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mais il y aurait dans la réunion de ces appréciations mêmes de quoi me fortifier, si j’avais besoin d’être fortifié au moment de combattre les attaques du ministère public.

Pourtant, au milieu de toutes ces appréciations de la littérature contemporaine, il y en a une que je veux vous dire. Il y en a une, qui n’est pas seulement respectée par nous à raison d’un beau et d’un grand caractère, qui, au milieu même de l’adversité, de la souffrance, contre lesquelles il lutte courageusement chaque jour, grand par le souvenir de beaucoup d’actions inutiles à rappeler ici, mais grand par des œuvres littéraires qu’il faut rappeler parce que c’est là ce qui fait sa compétence, grand surtout par la pureté qui existe dans toutes ses œuvres, par la chasteté de tous ses écrits : Lamartine.

Lamartine ne connaissait pas mon client ; il ne 789

savait pas qu’il existât. Lamartine à la campagne, chez lui, avait lu, dans chacun des numéros de la Revue de Paris, la publication de Madame

Bovary, et Lamartine avait trouvé là des impressions telles, qu’elles se sont reproduites toutes les fois que je vais vous dire maintenant.

Il y a quelques jours, Lamartine est revenu à Paris, et le lendemain il s’est informé de la demeure de M. Gustave Flaubert. Il a envoyé à la Revue savoir la demeure d’un M. Gustave Flaubert, qui avait publié dans le recueil des articles sous le titre de Madame Bovary. Il a chargé son secrétaire d’aller faire à M. Flaubert tous ses compliments, de lui exprimer toute la satisfaction qu’il avait éprouvée en lisant son œuvre, et lui témoigner le désir de voir l’auteur nouveau, se révélant par un essai pareil.

Mon client est allé chez Lamartine ; et il a trouvé chez lui non pas seulement un homme qui l’a encouragé, mais un homme qui lui a dit :

« Vous m’avez donné la meilleure œuvre que j’aie lue depuis vingt ans. » C’étaient, en un mot, des éloges tels que mon client, dans sa modestie, 790

osait à peine me les répéter. Lamartine lui prouvait qu’il avait lu les livraisons, et le lui prouvait de la manière la plus gracieuse, en lui en disant des pages tout entières. Seulement Lamartine ajoutait : « En même temps que je vous ai lu sans restriction jusqu’à la dernière page, j’ai blâmé les dernières. Vous m’avez fait mal, vous m’avez fait littéralement souffrir !

L’expiation est hors de proportion avec le crime ; vous avez créé une mort affreuse, effroyable !

Assurément la femme qui souille le lit conjugal doit s’attendre à une expiation, mais celle-ci est horrible, c’est un supplice comme on n’en a jamais vu. Vous avez été trop loin, vous m’avez fait mal aux nerfs ; cette puissance de description qui s’est appliquée aux derniers instants de la mort m’a laissé une indicible souffrance ! » Et quand Gustave Flaubert lui demandait : « Mais, monsieur de Lamartine, est-ce que vous comprenez que je sois poursuivi, pour avoir fait une œuvre pareille, devant le tribunal de police correctionnelle, pour offense à la morale publique et religieuse ? » Lamartine lui répondait : « Je crois avoir été toute ma vie l’homme qui, dans 791

ses œuvres littéraires comme dans ses autres, a le mieux compris ce que c’était que la morale publique et religieuse ; mon cher enfant, il n’est pas possible qu’il se trouve en France un tribunal pour vous condamner. Il est déjà très regrettable qu’on se soit ainsi mépris sur le caractère de votre œuvre et qu’on ait ordonné de la poursuivre, mais il n’est pas possible, pour l’honneur de notre pays et de notre époque, qu’il se trouve un tribunal pour vous condamner. »

Voilà ce qui se passait hier, entre Lamartine et Flaubert, et j’ai le droit de vous dire que cette appréciation est de celles qui valent la peine d’être pesées.

Ceci bien entendu, voyons comment il se pourrait faire que ma conscience à moi me dit queMadame Bovaryest un bon livre, une bonne action ? Et je vous demande la permission d’ajouter que je ne suis pas facile sur ces sortes de choses, la facilité n’est pas dans mes habitudes. Des œuvres littéraires, j’en tiens à la main qui, quoique émanées de nos grands écrivains, n’ont jamais arrêté deux minutes mes 792

yeux. Je vous en ferai passer dans la chambre du conseil quelques lignes que je ne me suis jamais complu à lire, et je vous demanderai la permission de vous dire que lorsque je suis arrivé à la fin de l’œuvre de M. Flaubert, j’ai été convaincu qu’une coupure faite par la Revue de Paris a été cause de tout ceci. Je vous demanderai, de plus, la permission de joindre mon appréciation à l’appréciation plus élevée, plus éclairée que je viens de rappeler.

