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—Vous seule, madame, pouvez dans ce moment entrer dans ma chambre; fouillez, sans qu'il y paraisse, dans l'angle de la paillasse qui est le plus rapproché de la fenêtre, vous y trouverez une petite boîte de carton noir et lisse.

—Elle renferme un portrait! dit Mme de Rênal, pouvant à peine se tenir debout.

Son air de découragement fut aperçu de Julien, qui aussitôt en profita.

—J'ai une seconde grâce à vous demander, madame je vous supplie de ne pas regarder ce portrait, c'est mon secret.

—C'est un secret! répéta Mme de Rênal, d'une voix éteinte.

Mais, quoique élevée parmi les gens fiers de leur fortune et sensibles au seul intérêt d'argent, l'amour avait déjà mis de la générosité dans cette âme. Cruellement blessée, ce fut avec l'air du dévouement le plus simple que Mme de Rênal fit à Julien les questions nécessaires pour pouvoir bien s'acquitter de sa commission.

—Ainsi, lui dit-elle en s'éloignant, une petite boîte ronde, de carton noir, bien lisse.

—Oui, madame, répondit Julien, de cet air dur que le danger donne aux hommes.

Elle monta au second étage du château pâle comme si elle fût allée à la mort. Pour comble de misère, elle sentit qu'elle était sur le point de se trouver mal; mais la nécessité de rendre service à Julien lui rendit des forces.

—Il faut que j'aie cette boîte, se dit-elle en doublant le pas.

Elle entendit son mari parler au valet de chambre dans la chambre même de Julien. Heureusement ils passèrent dans celle des enfants. Elle souleva le matelas et plongea la main dans la paillasse avec une telle violence qu'elle s'écorcha les doigts. Mais quoique fort sensible aux petites douleurs de ce genre, elle n'eut pas la conscience de celle-ci, car presque en même temps elle sentit le poli de la boîte de carton. Elle la saisit et disparut.

A peine fut-elle délivrée de la crainte d'être surprise par son mari, que l'horreur que lui causait cette boîte fut sur le point de la faire décidément se trouver mal.

Julien est donc amoureux, et je tiens là le portrait de la femme qu'il aime!

Assise sur une chaise dans l'antichambre de cet appartement, Mme de Rênal était en proie à toutes les horreurs de la jalousie. Son extrême ignorance lui fut encore utile en ce moment, l'étonnement tempérait la douleur. Julien parut, saisit la boîte, sans remercier, sans rien dire et courut dans sa chambre où il fit du feu et la brûla à l'instant. Il était pâle, anéanti, il s'exagérait l'étendue du danger qu'il venait de courir.

Le portrait de Napoléon, se disait-il en hochant la tête, trouvé caché chez un homme qui fait profession d'une telle haine pour l'usurpateur! trouvé par M. de Rênal, tellement ultra et tellement irrité! et pour comble d'imprudence, sur le carton blanc derrière le portrait des lignes écrites de ma main! et qui ne peuvent laisser aucun doute sur l'excès de mon admiration! et chacun de ces transports d'amour est daté! Il y en a d'avant-hier.

Toute ma réputation tombée, anéantie en un moment! se disait Julien, en voyant brûler la boîte et ma réputation est tout mon bien, je ne vis que par elle… et encore, quelle vie, grand Dieu!

Une heure après, la fatigue et la pitié qu'il sentait pour lui-même le disposaient à l'attendrissement. Il rencontra Mme de Rênal et prit sa main qu'il baisa avec plus de sincérité qu'il n'avait jamais fait. Elle rougit de bonheur, et presque au même instant repoussa Julien avec la colère de la jalousie. La fierté de Julien si récemment blessée en fit un sot dans ce moment. Il ne vit en Mme de Rênal qu'une femme riche, il laissa tomber sa main avec dédain et s'éloigna. Il alla se promener pensif dans le jardin, bientôt un sourire amer parut sur ses lèvres.

—Je me promène là, tranquille comme un homme maître de son temps! Je ne m'occupe pas des enfants! je m'expose aux mots humiliants de M. de Rênal, et il aura raison. Il courut à la chambre des enfants.

Les caresses du plus jeune qu'il aimait beaucoup calmèrent un peu sa cuisante douleur.

