L’évêque se plaça dessous. Réellement, il était parvenu à se donner l’air vieux ; l’admiration de notre héros n’eut plus de bornes. Que ne fait-on pas avec de l’adresse ! pensa-t-il.
Le roi entra. Julien eut le bonheur de le voir de très près. L’évêque le harangua avec onction, et sans oublier une petite nuance de trouble fort poli pour Sa Majesté.
Nous ne répéterons point la description des 249
cérémonies de Bray-le-Haut
; pendant quinze
jours elles ont rempli les colonnes de tous les journaux du département. Julien apprit, par le discours de l’évêque, que le roi descendait de Charles le Téméraire.
Plus tard il entra dans les fonctions de Julien de vérifier les comptes de ce qu’avait coûté cette cérémonie. M. de La Mole, qui avait fait avoir un évêché à son neveu, avait voulu lui faire la galanterie de se charger de tous les frais. La seule cérémonie de Bray-le-Haut coûta trois mille huit cents francs.
Après le discours de l’évêque et la réponse du roi, Sa Majesté se plaça sous le dais, ensuite elle s’agenouilla fort dévotement sur un coussin près de l’autel. Le chœur était environné de stalles, et les stalles élevées de deux marches sur le pavé.
C’était sur la dernière de ces marches que Julien était assis aux pieds de M. Chélan, à peu près comme un caudataire près de son cardinal, à la chapelle Sixtine, à Rome. Il y eut un Te Deum, des flots d’encens, des décharges infinies de mousqueterie et d’artillerie ; les paysans étaient 250
ivres de bonheur et de piété. Une telle journée défait l’ouvrage de cent numéros des journaux jacobins.
Julien était à six pas du roi, qui réellement priait avec abandon. Il remarqua pour la première fois un petit homme au regard spirituel et qui portait un habit presque sans broderies. Mais il avait un cordon bleu de ciel par-dessus cet habit fort simple. Il était plus près du roi que beaucoup d’autres seigneurs, dont les habits étaient tellement brodés d’or, que, suivant l’expression de Julien, on ne voyait pas le drap. Il apprit quelques moments après que c’était M. de La Mole. Il lui trouva l’air hautain et même insolent.
Ce marquis ne serait pas poli comme mon joli évêque, pensa-t-il. Ah ! l’état ecclésiastique rend doux et sage. Mais le roi est venu pour vénérer la relique, et je ne vois point de relique. Où sera saint Clément ?
Un petit clerc, son voisin, lui apprit que la vénérable relique était dans le haut de l’édifice dans une chapelle ardente.
Qu’est-ce qu’une chapelle ardente ? se dit 251
Julien.
Mais il ne voulut pas demander l’explication de ce mot. Son attention redoubla.
En cas de visite d’un prince souverain, l’étiquette veut que les chanoines
n’accompagnent pas l’évêque. Mais en se mettant en marche pour la chapelle ardente, Monseigneur d’Agde appela l’abbé Chélan ; Julien osa le suivre.
Après avoir monté un long escalier, on parvint à une porte extrêmement petite, mais dont le chambranle gothique était doré avec
magnificence. Cet ouvrage avait l’air fait de la veille.
Devant la porte étaient réunies à genoux vingt-quatre jeunes filles, appartenant aux familles les plus distinguées de Verrières. Avant d’ouvrir la porte, l’évêque se mit à genoux au milieu de ces jeunes filles toutes jolies. Pendant qu’il priait à haute voix, elles semblaient ne pouvoir assez admirer ses belles dentelles, sa bonne grâce, sa figure si jeune et si douce. Ce spectacle fit perdre à notre héros ce qui lui restait de raison. En cet 252
instant, il se fût battu pour l’inquisition, et de bonne foi. La porte s’ouvrit tout à coup. La petite chapelle parut comme embrasée de lumière. On apercevait sur l’autel plus de mille cierges divisés en huit rangs séparés entre eux par des bouquets de fleurs. L’odeur suave de l’encens le plus pur sortait en tourbillon de la porte du sanctuaire. La chapelle dorée à neuf était fort petite, mais très élevée. Julien remarqua qu’il y avait sur l’autel des cierges qui avaient plus de quinze pieds de haut. Les jeunes filles ne purent retenir un cri d’admiration. On n’avait admis dans le petit vestibule de la chapelle que les vingt-quatre jeunes filles, les deux curés et Julien.
Bientôt le roi arriva, suivi du seul M. de La Mole et de son grand chambellan. Les gardes eux-mêmes restèrent en dehors, à genoux, et présentant les armes.
Sa Majesté se précipita plutôt qu’elle ne se jeta sur le prie-Dieu. Ce fut alors seulement que Julien, collé contre la porte dorée, aperçut, par-dessous le bras nu d’une jeune fille, la charmante statue de saint Clément. Il était caché sous l’autel, 253
en costume de jeune soldat romain. Il avait au cou une large blessure d’où le sang semblait couler. L’artiste s’était surpassé
; ses yeux
mourants, mais pleins de grâce, étaient à demi fermés. Une moustache naissante ornait cette bouche charmante, qui à demi fermée avait encore l’air de prier. À cette vue, la jeune fille voisine de Julien pleura à chaudes larmes, une de ses larmes tomba sur la main de Julien.
Après un instant de prières dans le plus profond silence, troublé seulement par le son lointain des cloches de tous les villages à dix lieues à la ronde, l’évêque d’Agde demanda au roi la permission de parler. Il finit un petit discours fort touchant par des paroles simples, mais dont l’effet n’en était que mieux assuré.
– N’oubliez jamais, jeunes chrétiennes, que vous avez vu l’un des plus grands rois de la terre à genoux devant les serviteurs de ce Dieu tout-puissant et terrible. Ces serviteurs faibles, persécutés, assassinés sur la terre, comme vous le voyez par la blessure encore sanglante de saint Clément, ils triomphent au ciel. N’est-ce pas, 254
jeunes chrétiennes, vous vous souviendrez à jamais de ce jour ? vous détesterez l’impie. À
jamais vous serez fidèles à ce Dieu si grand, si terrible, mais si bon.
À ces mots, l’évêque se leva avec autorité.
– Vous me le promettez ? dit-il, en avançant le bras d’un air inspiré.
– Nous le promettons, dirent les jeunes filles, en fondant en larmes.
– Je reçois votre promesse, au nom du Dieu terrible ! ajouta l’évêque d’une voix tonnante. Et la cérémonie fut terminée.
Le roi lui-même pleurait. Ce ne fut que longtemps après que Julien eut assez de sang-froid pour demander où étaient les os du saint envoyés de Rome à Philippe le Bon, duc de Bourgogne. On lui apprit qu’ils étaient cachés dans la charmante figure de cire.
Sa Majesté daigna permettre aux demoiselles qui l’avaient accompagnée dans la chapelle de porter un ruban rouge sur lequel étaient brodés ces mots
: HAINE À L’IMPIE, ADORATION
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PERPETUELLE.