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Chapitre 12 Le Conte du genévrier

Il y a de cela bien longtemps, au moins deux mille ans, vivait un homme riche qui avait une femme de grande beauté, honnête et pieuse ; ils s’aimaient tous les deux d’un grand amour, mais ils n’avaient pas d’enfant et ils en désiraient tellement, et la femme priait beaucoup, beaucoup, nuit et jour pour avoir un enfant ; mais elle n’arrivait pas, non, elle n’arrivait pas à en avoir.

Devant leur maison s’ouvrait une cour où se dressait un beau genévrier, et une fois, en hiver, la femme était sous le genévrier et se pelait une pomme ; son couteau glissa et elle se coupa le doigt assez profondément pour que le sang fît quelques taches dans la neige. La femme regarda le sang devant elle, dans la neige, et soupira très fort en se disant, dans sa tristesse : « Oh ! si j’avais un enfant, si seulement j’avais un enfant vermeil comme le sang et blanc comme la neige ! » Dès qu’elle eut dit ces mots, elle se sentit soudain toute légère et toute gaie avec le sentiment que son vœu serait réalisé. Elle rentra dans la maison et un mois passa : la neige disparut ; un deuxième mois, et tout avait reverdi ; un troisième mois, et la terre se couvrit de fleurs ; un quatrième mois, et dans la forêt, les arbres étaient tout épais et leurs branches vertes s’entrecroisaient sans presque laisser de jour : les oiseaux chantaient en foule et tout le bois retentissait de leur chant, les arbres perdaient leurs fleurs qui tombaient sur le sol ; le cinquième mois passé, elle était un jour sous le genévrier et cela sentait si bon que son cœur déborda de joie et qu’elle en tomba à genoux, tant elle se sentait heureuse ; puis le sixième mois s’écoula, et les fruits se gonflèrent, gros et forts, et la femme devint toute silencieuse ; le septième mois passé, elle cueillit les baies du genévrier et les mangea toutes avec avidité, et elle devint triste et malade ; au bout du huitième mois, elle appela son mari et lui dit en pleurant :

– Quand je mourrai, enterre-moi sous le genévrier.

Elle en éprouva une immense consolation, se sentit à nouveau pleine de confiance et heureuse jusqu’à la fin du neuvième mois. Alors elle mit au monde un garçon blanc comme la neige et vermeil comme le sang, et lorsqu’elle le vit, elle en fut tellement heureuse qu’elle en mourut.

Son mari l’enterra alors sous le genévrier et la pleura tant et tant : il ne faisait que la pleurer tout le temps. Mais un jour vint qu’il commença à la pleurer moins fort et moins souvent, puis il ne la pleura plus que quelquefois de temps à autre ; puis il cessa de la pleurer tout à fait. Un peu de temps passa encore, maintenant qu’il ne la pleurait plus, et ensuite il prit une autre femme.

De cette seconde épouse, il eut une fille ; et c’était un garçon qu’il avait de sa première femme : un garçon vermeil comme le sang et blanc comme la neige. La mère, chaque fois qu’elle regardait sa fille, l’aimait beaucoup, beaucoup ; mais si elle regardait le petit garçon, cela lui écorchait le cœur de le voir ; il lui semblait qu’il empêchait tout, qu’il était toujours là en travers, qu’elle l’avait dans les jambes continuellement ; et elle se demandait comment faire pour que toute la fortune revînt à sa fille, elle y réfléchissait, poussée par le Malin, et elle se prit à détester le petit garçon qu’elle n’arrêtait pas de chasser d’un coin à l’autre, le frappant ici, le pinçant là, le maltraitant sans cesse, de telle sorte que le pauvre petit ne vivait plus que dans la crainte. Quand il revenait de l’école, il n’avait plus un instant de tranquillité.

Un jour, la femme était dans la chambre du haut et la petite fille monta la rejoindre en lui disant :

– Mère, donne-moi une pomme !

– Oui, mon enfant ! lui dit sa mère, en lui choisissant dans le bahut la plus belle pomme qu’elle put trouver.

Ce bahut, où l’on mettait les pommes, avait un couvercle épais et pesant muni d’une serrure tranchante, en fer.

– Mère, dit la petite fille, est-ce que mon frère n’en aura pas une aussi ?

La femme en fut agacée, mais elle répondit quand même :

– Bien sûr, quand il rentrera de l’école.

