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L’Art de perdre - Dynamic layout 145x × 220x Alice Zeniter
L’Art de perdre
roman
Flammarion
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L’Art de perdre - Dynamic layout 145x × 220x Pour le poème p. 496 :
Elizabeth Bishop, Geography III, 1977
© Circé, 1991, traduction d’Alix Cléo-Roubaud, Linda Orr et Claude Mouchard
© Flammarion/Albin Michel, 2017
ISBN 978-2-0813-9553-4
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L’Art de perdre - Dynamic layout 145x × 220x Prologue
Depuis quelques années, Naïma expérimente un nouveau type de détresse : celui qui vient désormais de façon systématique avec les gueules de bois. Il ne s’agit pas simplement d’un mal de crâne, d’une bouche pâteuse ou d’un ventre tordu et inopérant. Lorsqu’elle ouvre les yeux après une soirée trop arrosée (elle a dû les espacer davantage, elle ne pouvait pas supporter qu’il s’agisse d’une misère hebdomadaire, encore moins bihebdomadaire), la première phrase qui lui vient à l’esprit est :
Je ne vais pas y arriver.
Pendant quelque temps, elle s’est demandé à quoi se rappor-tait cet échec certain. La phrase pouvait évoquer son incapacité à supporter la honte que lui procure chaque fois son compor-tement de la veille (tu parles trop fort, tu inventes des histoires, tu recherches systématiquement l’attention, tu es vulgaire), ou le regret d’avoir tant bu et de ne pas savoir s’arrêter (c’est toi qui as crié : « Allez, là, oh, on ne va pas rentrer se coucher comme ça ! »). La phrase pouvait aussi se rattacher au mal-être physique qui la broie… Et puis elle a compris.
Pendant les journées de gueule de bois, elle touche du doigt l’extrême difficulté que représente être vivant et que la volonté réussit d’ordinaire à masquer.
Je ne vais pas y arriver.
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L’Art de perdre - Dynamic layout 145x × 220x Globalement. À me lever chaque matin. À manger trois fois par jour. À aimer. À ne plus aimer. À me brosser les cheveux.
À penser. À bouger. À respirer. À rire.
Il arrive qu’elle ne puisse pas le cacher et que l’aveu lui échappe lorsqu’elle entre dans la galerie.
— Comment tu te sens ?
— Je ne vais pas y arriver.
Kamel et Élise rient ou haussent les épaules. Ils ne comprennent pas. Naïma les regarde évoluer dans la salle d’exposition avec une gestuelle à peine ralentie par les excès de la veille, épargnés par cette révélation qui l’écrase : la vie quotidienne est une discipline de haut niveau et elle vient de se disqualifier.
Comme elle n’arrive à rien, il faut que les journées de gueule de bois soient vides de tout. Des bonnes choses qui ne pour-raient que s’y gâcher et des mauvaises qui ne rencontreraient aucune résistance et détruiraient tout à l’intérieur.
La seule chose que les journées de gueule de bois tolèrent, ce sont des assiettes de pâtes avec un peu de beurre et de sel : des quantités rassurantes et un goût neutre, presque inexistant.