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!

fuyez !

– Après quatorze mois de malheur, je ne vous quitterai certainement pas sans vous avoir parlé.

Je veux savoir tout ce que vous avez fait. Ah ! je vous ai assez aimée pour mériter cette confidence... je veux tout savoir.

Malgré madame de Rênal, ce ton d’autorité avait de l’empire sur son cœur.

Julien, qui la tenait serrée avec passion, et résistait à ses efforts pour se dégager, cessa de la presser dans ses bras. Ce mouvement rassura un peu madame de Rênal.

– Je vais retirer l’échelle, dit-il, pour qu’elle ne nous compromette pas si quelque domestique, éveillé par le bruit, fait une ronde.

– Ah ! sortez, sortez au contraire, lui dit-on avec une véritable colère. Que m’importent les hommes ? C’est Dieu qui voit l’affreuse scène que vous me faites et qui m’en punira. Vous abusez lâchement des sentiments que j’eus pour vous, mais que je n’ai plus. Entendez-vous, M.

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Julien ?

Il retirait l’échelle fort lentement pour ne pas faire de bruit.

– Ton mari est-il à la ville ? lui dit-il, non pour la braver, mais emporté par l’ancienne habitude.

Ne me parlez pas ainsi, de grâce, ou j’appelle mon mari. Je ne suis déjà que trop coupable de ne vous avoir pas chassé, quoi qu’il pût en arriver. J’ai pitié de vous, lui dit-elle, cherchant à blesser son orgueil qu’elle connaissait si irritable.

Ce refus de tutoiement, cette façon brusque de briser un lien si tendre, et sur lequel il comptait encore, portèrent jusqu’au délire le transport d’amour de Julien.

– Quoi ! est-il possible que vous ne m’aimiez plus ! lui dit-il avec un de ces accents du cœur, si difficiles à écouter de sang-froid.

Elle ne répondit pas ; pour lui, il pleurait amèrement.

Réellement, il n’avait plus la force de parler.

– Ainsi je suis complètement oublié du seul 481

être qui m’ait jamais aimé ! À quoi bon vivre désormais ? Tout son courage l’avait quitté dès qu’il n’avait plus eu à craindre le danger de rencontrer un homme ; tout avait disparu de son cœur, hors l’amour.

Il pleura longtemps en silence. Il prit sa main, elle voulut la retirer

; et cependant, après

quelques mouvements presque convulsifs, elle la lui laissa. L’obscurité était extrême

; ils se

trouvaient l’un et l’autre assis sur le lit de madame de Rênal.

Quelle différence avec ce qui était il y a quatorze mois ! pensa Julien ; et ses larmes redoublèrent. Ainsi l’absence détruit sûrement tous les sentiments de l’homme !

– Daignez me dire ce qui vous est arrivé, dit enfin Julien embarrassé de son silence et d’une voix coupée par les larmes.

Sans doute, répondit madame de Rênal d’une voix dure, et dont l’accent avait quelque chose de sec et de reprochant pour Julien, mes égarements étaient connus dans la ville, lors de votre départ. Il y avait eu tant d’imprudence dans 482

vos démarches

! Quelque temps après, alors

j’étais au désespoir, le respectable M. Chélan vint me voir. Ce fut en vain que, pendant longtemps, il voulut obtenir un aveu. Un jour, il eut l’idée de me conduire dans cette église de Dijon où j’ai fait ma première communion. Là, il osa parler le premier... Madame de Rênal fut interrompue par ses larmes. Quel moment de honte ! J’avouai tout. Cet homme si bon daigna ne point m’accabler du poids de son indignation

: il

s’affligea avec moi. Dans ce temps-là, je vous écrivais tous les jours des lettres que je n’osais vous envoyer ; je les cachais soigneusement, et quand j’étais trop malheureuse, je m’enfermais dans ma chambre et relisais mes lettres.

Enfin, M. Chélan obtint que je les lui remettrais... Quelques-unes, écrites avec un peu plus de prudence, vous avaient été envoyées ; vous ne me répondiez point.

– Jamais, je te jure, je n’ai reçu aucune lettre de toi au séminaire.

– Grand Dieu, qui les aura interceptées ?

– Juge de ma douleur, avant le jour où je te 483

vis, à la cathédrale, je ne savais si tu vivais encore.

– Dieu me fit la grâce de comprendre combien je péchais envers lui, envers mes enfants, envers mon mari, reprit madame de Rênal. Il ne m’a jamais aimée comme je croyais alors que vous m’aimiez...

Julien se précipita dans ses bras, réellement sans projet et hors de lui. Mais madame de Rênal le repoussa, et continuant avec assez de fermeté :

– Mon respectable ami M. Chélan me fit comprendre qu’en épousant M. de Rênal, je lui avais engagé toutes mes affections, même celles que je ne connaissais pas, et que je n’avais jamais éprouvées avant une liaison fatale... Depuis le grand sacrifice de ces lettres, qui m’étaient si chères, ma vie s’est écoulée sinon heureusement, du moins avec assez de tranquillité. Ne la troublez point ; soyez un ami pour moi... le meilleur de mes amis. Julien couvrit ses mains de baisers ; elle sentit qu’il pleurait encore. Ne pleurez point, vous me faites tant de peine...

Dites-moi à votre tour ce que vous avez fait.

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Julien ne pouvait parler. Je veux savoir votre genre de vie au séminaire, répéta-t-elle, puis vous vous en irez.

Sans penser à ce qu’il racontait, Julien parla des intrigues et des jalousies sans nombre qu’il avait d’abord rencontrées, puis de sa vie plus tranquille depuis qu’il avait été nommé répétiteur.

Ce fut alors, ajouta-t-il, qu’après un long silence, qui sans doute était destiné à me faire comprendre ce que je vois trop aujourd’hui, que vous ne m’aimiez plus et que j’étais devenu indifférent pour vous... Madame de Rênal serra ses mains. Ce fut alors que vous m’envoyâtes une somme de cinq cents francs.

– Jamais, dit madame de Rênal.

– C’était une lettre timbrée de Paris et signée Paul Sorel, afin de déjouer tous les soupçons.

Il s’éleva une petite discussion sur l’origine possible de cette lettre. La position morale changea. Sans le savoir, madame de Rênal et Julien avaient quitté le ton solennel ; ils étaient 485

Are sens