Celui-là ne me méprise pas encore, pensa Julien. Mais bientôt il se reprocha cette diminution de douleur comme une nouvelle faiblesse. Ces enfants me caressent comme ils caresseraient le jeune chien de chasse que l'on a acheté hier.


CHAPITRE X

UN GRAND COEUR ET UNE PETITE FORTUNE

    But passion most dissembles, yet betrays,

    Even by its darkness; as the blackest sky

    Foretells the heaviest tempest.

Don Juan, C. I, st. 73.

M. de Rênal qui suivait toutes les chambres du château, revint dans celle des enfants avec les domestiques qui rapportaient les paillasses. L'entrée soudaine de cet homme fut pour Julien la goutte d'eau qui fait déborder le vase.

Plus pâle, plus sombre qu'à l'ordinaire, il s'élança vers lui. M. de

Rênal s'arrêta et regarda ses domestiques.

—Monsieur lui dit Julien, croyez-vous qu'avec tout autre précepteur, vos enfants eussent fait les mêmes progrès qu'avec moi? Si vous répondez que non, continua Julien, sans laisser à M. de Rênal le temps de parler, comment osez-vous m'adresser le reproche que je les néglige?

M. de Rênal, à peine remis de sa peur, conclut du ton étrange qu'il voyait prendre à ce petit paysan, qu'il avait en poche quelque proposition avantageuse, et qu'il allait le quitter. La colère de Julien s'augmentant à mesure qu'il parlait:

—Je puis vivre sans vous, monsieur, ajouta-t-il.

—Je suis vraiment fâché de vous voir si agité, répondit M. de Rênal, en balbutiant un peu. Les domestiques étaient à dix pas occupés à arranger les lits.

—Ce n'est pas ce qu'il me faut, monsieur, reprit Julien hors de lui, songez à l'infamie des paroles que vous m'avez adressées, et devant des femmes encore!

M. de Rênal ne comprenait que trop ce que demandait Julien, et un pénible combat déchirait son âme. Il arriva que Julien, effectivement fou de colère, s'écria:

—Je sais où aller, monsieur, en sortant de chez vous.

A ce mot, M. de Rênal vit Julien installé chez M. Valenod.

—Eh bien! monsieur, lui dit-il enfin avec un soupir et de l'air dont il eût appelé le chirurgien pour l'opération la plus douloureuse, j'accède à votre demande. A compter d'après-demain, qui est le premier du mois, je vous donne cinquante francs par mois.

Julien eut envie de rire et resta stupéfait: toute sa colère avait disparu.

Je ne méprisais pas assez l'animal! se dit-il. Voilà sans doute la plus grande excuse que puisse faire une âme aussi basse.

Les enfants qui écoutaient cette scène bouche béante coururent au jardin, dire à leur mère que M. Julien était bien en colère, mais qu'il allait avoir cinquante francs par mois.

Julien les suivit par habitude sans même regarder M. de Rênal, qu'il laissa profondément irrité.

Voilà cent soixante-huit francs, se disait le maire, que me coûte M. Valenod. Il faut absolument que je lui dise deux mots fermes sur son entreprise des fournitures pour les enfants trouvés.

Un instant après, Julien se retrouva vis-à-vis M. de Rênal:

—J'ai à parler de ma conscience à M. Chélan, j'ai l'honneur de vous prévenir que je serai absent quelques heures.

—Eh, mon cher Julien! dit M. de Rênal, en riant de l'air le plus faux, toute la journée si vous voulez, toute celle de demain, mon bon ami. Prenez le cheval du jardinier pour aller à Verrières.

Le voilà, se dit M. de Rênal qui va rendre réponse à Valenod; il ne m'a rien promis, mais il faut laisser se refroidir cette tête de jeune homme.

Julien s'échappa rapidement et monta dans les grands bois par lesquels on peut aller de Vergy à Verrières. Il ne voulait point arriver sitôt chez M. Chélan. Loin de désirer s'astreindre à une nouvelle scène d'hypocrisie, il avait besoin d'y voir clair dans son âme, et de donner audience à la foule de sentiments qui l'agitaient.

J'ai gagné une bataille, se dit-il aussitôt qu'il se vit dans les bois et loin du regard des hommes, j'ai donc gagné une bataille!

Ce mot lui peignait en beau toute sa position et rendit à son âme quelque tranquillité.

Are sens