"Unleash your creativity and unlock your potential with MsgBrains.Com - the innovative platform for nurturing your intellect." » » "Le Rouge et le Noir" de Stendhal

Add to favorite "Le Rouge et le Noir" de Stendhal

Select the language in which you want the text you are reading to be translated, then select the words you don't know with the cursor to get the translation above the selected word!




Go to page:
Text Size:

février 1831, à Mme Alberthe de Rubempré. Les femmes surtout lui reprochaient de les avoir mises en scène. Il charge l’une d’elles, Mme Virginie Ancelot, de le défendre : « Grand dieu !

est-ce que jamais j’ai monté à votre fenêtre par une échelle ? Je l’ai souvent désiré sans doute, mais enfin, je vous en conjure devant Dieu, est-ce que j’ai jamais eu cette audace ? » Mais sa réputation était définitivement établie, ses protestations n’y pouvaient plus rien. Tout autant que sa conversation caustique, ce livre n’avait pas peu contribué à classer son auteur parmi les cœurs secs et les hypocrites dangereux. Il n’y a pas bien longtemps que ses commentateurs et ses admirateurs récents l’ont pu laver de ces reproches immérités.

Avec ce mélange de courage et d’indifférence qu’il témoignait à l’égard de son œuvre littéraire, Stendhal se remit bientôt au travail et pensa moins désormais à ce livre de son passé qu’à tout ce qu’il projetait d’écrire encore, voulant seulement profiter de son expérience pour réussir 24

davantage s’il se pouvait les petites drôleries à paraître. De temps à autre, lors de ses loisirs, il lui arrivait cependant de reprendre le Rouge, notamment en 1831, en 1835, en 1838 et en 1840.

Il inscrivait en marge de l’exemplaire qu’il relisait les corrections qui venaient sous sa plume. Il s’approuvait parfois

: «

Very well,

séminaire », écrit-il par exemple. Par ailleurs, il jugeait son style saccadé, sec, dur, et indiquait les passages où il fallait ajouter des mots pour aider l’imagination à se figurer.

Ces corrections, ces additions, ces réflexions, on les trouvera dans l’édition Champion qui a utilisé l’exemplaire interfolié et corrigé de la main de l’auteur que Stendhal possédait dans sa bibliothèque de Civita-Vecchia et qu’il laissa par testament à son ami Donato Bucci.

Déjà l’édition de Michel Lévy, en 1854, pour les œuvres complètes, donnait en réalité au lecteur un texte nouveau qui malheureusement fut reproduit depuis lors par presque tous ceux qui ont réédité le roman fameux. Des fautes typographiques pures, des mots sautés, intervertis 25

ou estropiés, une mauvaise ponctuation en faussent trop souvent le sens. Et ces défauts se sont multipliés à mesure que se succédèrent les titrages. Nous n’avons pas à y insister. Mais d’autres corrections ont été délibérées. On a voulu manifestement améliorer le style et supprimer les expressions fautives et les provincialismes. Ainsi, quand on voit le mot : rapidement, qui revient à chaque page sous la plume de Stendhal, remplacé une cinquantaine de fois par un adverbe différent, ne doit-on pas soupçonner les soins du méticuleux Romain Colomb ? Mais doit-on retrouver encore une nouvelle marque du même goût, un peu gourmé et choqué de certaines audaces, dans d’autres changements plus caractéristiques ? La première édition disait : « Des flots de fumée de tabac s’élançant de la bouche de tous », et l’édition Lévy porte

: s’échappant. De même elle imprime : « Toujours l’envie de devenir pair gagnera les ultras

», tandis que la première

version était : galopera. Ce n’est pas tout, une épigraphe quelque part fut substituée à celle que Stendhal avait publiée et des phrases nouvelles 26

ajoutées au texte original (notamment au chapitre VI du tome II). Est-il prudent d’accuser Colomb seul de ces tripatouillages ? Je sais qu’il vivait à une époque où l’on n’avait pas encore le respect absolu de la pensée et de l’écriture des maîtres, et qu’il agissait de très bonne foi pour la plus grande gloire de son cousin. Cependant plusieurs de ces corrections ont un tour vraiment stendhalien1, et si l’on me permet une hypothèse je penserai que Colomb a eu entre les mains des indications manuscrites, laissées par Henri Beyle en vue d’une nouvelle édition, et analogues à celles utilisées par M. Jules Marsan pour l’édition Champion.

Quel que soit le sort que l’avenir réserve à ces hypothèses, j’ai cru néanmoins devoir suivre ici presque continuellement le texte de la première édition. À peine l’ai-je abandonné deux ou trois fois lorsque manifestement une faute 1 Je n’en donnerai qu’un exemple : Édition originale :

« Mademoiselle de La Mole promenait ses regards sur les jeunes Français. » Édition Lévy : « Mademoiselle de La Mole regardait les jeunes Français. »

27

typographique avait trahi la pensée de l’écrivain.

