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Ils se regardèrent sans prononcer un mot, puis ils rentrèrent dans la maison. Que devaient-ils faire ?

Les convicts au plateau de Grande-vue, c’était le désastre, la dévastation, la ruine !

Harbert, en voyant rentrer l’ingénieur, le reporter et Pencroff, comprit que la situation venait de s’aggraver, et quand il aperçut Jup, il ne douta plus qu’un malheur ne menaçât Granite-House.

« Monsieur Cyrus, dit-il, je veux partir. Je puis supporter la route ! Je veux partir ! »

Gédéon Spilett s’approcha d’Harbert. Puis, après l’avoir regardé.

« Partons donc ! » dit-il.

La question fut vite décidée de savoir si Harbert serait transporté sur une civière ou dans le chariot qui avait été amené par Ayrton au corral. La civière aurait eu des mouvements plus doux pour le blessé, mais elle nécessitait deux porteurs, c’est-à-dire que deux fusils manqueraient à la défense, si une attaque se produisait en route.

Ne pouvait-on, au contraire, en employant le chariot, laisser tous les bras disponibles ? Était-il donc impossible d’y placer les matelas sur lesquels reposait Harbert et de s’avancer avec tant de précaution que tout choc lui fût évité ? On le pouvait.

Le chariot fut amené. Pencroff y attela l’onagga.

Cyrus Smith et le reporter soulevèrent les matelas d’Harbert, et ils les posèrent sur le fond du chariot entre les deux ridelles.

Le temps était beau. De vifs rayons de soleil se glissaient à travers les arbres.

« Les armes sont-elles prêtes ? » demanda Cyrus Smith.

Elles l’étaient. L’ingénieur et Pencroff, armés chacun d’un fusil à deux coups, et Gédéon Spilett, tenant sa carabine, n’avaient plus qu’à partir.

« Es-tu bien, Harbert ? demanda l’ingénieur.

– Ah ! Monsieur Cyrus, répondit le jeune garçon, soyez tranquille, je ne mourrai pas en route ! »

En parlant ainsi, on voyait que le pauvre enfant faisait appel à toute son énergie, et que, par une suprême volonté, il retenait ses forces prêtes à s’éteindre.

L’ingénieur sentit son cœur se serrer douloureusement.

Il hésita encore à donner le signal du départ. Mais c’eût été désespérer Harbert, le tuer peut-être.

« En route ! » dit Cyrus Smith.

La porte du corral fut ouverte. Jup et Top, qui savaient se taire à propos, se précipitèrent en avant. Le chariot sortit, la porte fut refermée, et l’onagga, dirigé par Pencroff, s’avança d’un pas lent.

Certes, mieux aurait valu prendre une route autre que celle qui allait directement du corral à Granite-House, mais le chariot eût éprouvé de grandes difficultés à se mouvoir sous bois. Il fallut donc suivre cette voie, bien qu’elle dût être connue des convicts.

Cyrus Smith et Gédéon Spilett marchaient de chaque côté du chariot, prêts à répondre à toute attaque. Toutefois, il n’était pas probable que les convicts eussent encore abandonné le plateau de Grande-vue. Le billet de Nab avait évidemment été écrit et envoyé dès que les convicts s’y étaient montrés. Or, ce billet était daté de six heures du matin, et l’agile orang, habitué à venir fréquemment au corral, avait mis à peine trois quarts d’heure à franchir les cinq milles qui le séparaient de Granite-House. La route devait donc être sûre en ce moment, et, s’il y avait à faire le coup de feu, ce ne serait vraisemblablement qu’aux approches de Granite-House.

Cependant, les colons se tenaient sévèrement sur leurs gardes. Top et Jup, celui-ci armé de son bâton, tantôt en avant, tantôt battant le bois sur les côtés du chemin, ne signalaient aucun danger.

Le chariot avançait lentement, sous la direction de Pencroff. Il avait quitté le corral à sept heures et demie. Une heure après, quatre milles sur cinq avaient été franchis, sans qu’il se fût produit aucun incident.

La route était déserte comme toute cette partie du bois de jacamar qui s’étendait entre la Mercy et le lac. Aucune alerte n’eut lieu. Les taillis semblaient être aussi déserts qu’au jour où les colons atterrirent sur l’île.

On approchait du plateau. Un mille encore, et on apercevrait le ponceau du creek glycérine. Cyrus Smith ne doutait pas que ce ponceau ne fût en place, soit que les convicts fussent entrés par cet endroit, soit que, après avoir passé un des cours d’eau qui fermaient l’enceinte, ils eussent pris la précaution de l’abaisser, afin de se ménager une retraite. Enfin, la trouée des derniers arbres laissa voir l’horizon de mer. Mais le chariot continua sa marche, car aucun de ses défenseurs ne pouvait songer à l’abandonner. En ce moment, Pencroff arrêta l’onagga, et d’une voix terrible :

« Ah ! Les misérables ! » s’écria-t-il.

Et de la main il montra une épaisse fumée qui tourbillonnait au-dessus du moulin, des étables et des bâtiments de la basse-cour. Un homme s’agitait au milieu de ces vapeurs.

C’était Nab.

Ses compagnons poussèrent un cri. Il les entendit et courut à eux…

Les convicts avaient abandonné le plateau depuis une demi-heure environ, après l’avoir dévasté !

« Et M Harbert ? » s’écria Nab.

Gédéon Spilett revint en ce moment au chariot.

Harbert avait perdu connaissance !


CHAPITRE X

Des convicts, des dangers qui menaçaient Granite-House, des ruines dont le plateau était couvert, il ne fut plus question. L’état d’Harbert dominait tout. Le transport lui avait-il été funeste, en provoquant quelque lésion intérieure ? Le reporter ne pouvait le dire, mais ses compagnons et lui étaient désespérés.

Le chariot fut amené au coude de la rivière. Là, quelques branches, disposées en forme de civière, reçurent les matelas sur lesquels reposait Harbert évanoui. Dix minutes après, Cyrus Smith, Gédéon Spilett et Pencroff étaient au pied de la muraille, laissant à Nab le soin de reconduire le chariot sur le plateau de Grande-vue.

L’ascenseur fut mis en mouvement, et bientôt Harbert était étendu sur sa couchette de Granite-House.

Les soins qui lui furent prodigués le ramenèrent à la vie. Il sourit un instant en se retrouvant dans sa chambre, mais il put à peine murmurer quelques paroles, tant sa faiblesse était grande.

Gédéon Spilett visita ses plaies. Il craignait qu’elles ne se fussent rouvertes, étant imparfaitement cicatrisées… il n’en était rien.

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