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Et, afin que je fasse comme lui, maintenant que c’est le jour, et pour que ce qu’il y a de

meilleur me serve d’exemple : je veux mettre maintenant dans la balance les trois plus grands maux et peser humainement bien. –

Celui qui enseigna à bénir enseigna aussi à maudire : quelles sont les trois choses les plus maudites sur terre ? Ce sont elles que je veux mettre sur la balance.

La voluptĂ©, le dĂ©sir de domination, l’égoĂŻsme : ces trois choses ont Ă©tĂ© les plus maudites et les plus calomniĂ©es jusqu’à prĂ©sent, – ce sont ces trois choses que je veux peser humainement bien.

Eh bien ! Voici mon promontoire et voilĂ  la mer : elle roule vers moi, moutonneuse, caressante, cette vieille et fidĂšle chienne, ce monstre Ă  cent tĂȘtes que j’aime.

Eh bien ! C’est ici que je veux tenir la balance sur la mer houleuse, et je choisis aussi un

tĂ©moin qui regarde, – c’est toi, arbre solitaire, toi dont la couronne est vaste et le parfum puissant, arbre que j’aime ! –

Sur quel pont le prĂ©sent va-t-il vers l’avenir ? Quelle est la force qui contraint ce qui est haut Ă  s’abaisser vers ce qui est bas ? Et qu’est-ce qui force la chose la plus haute – Ă  grandir encore davantage ?

Maintenant la balance se tient immobile et en Ă©quilibre : j’y ai jetĂ© trois lourdes questions, l’autre plateau porte trois lourdes rĂ©ponses.

2.

VoluptĂ© – c’est pour tous les pĂ©nitents en cilice qui mĂ©prisent le corps, l’aiguillon et la mortification, c’est le « monde » maudit chez tous les hallucinĂ©s de l’arriĂšre-monde : car

elle nargue et éconduit tous les hérétiques.

VoluptĂ© – c’est pour la canaille le feu lent oĂč l’on brĂ»le la canaille ; pour tout le bois vermoulu et les torchons nausĂ©abonds le grand fourneau ardent.

VoluptĂ© – c’est pour les cƓurs libres quelque chose d’innocent et de libre, le bonheur du

jardin de la terre, la dĂ©bordante reconnaissance de l’avenir pour le prĂ©sent.

VoluptĂ© – ce n’est un poison doucereux que pour les flĂ©tris, mais pour ceux qui ont la

volontĂ© du lion, c’est le plus grand cordial, le vin des vins, que l’on mĂ©nage religieusement.

VoluptĂ© – c’est la plus grande fĂ©licitĂ© symbolique pour le bonheur et l’espoir supĂ©rieur.

Car il y a bien des choses qui ont droit Ă  l’union et plus qu’à l’union, – bien des choses qui se sont plus Ă©trangĂšres Ă  elles-mĂȘmes que ne l’est l’homme Ă  la femme : et qui donc a jamais entiĂšrement compris Ă  quel point l’homme et la femme sont Ă©trangers l’un Ă  l’autre ?

VoluptĂ© – cependant je veux mettre des clĂŽtures autour de mes pensĂ©es et aussi autour

de mes paroles : pour que les cochons et les exaltĂ©es n’envahissent pas mes jardins ! –

DĂ©sir de dominer – c’est le fouet cuisant pour les plus durs de tous les cƓurs endurcis,

l’épouvantable martyre qui rĂ©serve mĂȘme au plus cruel la sombre flamme des bĂ»chers vivants.

DĂ©sir de dominer – c’est le frein mĂ©chant mis aux peuples les plus vains, c’est lui qui

raille toutes les vertus incertaines, à cheval sur toutes les fiertés.

DĂ©sir de dominer – c’est le tremblement de terre qui rompt et disjoint tout ce qui est caduc et creux, c’est le briseur irritĂ© de tous les sĂ©pulcres blanchis qui gronde et punit, le point d’interrogation jaillissant Ă  cĂŽtĂ© de rĂ©ponses prĂ©maturĂ©es.

DĂ©sir de dominer – dont le regard fait ramper et se courber l’homme, qui l’asservit et

l’abaisse au-dessous du serpent et du cochon : jusqu’à ce qu’enfin le grand mĂ©pris clame

en lui.

DĂ©sir de dominer – c’est le terrible maĂźtre qui enseigne le grand mĂ©pris, qui prĂȘche en

face des villes et des empires : « Ôte-toi ! » – jusqu’à ce qu’enfin ils s’écrient eux-mĂȘmes :

« Que je m’îte moi ! »

DĂ©sir de dominer – qui monte aussi vers les purs et les solitaires pour les attirer, qui monte vers les hauteurs de la satisfaction de soi, ardent comme un amour qui trace sur le

ciel d’attirantes joies empourprĂ©es.

DĂ©sir de dominer – mais qui voudrais appeler cela un dĂ©sir, quand c’est vers en bas que

la hauteur aspire Ă  la puissance ! En vĂ©ritĂ©, il n’y a rien de fiĂ©vreux et de maladif dans de pareils dĂ©sirs, dans de pareilles descentes !

Que la hauteur solitaire ne s’esseule pas Ă©ternellement et ne se contente pas de soi ; que

la montagne descende vers la vallĂ©e et les vents des hauteurs vers les terrains bas : – Ô qui donc trouverait le vrai nom pour baptiser et honorer un pareil dĂ©sir ! « Vertu qui donne » –

c’est ainsi que Zarathoustra appela jadis cette chose inexprimable.

Et c’est alors qu’il arriva aussi – et, en vĂ©ritĂ©, ce fut pour la premiĂšre fois ! – que sa parole fit la louange de l’égoĂŻsme, le bon et sain Ă©goĂŻsme qui jaillit de l’ñme puissante : –

de l’ñme puissante, unie au corps Ă©levĂ©, au corps beau, victorieux et rĂ©confortant, autour

de qui toute chose devient miroir : – le corps souple qui persuade, le danseur dont le symbole et l’expression est l’ñme joyeuse d’elle-mĂȘme. La joie Ă©goĂŻste de tels corps, de telles Ăąmes s’appelle elle-mĂȘme : « vertu ».

Avec ce qu’elle dit du bon et du mauvais, cette joie Ă©goĂŻste se protĂšge elle-mĂȘme, comme si elle s’entourait d’un bois sacrĂ© ; avec les noms de son bonheur, elle bannit loin

d’elle tout ce qui est mĂ©prisable.

Elle bannit loin d’elle tout ce qui est lñche ; elle dit : mauvais – c’est ce qui est lñche !

MĂ©prisable luit semble celui qui peine, soupire et se plaint toujours et qui ramasse mĂȘme

les plus petits avantages.

Elle mĂ©prise aussi toute sagesse lamentable : car, en vĂ©ritĂ©, il y a aussi la sagesse qui fleurit dans l’obscuritĂ© ; une sagesse d’ombre nocturne qui soupire toujours : « Tout est vain ! »

Elle ne tient pas en estime la craintive méfiance et ceux qui veulent des serments au lieu

de regards et de mains tendues : et non plus la sagesse trop mĂ©fiante, – car c’est ainsi que font les Ăąmes lĂąches.

Are sens