Voici, messieurs, un portefeuille rempli des opinions de tous les littérateurs de notre temps, et parmi lesquels se trouvent les plus distingués, sur l’œuvre dont il s’agit, et sur l’émerveillement qu’ils ont éprouvé en lisant cette œuvre nouvelle, en même temps si morale et si utile !

Maintenant, comment une œuvre pareille a-t-

elle pu encourir une poursuite ? Voulez-vous me permettre de vous le dire ? La Revue de Paris, dont le comité de lecture avait lu l’œuvre en son entier, car le manuscrit lui avait été envoyé longtemps avant la publication, n’y avait rien trouvé à redire. Quand on est arrivé à imprimer le 793

cahier du 1er décembre 1856, un des directeurs de la Revue s’est effarouché de la scène dans un

fiacre. Il a dit : « Ceci n’est pas convenable, nous allons le supprimer. » Flaubert s’est offensé de la suppression. Il n’a pas voulu qu’elle eût lieu sans qu’une note fut placée au bas de la page. C’est lui qui a exigé la note. C’est lui qui, pour son amour-propre d’auteur, ne voulant pas que son œuvre fût mutilée, ni que, d’un autre côté, il y eût quelque chose qui donnât des inquiétudes à la Revue, a dit : « Vous supprimerez si bon vous semble, mais vous déclarerez que vous avez supprimé » ; et alors on convint de la note suivante :

« La direction s’est vue dans la nécessité de supprimer ici un passage qui ne pouvait convenir à la rédaction de la Revue de Paris ; nous en donnons acte à l’auteur. »

Voici le passage supprimé, je vais vous le lire.

Nous en avons une épreuve, que nous avons eu beaucoup de peine à nous procurer. En voici la première partie, qui n’a pas une seule correction ; un mot a été corrigé sur la seconde :

« Où allons-nous ? – Où vous voudrez ! dit

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Léon poussant Emma dans la voiture. Les stores s’abaissèrent, et la lourde machine se mit en route.

« Elle descendit la rue du Grand-Pont, traversa la place des Arts, le quai Napoléon, le pont Neuf et s’arrêta court devant la statue de Pierre Corneille.

« – Continuez ! fit une voix qui sortait de l’intérieur.

« La voiture repartit, et se laissant, dès le carrefour La Fayette, emporter par la descente, elle entra au grand galop dans la gare du chemin de fer.

« – Non, tout droit ! » cria la même voix.

« Le fiacre sortit des grilles, et bientôt, arrivé sur le Cours, trotta doucement au milieu des grands ormes. Le cocher s’essuya le front, mit son chapeau de cuir entre ses jambes et poussa la voiture en dehors des contre-allées, au bord de l’eau, près du gazon.

« Elle alla le long de la rivière, sur le chemin de halage pavé de cailloux secs, et, longtemps, du 795

côté d’Oyssel, au delà des îles.

« Mais, tout à coup, elle s’élança d’un bond à travers Quatremares, Sotteville, la grande chaussée, la rue d’Elbeuf, et fit sa troisième halte devant le Jardin des plantes.

« – Marchez donc ! s’écria la voix plus furieusement.

« Et aussitôt, reprenant sa course, elle passa par Saint-Sever, par le quai des Curandiers, par le quai aux Meules, encore une fois par le pont, par la place du Champ-de-Mars et derrière les jardins de l’hôpital, où des vieillards en veste noire se promènent au soleil, le long d’une terrasse toute verdie par des lierres. Elle remonta le boulevard Bouvreuil, parcourut le boulevard Cauchoise, puis tout le Mont-Riboudet jusqu’à la côte de Deville !

« Elle revint ; et alors, sans parti pris ni direction, au hasard, elle vagabonda. On la vit à Saint-Paul, à Lescure, au mont Gargan, à la Rouge-Mare et place du Gaillardbois ; rue Maladrerie, rue Dinanderie, devant Saint-Romain, Saint-Vivien, Saint-Maclou, Saint-796

Nicaise, devant la Douane, à la basse Vieille-Tour, aux Trois-Pipes et au Cimetière-Monumental. De temps à autre, le cocher sur son siège jetait aux cabarets des regards désespérés. Il ne comprenait pas quelle fureur de la locomotion poussait ces individus à ne vouloir point s’arrêter.

Il essayait quelquefois, et aussitôt il entendait derrière lui partir des exclamations de colère.

Alors il cinglait de plus belle ses deux rosses tout en sueur, mais sans prendre garde aux cahots, accrochant par-ci par-là, ne s’en souciant, démoralisé, et presque pleurant de soif, de fatigue et de tristesse.

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