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Le jeune homme le vit dans la psyché, se retourna, et quittant subitement l’air fâché, lui dit du ton le plus doux :

– Eh bien ! monsieur, est-elle enfin arrangée ?

Julien resta stupéfait. Comme ce jeune homme se tournait vers lui, Julien vit la croix pectorale sur sa poitrine : c’était l’évêque d’Agde. Si jeune, pensa Julien ; tout au plus six ou huit ans de plus que moi !...

Et il eut honte de ses éperons.

– Monseigneur, répondit-il timidement, je suis envoyé par le doyen du chapitre, M. Chélan.

– Ah ! il m’est fort recommandé, dit l’évêque d’un ton poli qui redoubla l’enchantement de 244

Julien. Mais je vous demande pardon, monsieur, je vous prenais pour la personne qui doit me rapporter ma mitre. On l’a mal emballée à Paris ; la toile d’argent est horriblement gâtée dans le haut. Cela fera le plus vilain effet, ajouta le jeune évêque d’un air triste, et encore on me fait attendre !

– Monseigneur, je vais chercher la mitre, si Votre Grandeur le permet.

Les beaux yeux de Julien firent leur effet.

– Allez, monsieur, répondit l’évêque avec une politesse charmante ; il me la faut sur-le-champ.

Je suis désolé de faire attendre messieurs du chapitre.

Quand Julien fut arrivé au milieu de la salle, il se retourna vers l’évêque et le vit qui s’était remis à donner des bénédictions. Qu’est-ce que cela peut être ? se demanda Julien, sans doute c’est une préparation ecclésiastique nécessaire à la cérémonie qui va avoir lieu. Comme il arrivait dans la cellule où se tenaient les valets de chambre, il vit la mitre entre leurs mains. Ces messieurs, cédant malgré eux au regard 245

impérieux de Julien, lui remirent la mitre de Monseigneur.

Il se sentit fier de la porter : en traversant la salle, il marchait lentement ; il la tenait avec respect. Il trouva l’évêque assis devant la glace ; mais, de temps à autre, sa main droite, quoique fatiguée, donnait encore la bénédiction. Julien l’aida à placer sa mitre. L’évêque secoua la tête.

– Ah ! elle tiendra, dit-il à Julien d’un air content. Voulez-vous vous éloigner un peu ?

Alors l’évêque alla fort vite au milieu de la pièce, puis se rapprochant du miroir à pas lents, il reprit l’air fâché, et donnait gravement des bénédictions.

Julien était immobile d’étonnement ; il était tenté de comprendre, mais n’osait pas. L’évêque s’arrêta, et le regardant avec un air qui perdait rapidement de sa gravité :

– Que dites-vous de ma mitre, monsieur, va-telle bien ?

– Fort bien, Monseigneur.

– Elle n’est pas trop en arrière ? cela aurait 246

l’air un peu niais ; mais il ne faut pas non plus la porter baissée sur les yeux comme un shako d’officier.

– Elle me semble aller fort bien.

– Le roi de *** est accoutumé à un clergé vénérable et sans doute fort grave. Je ne voudrais pas, à cause de mon âge surtout, avoir l’air trop léger.

Et l’évêque se mit de nouveau à marcher en donnant des bénédictions.

C’est clair, dit Julien, osant enfin comprendre, il s’exerce à donner la bénédiction.

Après quelques instants :

– Je suis prêt, dit l’évêque. Allez, monsieur, avertir M. le doyen et messieurs du chapitre.

Bientôt M. Chélan, suivi des deux curés les plus âgés, entra par une fort grande porte magnifiquement sculptée, et que Julien n’avait pas aperçue. Mais cette fois il resta à son rang, le dernier de tous, et ne put voir l’évêque que par-dessus les épaules des ecclésiastiques qui se pressaient en foule à cette porte.

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L’évêque traversait lentement la salle

;

lorsqu’il fut arrivé sur le seuil les curés se formèrent en procession. Après un petit moment de désordre, la procession commença à marcher en entonnant un psaume. L’évêque s’avançait le dernier entre M. Chélan et un autre curé fort vieux. Julien se glissa tout à fait près de Monseigneur, comme attaché à l’abbé Chélan.

On suivit les longs corridors de l’abbaye de Bray-le-Haut ; malgré le soleil éclatant, ils étaient sombres et humides. On arriva enfin au portique du cloître. Julien était stupéfait d’admiration pour une si belle cérémonie. L’ambition réveillée par le jeune âge de l’évêque, la sensibilité et la politesse exquise de ce prélat se disputaient son cœur. Cette politesse était bien autre chose que celle de M. de Rênal, même dans ses bons jours.

Plus on s’élève vers le premier rang de la société, se dit Julien, plus on trouve de ces manières charmantes.

On entrait dans l’église par une porte latérale, tout à coup un bruit épouvantable fit retentir ses voûtes antiques

; Julien crut qu’elles

s’écroulaient. C’était encore la petite pièce de 248

canon ; traînée par huit chevaux au galop, elle venait d’arriver ; et à peine arrivée, mise en batterie par les canonniers de Leipsick, elle tirait cinq coups par minute, comme si les Prussiens eussent été devant elle.

Mais ce bruit admirable ne fit plus d’effet sur Julien, il ne songeait plus à Napoléon et à la gloire militaire. Si jeune, pensait-il, être évêque d’Agde ! mais où est Agde ? et combien cela rapporte-t-il ? deux ou trois cent mille francs peut-être.

Les laquais de Monseigneur parurent avec un dais magnifique, M. Chélan prit l’un des bâtons, mais dans le fait ce fut Julien qui le porta.

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