Mais quand elle le vit qui revenait, en regardant par la fenêtre, ce fut vraiment comme si le Malin l’avait possédée : elle reprit la pomme qu’elle avait donnée à sa fille, en lui disant :

– Tu ne dois pas l’avoir avant ton frère.

Et elle la remit dans le bahut, dont elle referma le pesant couvercle.

Et lorsque le petit garçon fut arrivé en haut, le Malin lui inspira son accueil aimable et ses paroles gentilles :

– Veux-tu une pomme, mon fils ?

Mais ses regards démentaient ses paroles car elle fixait sur lui des yeux féroces, si féroces que le petit garçon lui dit :

– Mère, tu as l’air si terrible : tu me fais peur. Oui, je voudrais bien une pomme.

Sentant qu’il lui fallait insister, elle lui dit :

– Viens avec moi ! et, l’amenant devant le gros bahut, elle ouvrit le pesant couvercle et lui dit :

– Tiens ! prends toi-même la pomme que tu voudras !

Le petit garçon se pencha pour prendre la pomme, et alors le Diable la poussa et boum ! elle rabattit le lourd couvercle avec une telle force que la tête de l’enfant fut coupée et roula au milieu des pommes rouges.

Alors elle fut prise de terreur (mais alors seulement) et pensa :

« Ah ! si je pouvais éloigner de moi ce que j’ai fait ! »

Elle courut dans une autre pièce, ouvrit une commode pour y prendre un foulard blanc, puis elle revint au coffre, replaça la tête sur son cou, la serra dans le foulard pour qu’on ne puisse rien voir et assit le garçon sur une chaise, devant la porte, avec une pomme dans la main.

La petite Marlène, sa fille, vint la retrouver dans la cuisine et lui dit, tout en tournant une cuillère dans une casserole qu’elle tenait sur le feu :

– Oh ! mère, mon frère est assis devant la porte et il est tout blanc ; il tient une pomme dans sa main, et quand je lui ai demandé s’il voulait me la donner, il ne m’a pas répondu. J’ai peur !

– Retournes-y, dit la mère, et s’il ne te répond pas, flanque-lui une bonne claque !

La petite Marlène courut à la porte et demanda :

– Frère, donne-moi la pomme, tu veux ?

Mais il resta muet et elle lui donna une gifle bien sentie, en y mettant toutes ses petites forces. La tête roula par terre et la fillette eut tellement peur qu’elle se mit à hurler en pleurant, et elle courut, toute terrifiée, vers sa mère :

– Oh ! mère, j’ai arraché la tête de mon frère !

Elle sanglotait, sanglotait à n’en plus finir, la pauvre petite Marlène. Elle en était inconsolable.

– Marlène, ma petite fille, qu’as-tu fait ? dit la mère. Quel malheur ! Mais à présent tiens-toi tranquille et ne dis rien, que personne ne le sache, puisqu’il est trop tard pour y changer quelque chose et qu’on n’y peut rien. Nous allons le faire cuire en ragoût, à la sauce brune.

La mère alla chercher le corps du garçonnet et le coupa en menus morceaux pour le mettre à la sauce brune et le faire cuire en ragoût. Mais la petite Marlène ne voulait pas s’éloigner et pleurait, pleurait et pleurait, et ses larmes tombaient dans la marmite, tellement qu’il ne fallut pas y mettre de sel.

Le père rentra à la maison pour manger, se mit à table et demanda :

– Où est mon fils ?

La mère vint poser sur la table une pleine marmite de ragoût à la sauce brune et petite Marlène pleurait sans pouvoir s’en empêcher. Une seconde fois, le père demanda

– Mais où est donc mon fils ?

– Oh ! dit la mère, il est allé à la campagne chez sa grand-tante ; il y restera quelques jours.

– Mais que va-t-il faire là-bas ? demanda le père et il est parti sans seulement me dire au revoir !

– Il avait tellement envie d’y aller, répondit la femme ; il m’a demandé s’il pouvait y rester six semaines et je le lui ai permis. Il sera bien là-bas.

– Je me sens tout attristé, dit le père ; ce n’est pas bien qu’il soit parti sans rien me dire. Il aurait pu quand même me dire adieu !

Tout en parlant de la sorte, le père s’était mis à manger ; mais il se tourna vers l’enfant qui pleurait et lui demanda :

– Marlène, mon petit, pourquoi pleures-tu ? Ton frère va revenir bientôt.

Puis il se tourna vers sa femme :

– 0 femme, lui dit-il, quel bon plat tu as fait là ! Sers-m’en encore.

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