– Qui l’a dit ?... C’est la Pierronne qui l’a dit.
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La Maheude éclata d’un rire aigu ; et, revenant vers la Levaque :
– Ah ! c’est la Pierronne... Eh bien ! je puis te dire ce qu’elle m’a dit, à moi. Oui ! elle m’a dit que tu couchais avec tes deux hommes, l’un dessous et l’autre dessus !
Dès lors, il ne fut plus possible de s’entendre.
Tous se fâchaient, les Levaque renvoyaient comme réponse aux Maheu que la Pierronne en avait dit bien d’autres sur leur compte, et qu’ils avaient vendu Catherine, et qu’ils s’étaient pourris ensemble, jusqu’aux petits, avec une saleté prise par Étienne au Volcan.
– Elle a dit ça, elle a dit ça, hurla Maheu. C’est bon ! j’y vais, moi, et si elle dit qu’elle l’a dit, je lui colle ma main sur la gueule.
Il s’était élancé dehors, les Levaque le suivirent pour témoigner, tandis que Bouteloup, ayant horreur des disputes, rentrait furtivement.
Allumée par l’explication, la Maheude sortait aussi, lorsqu’une plainte d’Alzire la retint. Elle croisa les bouts de la couverture sur le corps frissonnant de la petite, elle retourna se planter 743
devant la fenêtre, les yeux perdus. Et ce médecin qui n’arrivait pas !
À la porte des Pierron, Maheu et les Levaque rencontrèrent Lydie, qui piétinait dans la neige.
La maison était close, un filet de lumière passait par la fente d’un volet ; et l’enfant répondit d’abord avec gêne aux questions : non, son papa n’y était pas, il était allé au lavoir rejoindre la mère Brûlé, pour rapporter le paquet de linge.
Elle se troubla ensuite, refusa de dire ce que sa maman faisait. Enfin, elle lâcha tout, dans un rire sournois de rancune : sa maman l’avait flanquée à la porte, parce que monsieur Dansaert était là, et qu’elle les empêchait de causer. Celui-ci, depuis le matin, se promenait dans le coron, avec deux gendarmes, tâchant de racoler des ouvriers, pesant sur les faibles, annonçant partout que, si l’on ne descendait pas le lundi au Voreux, la Compagnie était décidée à embaucher des Borains. Et, comme la nuit tombait, il avait renvoyé les gendarmes, en trouvant la Pierronne seule ; puis, il était resté chez elle à boire un verre de genièvre, devant le bon feu.
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– Chut ! taisez-vous, faut les voir ! murmura Levaque, avec un rire de paillardise. On s’expliquera tout à l’heure... Va-t’en, toi, petite garce !
Lydie recula de quelques pas, pendant qu’il mettait un œil à la fente du volet. Il étouffa de petits cris, son échine se renflait, dans un frémissement. À son tour, la Levaque regarda ; mais elle dit, comme prise de coliques, que ça la dégoûtait. Maheu, qui l’avait poussée, voulant voir aussi, déclara qu’on en avait pour son argent.
Et ils recommencèrent, à la file, chacun son coup d’œil, ainsi qu’à la comédie. La salle, reluisante de propreté, s’égayait du grand feu ; il y avait des gâteaux sur la table, avec une bouteille et des verres ; enfin, une vraie noce. Si bien que ce qu’ils voyaient là-dedans finissait par exaspérer les deux hommes, qui, en d’autres circonstances, en auraient rigolé six mois. Qu’elle se fit bourrer jusqu’à la gorge, les jupes en l’air, c’était drôle.
Mais, nom de Dieu ! est-ce que ce n’était pas cochon, de se payer ça devant un si grand feu, et de se donner des forces avec des biscuits, lorsque les camarades n’avaient ni une fichette de pain, ni 745
une escarbille de houille ?
– V’là papa ! cria Lydie en se sauvant.
Pierron revenait tranquillement du lavoir, le paquet de linge sur une épaule. Tout de suite, Maheu l’interpella.
– Dis donc, on m’a dit que ta femme avait dit que j’avais vendu Catherine et que nous nous étions tous pourris à la maison... Et, chez toi, qu’est-ce qu’il te la paie, ta femme, le monsieur qui est en train de lui user la peau ?
– Pierron ne comprenait pas, lorsque la Pierronne, prise de peur en entendant le tumulte des voix, perdit la tête au point d’entrebâiller la porte, pour se rendre compte. On l’aperçut toute rouge, le corsage ouvert, la jupe encore remontée, accrochée à la ceinture ; tandis que, dans le fond, Dansaert se reculottait éperdument. Le maître-porion se sauva, disparut, tremblant qu’une pareille histoire n’arrivât aux oreilles du directeur. Alors, ce fut un scandale affreux, des rires, des huées, des injures.
– Toi qui dis toujours des autres qu’elles sont 746
sales, criait la Levaque à la Pierronne, ce n’est pas étonnant que tu sois propre, si tu te fais récurer par les chefs !
– Ah ! ça lui va, de parler ! reprenait Levaque.
En voilà une salope qui a dit que ma femme couchait avec moi et le logeur, l’un dessous et l’autre dessus !... Oui, oui, on m’a dit que tu l’as dit.
Mais la Pierronne, calmée, tenait tête aux gros mots, très méprisante, dans sa certitude d’être la plus belle et la plus riche.
– J’ai dit ce que j’ai dit, fichez-moi la paix, hein !... Est-ce que ça vous regarde, mes affaires, tas de jaloux qui nous en voulez, parce que nous mettons de l’argent à la caisse d’épargne ! Allez, allez, vous aurez beau dire, mon mari sait bien pourquoi monsieur Dansaert était chez nous.
En effet, Pierron s’emportait, défendait sa femme. La querelle tourna, on le traita de vendu, de mouchard, de chien de la Compagnie, on l’accusa de s’enfermer pour se gaver des bons morceaux, dont les chefs lui payaient ses traîtrises. Lui, répliquait, prétendait que Maheu 747
lui avait glissé des menaces sous sa porte, un papier où se trouvaient deux os de mort en croix, avec un poignard au-dessus. Et cela se termina forcément par un massacre entre les hommes, comme toutes les querelles de femmes, depuis que la faim enrageait les plus doux. Maheu et Levaque s’étaient rués sur Pierron à coups de poing, il fallut les séparer.
Le sang coulait à flots du nez de son gendre, lorsque la Brûlé, à son tour, arriva du lavoir. Mise au courant, elle se contenta de dire :
– Ce cochon-là me déshonore.
La rue redevint déserte, pas une ombre ne tachait la blancheur nue de la neige ; et le coron, retombé à son immobilité de mort, crevait de faim sous le froid intense.
– Et le médecin ? demanda Maheu, en refermant la porte.
– Pas venu, répondit la Maheude, toujours debout devant la fenêtre.
– Les petits sont rentrés ?
– Non, pas rentrés.
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Maheu reprit sa marche lourde, d’un mur à l’autre, de son air de bœuf assommé. Raidi sur sa chaise, le père Bonnemort n’avait pas même levé la tête. Alzire non plus ne disait rien, tâchait de ne pas trembler, pour leur éviter de la peine ; mais, malgré son courage à souffrir, elle tremblait si fort par moments, qu’on entendait contre la couverture le frisson de son maigre corps de fillette infirme ; pendant que, de ses grands yeux ouverts, elle regardait au plafond le pâle reflet des jardins tout blancs, qui éclairait la pièce d’une lueur de lune.