C’est qu’au risque d’accepter quelques négligences de forme, il est bien préférable de lire le Rouge et le Noir, avant toute retouche tel qu’il sortit, tumultueux, comme une lave, du cerveau de Stendhal.

HENRI MARTINEAU.

28

Avertissement

Cet ouvrage était prêt à paraître lorsque les grands événements de juillet sont venus donner à tous les esprits une direction peu favorable aux jeux de l’imagination. Nous avons lieu de croire que les feuilles suivantes furent écrites en 1827.

29

Livre premier

La vérité, l’âpre vérité.

DANTON.

30

I

Une petite ville

Put thousands together

Less bad,

But the cage less gay.

HOBBES.

La petite ville de Verrières peut passer pour l’une des plus jolies de la Franche-Comté. Ses maisons blanches avec leurs toits pointus de tuiles rouges s’étendent sur la pente d’une colline, dont des touffes de vigoureux châtaigniers marquent les moindres sinuosités. Le Doubs coule à quelques centaines de pieds au-dessous de ses fortifications bâties jadis par les Espagnols, et maintenant ruinées.

Verrières est abrité du côté du nord par une haute montagne, c’est une des branches du Jura.

31

Les cimes brisées du Verra se couvrent de neige dès les premiers froids d’octobre. Un torrent, qui se précipite de la montagne, traverse Verrières avant de se jeter dans le Doubs, et donne le mouvement à un grand nombre de scies à bois, c’est une industrie fort simple et qui procure un certain bien-être à la majeure partie des habitants plus paysans que bourgeois. Ce ne sont pas cependant les scies à bois qui ont enrichi cette petite ville. C’est à la fabrique des toiles peintes, dites de Mulhouse, que l’on doit l’aisance générale qui, depuis la chute de Napoléon, a fait rebâtir les façades de presque toutes les maisons de Verrières.

À peine entre-t-on dans la ville que l’on est étourdi par le fracas d’une machine bruyante et terrible en apparence. Vingt marteaux pesants, et retombant avec un bruit qui fait trembler le pavé, sont élevés par une roue que l’eau du torrent fait mouvoir. Chacun de ces marteaux fabrique, chaque jour, je ne sais combien de milliers de clous. Ce sont de jeunes filles fraîches et jolies qui présentent aux coups de ces marteaux énormes les petits morceaux de fer qui sont 32

rapidement transformés en clous. Ce travail, si rude en apparence, est un de ceux qui étonnent le plus le voyageur qui pénètre pour la première fois dans les montagnes qui séparent la France de l’Helvétie. Si, en entrant à Verrières, le voyageur demande à qui appartient cette belle fabrique de clous qui assourdit les gens qui montent la grande rue, on lui répond avec un accent traînard : Eh !

elle est à M. le maire.

Pour peu que le voyageur s’arrête quelques instants dans cette grande rue de Verrières, qui va en montant depuis la rive du Doubs jusque vers le sommet de la colline, il y cent à parier contre un qu’il verra paraître un grand homme à l’air affairé et important.

À son aspect tous les chapeaux se lèvent rapidement. Ses cheveux sont grisonnants, et il est vêtu de gris. Il est chevalier de plusieurs ordres, il a un grand front, un nez aquilin, et au total sa figure ne manque pas d’une certaine régularité : on trouve même, au premier aspect, qu’elle réunit à la dignité du maire de village cette sorte d’agrément qui peut encore se 33

rencontrer avec quarante-huit ou cinquante ans.

Mais bientôt le voyageur parisien est choqué d’un certain air de contentement de soi et de suffisance mêlé à je ne sais quoi de borné et de peu inventif.

On sent enfin que le talent de cet homme-là se borne à se faire payer bien exactement ce qu’on lui doit, et à payer lui-même le plus tard possible quand il doit.

Tel est le maire de Verrières, M. de Rênal.

Après avoir traversé la rue d’un pas grave, il entre à la mairie et disparaît aux yeux du voyageur. Mais, cent pas plus haut, si celui-ci continue sa promenade, il aperçoit une maison d’assez belle apparence, et, à travers une grille de fer attenante à la maison, des jardins magnifiques. Au delà c’est une ligne d’horizon formée par les collines de la Bourgogne, et qui semble faite à souhait pour le plaisir des yeux.

Cette vue fait oublier au voyageur l’atmosphère empestée des petits intérêts d’argent dont il commence à être asphyxié.

Are sens