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revenus à celui d’une tendre amitié. Ils ne se voyaient point tant l’obscurité était profonde, mais le son de la voix disait tout. Julien passa le bras autour de la taille de son amie

; ce

mouvement avait bien des dangers. Elle essaya d’éloigner le bras de Julien, qui, avec assez d’habileté, attira son attention dans ce moment par une circonstance intéressante de son récit. Ce bras fut comme oublié et resta dans la position qu’il occupait.

Après bien des conjectures sur l’origine de la lettre aux cinq cents francs, Julien avait repris son récit ; il devenait un peu plus maître de lui en parlant de sa vie passée, qui, auprès de ce qui lui arrivait en cet instant, l’intéressait si peu. Son attention se fixa tout entière sur la manière dont allait finir sa visite. Vous allez sortir, lui disait-on toujours, de temps en temps, et avec un accent bref.

Quelle honte pour moi si je suis éconduit ! ce sera un remords à empoisonner toute ma vie, se disait-il, jamais elle ne m’écrira. Dieu sait quand je reviendrai en ce pays ! De ce moment, tout ce 486

qu’il y avait de céleste dans la position de Julien disparut rapidement de son cœur. Assis à côté d’une femme qu’il adorait, la serrant presque dans ses bras, dans cette chambre où il avait été si heureux, au milieu d’une obscurité profonde, distinguant fort bien que depuis un moment elle pleurait, sentant au mouvement de sa poitrine qu’elle avait des sanglots, il eut le malheur de devenir un froid politique, presque aussi calculant et aussi froid que lorsque, dans la cour du séminaire, il se voyait en butte à quelque mauvaise plaisanterie de la part d’un de ses camarades plus fort que lui. Julien faisait durer son récit, et parlait de la vie malheureuse qu’il avait menée depuis son départ de Verrières.

Ainsi, se disait madame de Rênal, après un an d’absence, privé presque entièrement de marques de souvenir, tandis que moi je l’oubliais, il n’était occupé que des jours heureux qu’il avait trouvés à Vergy. Ses sanglots redoublaient. Julien vit le succès de son récit. Il comprit qu’il fallait tenter la dernière ressource : il arriva brusquement à la lettre qu’il venait de recevoir de Paris.

– J’ai pris congé de Monseigneur l’évêque.

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– Quoi, vous ne retournez pas à Besançon !

vous nous quittez pour toujours ?

– Oui, répondit Julien d’un ton résolu ; oui, j’abandonne un pays où je suis oublié même de ce que j’ai le plus aimé en ma vie, et je le quitte pour ne jamais le revoir. Je vais à Paris...

– Tu vas à Paris ! s’écria assez haut madame de Rênal.

Sa voix était presque étouffée par les larmes, et montrait tout l’excès de son trouble. Julien avait besoin de cet encouragement : il allait tenter une démarche qui pouvait tout décider contre lui ; et avant cette exclamation, n’y voyant point, il ignorait absolument l’effet qu’il parvenait à produire. Il n’hésita plus ; la crainte du remords lui donnait tout empire sur lui-même ; il ajouta froidement en se levant :

– Oui, madame, je vous quitte pour toujours, soyez heureuse ; adieu.

Il fit quelques pas vers la fenêtre ; déjà il l’ouvrait. Madame de Rênal s’élança vers lui et se précipita dans ses bras.

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Ainsi, après trois heures de dialogue, Julien obtint ce qu’il avait désiré avec tant de passion pendant les deux premières. Un peu plus tôt arrivés, le retour aux sentiments tendres, l’éclipse des remords chez madame de Rênal eussent été un bonheur divin ; ainsi obtenus avec art, ce ne fut plus qu’un plaisir. Julien voulut absolument, contre les instances de son amie, allumer la veilleuse.

– Veux-tu donc, lui disait-il, qu’il ne me reste aucun souvenir de t’avoir vue ? L’amour qui est sans doute dans ces yeux charmants sera donc perdu pour moi ? La blancheur de cette jolie main me sera donc invisible ? Songe que je te quitte pour bien longtemps peut-être !

Madame de Rênal n’avait rien à refuser à cette idée qui la faisait fondre en larmes. Mais l’aube commençait à dessiner vivement les contours des sapins sur la montagne à l’orient de Verrières. Au lieu de s’en aller, Julien ivre de volupté demanda à madame de Rênal de passer toute la journée caché dans sa chambre, et de ne partir que la nuit suivante.

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– Et pourquoi pas ? répondit-elle. Cette fatale rechute m’ôte toute estime pour moi, et fait à jamais mon malheur, et elle le pressait contre son cœur. Mon mari n’est plus le même, il a des soupçons ; il croit que je l’ai mené dans toute cette affaire, et se montre fort piqué contre moi.

S’il entend le moindre bruit, je suis perdue, il me chassera comme une malheureuse que je suis.

– Ah ! voilà une phrase de M. Chélan, dit Julien ; tu ne m’aurais pas parlé ainsi avant ce cruel départ pour le séminaire ; tu m’aimais alors !

Julien fut récompensé du sang-froid qu’il avait mis dans ce mot

: il vit son amie oublier

rapidement le danger que la présence de son mari lui faisait courir, pour songer au danger bien plus grand de voir Julien douter de son amour. Le jour croissait rapidement et éclairait vivement la chambre ; Julien retrouva toutes les voluptés de l’orgueil, lorsqu’il put revoir dans ses bras et presque à ses pieds cette femme charmante, la seule qu’il eût aimée et qui peu d’heures auparavant était tout entière à la crainte d’un 490

Dieu terrible et à l’amour de ses devoirs. Des résolutions fortifiées par un an de constance n’avaient pu tenir devant son courage.

Bientôt on entendit du bruit dans la maison ; une chose à laquelle elle n’avait pas songé vint troubler madame de Rênal.

Cette méchante Élisa va entrer dans la chambre, que faire de cette énorme échelle ? dit-elle à son ami ; où la cacher ? Je vais la porter au grenier, s’écria-t-elle tout à coup avec une sorte d’enjouement.

– Mais il faut passer dans la chambre du domestique, dit Julien étonné.

Je laisserai l’échelle dans le corridor, j’appellerai le domestique et lui donnerai une commission.

– Songe à préparer un mot pour le cas où le domestique passant devant l’échelle, dans le corridor, la remarquera.

– Oui, mon ange, dit madame de Rênal en lui donnant un baiser. Toi, songe à te cacher bien vite sous le lit, si, pendant mon absence, Élisa 491

entre ici.

Julien fut étonné de cette gaieté soudaine.

Ainsi, pensa-t-il, l’approche d’un danger matériel, loin de la troubler, lui rend sa gaieté, parce qu’elle oublie ses remords

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