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autrefois rendus au séminaire, il comptait le recommander aux juges. Fouqué entrevit l’espoir de sauver son ami, et en sortant, et se prosternant jusqu’à terre, pria M. le grand vicaire de distribuer en messes, pour implorer

l’acquittement de l’accusé, une somme de dix louis.

Fouqué se méprenait étrangement. M. de Frilair n’était point un Valenod. Il refusa et chercha même à faire entendre au bon paysan qu’il ferait mieux de garder son argent. Voyant qu’il était impossible d’être clair sans imprudence, il lui conseilla de donner cette somme en aumônes, pour les pauvres prisonniers, qui, dans le fait, manquaient de tout.

Ce Julien est un être singulier, son action est inexplicable, pensait M. de Frilair, et rien ne doit l’être pour moi... Peut-être sera-t-il possible d’en faire un martyr... Dans tous les cas, je saurai le fin de cette affaire et trouverai peut-être une occasion de faire peur à cette madame de Rênal, qui ne nous estime point, et au fond me déteste...

Peut-être pourrai-je rencontrer dans tout ceci un 986

moyen de réconciliation éclatante avec M. de La Mole, qui a un faible pour ce petit séminariste.

La transaction sur le procès avait été signée quelques semaines auparavant, et l’abbé Pirard était reparti de Besançon, non sans avoir parlé de la mystérieuse naissance de Julien, le jour même où le malheureux assassinait madame de Rênal dans l’église de Verrières.

Julien ne voyait plus qu’un événement désagréable entre lui et la mort, c’était la visite de son père. Il consulta Fouqué sur l’idée d’écrire à M. le procureur général, pour être dispensé de toute visite. Cette horreur pour la vue d’un père, et dans un tel moment, choqua profondément le cœur honnête et bourgeois du marchand de bois.

Il crut comprendre pourquoi tant de gens haïssaient passionnément son ami. Par respect pour le malheur, il cacha sa manière de sentir.

– Dans tous les cas, lui répondit-il froidement, cet ordre de secret ne serait pas appliqué à ton père.

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XXXVIII

Un homme puissant

Mais il y a tant de mystères dans

ses démarches et d’élégance dans sa

taille ! Qui peut-elle être ?

SCHILLER.

Les portes du donjon s’ouvrirent de fort bonne heure le lendemain. Julien fut réveillé en sursaut.

– Ah ! bon Dieu, pensa-t-il, voilà mon père.

Quelle scène désagréable !

Au même instant, une femme vêtue en

paysanne se précipita dans ses bras, il eut peine à la reconnaître. C’était mademoiselle de La Mole.

– Méchant, je n’ai su que par ta lettre où tu étais. Ce que tu appelles ton crime, et qui n’est qu’une noble vengeance qui me montre toute la hauteur du cœur qui bat dans cette poitrine, je ne 988

l’ai su qu’à Verrières...

Malgré ses préventions contre mademoiselle de La Mole, que d’ailleurs il ne s’avouait pas bien nettement, Julien la trouva fort jolie.

Comment ne pas voir dans toute cette façon d’agir et de parler un sentiment noble, désintéressé, bien au-dessus de tout ce qu’aurait osé une âme petite et vulgaire ? Il crut encore aimer une reine, et après quelques instants, ce fut avec une rare noblesse d’élocution et de pensée qu’il lui dit :

L’avenir se dessinait à mes yeux fort clairement. Après ma mort, je vous remariais à M. de Croisenois, qui aurait épousé une veuve.

L’âme noble mais un peu romanesque de cette veuve charmante, étonné et convertie au culte de la prudence vulgaire par un événement singulier, tragique et grand pour elle, eût daigné comprendre le mérite fort réel du jeune marquis.

Vous vous seriez résignée à être heureuse du bonheur de tout le monde : la considération, les richesses, le haut rang... Mais, chère Mathilde, votre arrivée à Besançon, si elle est soupçonnée, 989

va être un coup mortel pour M. de La Mole, et voilà ce que jamais je ne me pardonnerai. Je lui ai déjà causé tant de chagrin ! L’académicien va dire qu’il a réchauffé un serpent dans son sein.

