ses soucis. Il dit à sa femme
– Qu’allons-nous devenir ? Comment nourrir nos pauvres enfants, quand nous n’avons plus rien pour nous-mêmes ?
– Eh bien, mon homme, dit la femme, sais-tu ce que nous allons faire ? Dès l’aube, nous conduirons les enfants au plus profond de la forêt nous leur allumerons un feu et leur donnerons à chacun un petit morceau de pain. Puis nous irons à notre travail et les laisserons seuls. Ils ne retrouveront plus leur chemin et nous en serons débarrassés.
– Non, femme, dit le bûcheron. je ne ferai pas cela ! Comment pourrais-je me résoudre à laisser nos enfants tout seuls dans la forêt ! Les bêtes sauvages ne tarderaient pas à les dévorer.
– Oh ! fou, rétorqua-t-elle, tu préfères donc que nous mourions de faim tous les quatre ? Alors, il ne te reste qu’à raboter les planches de nos cercueils.
Elle n’eut de cesse qu’il n’acceptât ce qu’elle proposait.
– Mais j’ai quand même pitié de ces pauvres enfants, dit le bûcheron.
Les deux petits n’avaient pas pu s’endormir tant ils avaient faim. Ils avaient entendu ce que la marâtre disait à leur père. Grethel pleura des larmes amères et dit à son frère :
– C’en est fait de nous
– Du calme, Grethel, dit Hansel. Ne t’en fais pas ; Je trouverai un moyen de nous en tirer.
Quand les parents furent endormis, il se leva, enfila ses habits, ouvrit la chatière et se glissa dehors. La lune brillait dans le ciel et les graviers blancs, devant la maison, étincelaient comme des diamants. Hansel se pencha et en mit dans ses poches autant qu’il put. Puis il rentra dans la maison et dit à Grethel :
– Aie confiance, chère petite sœur, et dors tranquille. Dieu ne nous abandonnera pas.
Et lui-même se recoucha.
Quand vint le jour, avant même que le soleil ne se levât, la femme réveilla les deux enfants :
– Debout, paresseux ! Nous allons aller dans la forêt pour y chercher du bois. Elle leur donna un morceau de pain à chacun et dit :
– Voici pour le repas de midi ; ne mangez pas tout avant, car vous n’aurez rien d’autre.
Comme les poches de Hansel étaient pleines de cailloux, Grethel mit le pain dans son tablier. Puis, ils se mirent tous en route pour la forêt. Au bout de quelque temps, Hansel s’arrêta et regarda en direction de la maison. Et sans cesse, il répétait ce geste. Le père dit :