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Vainement, pendant un quart d’heure, Étienne tâcha de le faire parler sur la politique. Il disait oui, il disait non, sans avoir l’air de comprendre ; 735

des camarades racontaient que le capitaine était républicain ; quant à lui, il n’avait pas d’idée, ça lui était égal. Si on lui commandait de tirer, il tirerait, pour n’être pas puni. L’ouvrier l’écoutait, saisi de la haine du peuple contre l’armée, contre ces frères dont on changeait le cœur, en leur collant un pantalon rouge au derrière.

– Alors, vous vous nommez ?

– Jules.

– Et d’où êtes-vous ?

– De Plogof, là-bas.

Au hasard, il avait allongé le bras. C’était en Bretagne, il n’en savait pas davantage. Sa petite figure pâle s’animait, il se mit à rire, réchauffé.

– J’ai ma mère et ma sœur. Elles m’attendent bien sûr. Ah ! ce ne sera pas pour demain...

Quand je suis parti, elles m’ont accompagné jusqu’à Pont-l’Abbé. Nous avions pris le cheval aux Lepalmec, il a failli se casser les jambes en bas de la descente d’Audierne. Le cousin Charles nous attendait avec des saucisses, mais les femmes pleuraient trop, ça nous restait dans la 736

gorge... Ah ! mon Dieu ! ah ! mon Dieu ! comme c’est loin, chez nous !

Ses yeux se mouillaient, sans qu’il cessât de rire. La lande déserte de Plogof, cette sauvage pointe du Raz battue des tempêtes, lui apparaissait dans un éblouissement de soleil, à la saison rose des bruyères.

– Dites donc, demanda-t-il, si je n’ai pas de punitions, est-ce que vous croyez qu’on me donnera une permission d’un mois, dans deux ans ?

Alors, Étienne parla de la Provence, qu’il avait quittée tout petit. Le jour grandissait, des flocons de neige commençaient à voler dans le ciel terreux. Et il finit par être pris d’inquiétude, en apercevant Jeanlin qui rôdait au milieu des ronces, l’air stupéfait de le voir là-haut. D’un geste, l’enfant le hélait. À quoi bon ce rêve de fraterniser avec les soldats ? Il faudrait des années et des années encore, sa tentative inutile le désolait, comme s’il avait compté réussir. Mais, brusquement, il comprit le geste de Jeanlin : on venait relever la sentinelle ; et il s’en alla, il 737

rentra en courant se terrer à Réquillart, le cœur crevé une fois de plus par la certitude de la défaite ; pendant que le gamin, galopant près de lui, accusait cette sale rosse de troupier d’avoir appelé le poste pour tirer sur eux.

Au sommet du terri, Jules était resté immobile, les regards perdus dans la neige qui tombait. Le sergent s’approchait avec ses hommes, les cris réglementaires furent échangés.

– Qui vive ?... Avancez au mot de ralliement !

Et l’on entendit les pas lourds repartir, sonnant comme en pays conquis. Malgré le jour grandissant, rien ne bougeait dans les corons, les charbonniers se taisaient et s’enrageaient, sous la botte militaire.

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II

Depuis deux jours, la neige tombait ; elle avait cessé le matin, une gelée intense glaçait l’immense nappe ; et ce pays noir, aux routes d’encre, aux murs et aux arbres poudrés des poussières de la houille, était tout blanc, d’une blancheur unique, à l’infini. Sous la neige, le coron des Deux-Cent-Quarante gisait, comme disparu. Pas une fumée ne sortait des toitures. Les maisons sans feu, aussi froides que les pierres des chemins, ne fondaient pas l’épaisse couche des tuiles. Ce n’était plus qu’une carrière de dalles blanches, dans la plaine blanche, une vision de village mort, drapé de son linceul. Le long des rues, les patrouilles qui passaient avaient seules laissé le gâchis boueux de leur piétinement.

Chez les Maheu, la dernière pelletée d’escarbilles était brûlée depuis la veille ; et il ne fallait plus songer à la glane sur le terri, par ce 739

terrible temps, lorsque les moineaux eux-mêmes ne trouvaient pas un brin d’herbe. Alzire, pour s’être entêtée, ses pauvres mains fouillant la neige, se mourait. La Maheude avait dû l’envelopper dans un lambeau de couverture, en attendant le docteur Vanderhaghen, chez qui elle était allée deux fois déjà, sans pouvoir le rencontrer ; la bonne venait cependant de promettre que Monsieur passerait au coron avant la nuit, et la mère guettait, debout devant la fenêtre, tandis que la petite malade, qui avait voulu descendre, grelottait sur une chaise, avec l’illusion qu’il faisait meilleur là, près du fourneau refroidi. Le vieux Bonnemort, en face, les jambes reprises, semblait dormir. Ni Lénore ni Henri n’étaient rentrés, battant les routes en compagnie de Jeanlin, pour demander des sous.

Au travers de la pièce nue, Maheu seul marchait pesamment, butait à chaque tour contre le mur, de l’air stupide d’une bête qui ne voit plus sa cage.

Le pétrole aussi était fini ; mais le reflet de la neige, au-dehors, restait si blanc, qu’il éclairait vaguement la pièce, malgré la nuit tombée.

Il y eut un bruit de sabots, et la Levaque 740

poussa la porte en coup de vent, hors d’elle, criant dès le seuil à la Maheude :

– Alors, c’est toi qui as dit que je forçais mon logeur à me donner vingt sous, quand il couchait avec moi !

L’autre haussa les épaules.

– Tu m’embêtes, je n’ai rien dit... D’abord, qui t’a dit ça ?

– On m’a dit que tu l’as dit, tu n’as pas besoin de savoir... Même tu as dit que tu nous entendais bien faire nos saletés derrière ta cloison, et que la crasse s’amassait chez nous parce que j’étais toujours sur le dos... Dis encore que tu ne l’as pas dit, hein !

Chaque jour, des querelles éclataient, à la suite du continuel bavardage des femmes. Entre les ménages surtout qui logeaient porte à porte, les brouilles et les réconciliations étaient quotidiennes. Mais jamais une méchanceté si aigre ne les avait jetés les uns sur les autres.

Depuis la grève, la faim exaspérait les rancunes, on avait le besoin de cogner : une explication 741

entre deux commères finissait par une tuerie entre les deux hommes.

Justement, Levaque arrivait à son tour, en amenant de force Bouteloup.

– Voici le camarade, qu’il dise un peu s’il a donné vingt sous à ma femme, pour coucher avec.

Le logeur, cachant sa douceur effarée dans sa grande barbe, protestait, bégayait.

– Oh ! ça, non, jamais rien, jamais !

Du coup, Levaque devint menaçant, le poing sous le nez de Maheu.

– Tu sais, ça ne me va pas. Quand on a une femme comme ça, on lui casse les reins... C’est donc que tu crois ce qu’elle a dit ?

– Mais, nom de Dieu ! s’écria Maheu, furieux d’être tiré de son accablement, qu’est-ce que c’est encore que tous ces potins ? Est-ce qu’on n’a pas assez de ses misères ? Fous-moi la paix ou je tape !... Et, d’abord, qui a dit que ma femme l’avait dit ?

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