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– Oui… il le faut… répondit l’ingénieur en réfléchissant. Et vous n’avez pas vu trace d’êtres humains sur cette côte ?

– Pas trace, répondit le reporter. D’ailleurs, si par hasard quelque sauveur se fût rencontré là, juste à point, pourquoi vous aurait-il abandonné après vous avoir arraché aux flots ?

– Vous avez raison, mon cher Spilett. – Dis-moi, Nab, ajouta l’ingénieur en se tournant vers son serviteur, ce n’est pas toi qui… tu n’aurais pas eu un moment d’absence… pendant lequel… Non, c’est absurde… Est-ce qu’il existe encore quelques-unes de ces empreintes ? demanda Cyrus Smith.

– Oui, mon maître, répondit Nab, tenez, à l’entrée, sur le revers même de cette dune, dans un endroit abrité du vent et de la pluie. Les autres ont été effacées par la tempête.

– Pencroff, répondit Cyrus Smith, voulez-vous prendre mes souliers, et voir s’ils s’appliquent absolument à ces empreintes ! »

Le marin fit ce que demandait l’ingénieur. Harbert et lui, guidés par Nab, allèrent à l’endroit où se trouvaient les empreintes, pendant que Cyrus Smith disait au reporter :

« Il s’est passé là des choses inexplicables !

– Inexplicables, en effet ! répondit Gédéon Spilett.

– Mais n’y insistons pas en ce moment, mon cher Spilett, nous en causerons plus tard. »

Un instant après, le marin, Nab et Harbert rentraient.

Il n’y avait pas de doute possible. Les souliers de l’ingénieur s’appliquaient exactement aux empreintes conservées. Donc, c’était Cyrus Smith qui les avait laissées sur le sable.

« Allons, dit-il, c’est moi qui aurai éprouvé cette hallucination, cette absence que je mettais au compte de Nab ! J’aurai marché comme un somnambule, sans avoir conscience de mes pas, et c’est Top qui, dans son instinct, m’aura conduit ici, après m’avoir arraché des flots… Viens, Top ! Viens, mon chien ! »

Le magnifique animal bondit jusqu’à son maître, en aboyant, et les caresses ne lui furent pas épargnées.

On conviendra qu’il n’y avait pas d’autre explication à donner aux faits qui avaient amené le sauvetage de Cyrus Smith, et qu’à Top revenait tout l’honneur de l’affaire.

Vers midi, Pencroff ayant demandé à Cyrus Smith si l’on pouvait le transporter, Cyrus Smith, pour toute réponse, et par un effort qui attestait la volonté la plus énergique, se leva.

Mais il dut s’appuyer sur le marin, car il serait tombé.

« Bon ! bon ! fit Pencroff ! – La litière de monsieur l’ingénieur. »

La litière fut apportée. Les branches transversales avaient été recouvertes de mousses et de longues herbes. On y étendit Cyrus Smith, et l’on se dirigea vers la côte, Pencroff à une extrémité des brancards, Nab à l’autre.

C’étaient huit milles à franchir, mais comme on ne pourrait aller vite, et qu’il faudrait peut-être s’arrêter fréquemment, il fallait compter sur un laps de six heures au moins, avant d’avoir atteint les Cheminées.

Le vent était toujours violent, mais heureusement il ne pleuvait plus. Tout couché qu’il fut, l’ingénieur, accoudé sur son bras, observait la côte, surtout dans la partie opposée à la mer. Il ne parlait pas, mais il regardait, et certainement le dessin de cette contrée avec ses accidents de terrain, ses forêts, ses productions diverses, se grava dans son esprit.

Cependant, après deux heures de route, la fatigue l’emporta, et il s’endormit sur la litière.

À cinq heures et demie, la petite troupe arrivait au pan coupé, et, un peu après, devant les Cheminées.

Tous s’arrêtèrent, et la litière fut déposée sur le sable. Cyrus Smith dormait profondément et ne se réveilla pas.

Pencroff, à son extrême surprise, put alors constater que l’effroyable tempête de la veille avait modifié l’aspect des lieux. Des éboulements assez importants s’étaient produits. De gros quartiers de roche gisaient sur la grève, et un épais tapis d’herbes marines, varechs et algues, couvrait tout le rivage. Il était évident que la mer, passant par-dessus l’îlot, s’était portée jusqu’au pied de l’énorme courtine de granit. Devant l’orifice des Cheminées, le sol, profondément raviné, avait subi un violent assaut des lames.

Pencroff eut comme un pressentiment qui lui traversa l’esprit. Il se précipita dans le couloir.

Presque aussitôt, il en sortait, et demeurait immobile, regardant ses compagnons…

Le feu était éteint. Les cendres noyées n’étaient plus que vase. Le linge brûlé, qui devait servir d’amadou, avait disparu. La mer avait pénétré jusqu’au fond des couloirs, et tout bouleversé, tout détruit à l’intérieur des Cheminées !


CHAPITRE IX

En quelques mots, Gédéon Spilett, Harbert et Nab furent mis au courant de la situation. Cet accident, qui pouvait avoir des conséquences fort graves, – du moins Pencroff l’envisageait ainsi, – produisit des effets divers sur les compagnons de l’honnête marin.

Nab, tout à la joie d’avoir retrouvé son maître, n’écouta pas, ou plutôt ne voulut pas même se préoccuper de ce que disait Pencroff.

Harbert, lui, parut partager dans une certaine mesure les appréhensions du marin.

Quant au reporter, aux paroles de Pencroff, il répondit simplement :

« Sur ma foi, Pencroff, voilà qui m’est bien égal !

– Mais, je vous répète que nous n’avons plus de feu !

– Peuh !

– Ni aucun moyen de le rallumer.

– Baste !

– Pourtant, Monsieur Spilett…

– Est-ce que Cyrus n’est pas là ? répondit le reporter. Est-ce qu’il n’est pas vivant, notre ingénieur ? Il trouvera bien le moyen de nous faire du feu, lui !

– Et avec quoi ?

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