– J’avoue que je m’attendais peu à tant de froide raison, à tant de souci pour l’avenir, dit mademoiselle de La Mole à demi fâchée. Ma femme de chambre, presque aussi prudente que vous, a pris un passeport pour elle, et c’est sous le nom de madame Michelet que j’ai couru la poste.

– Et madame Michelet a pu arriver aussi facilement jusqu’à moi ?

– Ah ! tu es toujours l’homme supérieur, celui que j’ai distingué ! D’abord, j’ai offert cent francs à un secrétaire de juge, qui prétendait que mon entrée dans ce donjon était impossible. Mais l’argent reçu, cet honnête homme m’a fait attendre, a élevé des objections, j’ai pensé qu’il songeait à me voler... Elle s’arrêta.

– Eh bien ? dit Julien.

– Ne te fâche pas, mon petit Julien, lui dit-elle en l’embrassant, j’ai été obligée de dire mon nom 990

à ce secrétaire, qui me prenait pour une jeune ouvrière de Paris, amoureuse du beau Julien... En vérité ce sont ses termes. Je lui ai juré que j’étais ta femme, et j’aurai une permission pour te voir chaque jour.

La folie est complète, pensa Julien, je n’ai pu l’empêcher. Après tout, M. de La Mole est un si grand seigneur, que l’opinion saura bien trouver une excuse au jeune colonel qui épousera cette charmante veuve. Ma mort prochaine couvrira tout ; et il se livra avec délices à l’amour de Mathilde ; c’était de la folie, de la grandeur d’âme, tout ce qu’il y a de plus singulier. Elle lui proposa sérieusement de se tuer avec lui.

Après ces premiers transports, et lorsqu’elle se fut rassasiée du bonheur de voir Julien, une curiosité vive s’empara tout à coup de son âme.

Elle examinait son amant, qu’elle trouva bien au-dessus de ce qu’elle s’était imaginé. Boniface de La Mole lui semblait ressuscité, mais plus héroïque.

Mathilde vit les premiers avocats du pays, qu’elle offensa en leur offrant de l’or trop 991

crûment ; mais ils finirent par accepter.

Elle arriva rapidement à cette idée, qu’en fait de choses douteuses et d’une haute portée, tout dépendait à Besançon de M. l’abbé de Frilair.

Sous le nom obscur de madame Michelet, elle trouva d’abord d’insurmontables difficultés pour parvenir jusqu’au tout-puissant congréganiste.

Mais le bruit de la beauté d’une jeune marchande de modes, folle d’amour, et venue de Paris à Besançon pour consoler le jeune abbé Julien Sorel, se répandit dans la ville.

Mathilde courait seule à pied, dans les rues de Besançon ; elle espérait n’être pas reconnue.

Dans tous les cas, elle ne croyait pas inutile à sa cause de produire une grande impression sur le peuple. Sa folie songeait à le faire révolter pour sauver Julien marchant à la mort. Mademoiselle de La Mole croyait être vêtue simplement et comme il convient à une femme dans la douleur ; elle l’était de façon à attirer tous les regards.

Elle était à Besançon l’objet de l’attention de tous, lorsque après huit jours de sollicitations, elle obtint une audience de M. de Frilair.

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Quel que fût son courage, les idées de congréganiste influent et de profonde et prudente scélératesse étaient tellement liées dans son esprit, qu’elle trembla en sonnant à la porte de l’évêché. Elle pouvait à peine marcher lorsqu’il lui fallut monter l’escalier qui conduisait à l’appartement du premier grand-vicaire. La solitude du palais épiscopal lui donnait froid. Je puis m’asseoir sur un fauteuil, et ce fauteuil me saisir les bras, j’aurai disparu. À qui ma femme de chambre pourra-t-elle me demander

Are sens