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Le lendemain, le roi vint rendre visite à ses enfants. Il ne trouva que sa fille.

– Où sont tes frères ? demanda-t-il.

– Ah ! cher père, répondit-elle, ils sont partis et m’ont laissée toute seule.

Elle lui raconta qu’elle avait vu de sa fenêtre comment ses frères transformés en cygnes étaient partis en volant au-dessus de la forêt et lui montra les plumes qu’ils avaient laissé tomber dans la cour. Le roi s’affligea, mais il ne pensa pas que c’était la reine qui avait commis cette mauvaise action. Et comme il craignait que sa fille ne lui fût également ravie, il voulut l’emmener avec lui. Mais elle avait peur de sa belle-mère et pria le roi de la laisser une nuit encore dans le château de la forêt.

La pauvre jeune fille pensait : « je ne resterai pas longtemps ici, je vais aller à la recherche de mes frères. » Et lorsque la nuit vint, elle s’enfuit et s’enfonça tout droit dans la forêt. Elle marcha toute la nuit et encore le jour suivant jusqu’à ce que la fatigue l’empêchât d’avancer. Elle vit alors une hutte dans laquelle elle entra ; elle y trouva six petits lits. Mais elle n’osa pas s’y coucher. Elle se faufila sous l’un deux, s’allongea sur le sol dur et se prépara au sommeil. Mais, comme le soleil allait se coucher, elle entendit un bruissement et vit six cygnes entrer par la fenêtre. Ils se posèrent sur le sol, soufflèrent l’un sur l’autre et toutes leurs plumes s’envolèrent. Leur peau apparut sous la forme d’une petite chemise. La jeune fille les regarda bien et reconnut ses frères. Elle se réjouit et sortit de dessous le lit. Ses frères ne furent pas moins heureux qu’elle lorsqu’ils la virent. Mais leur joie fut de courte durée.

– Tu ne peux pas rester ici, lui dirent-ils, nous sommes dans une maison de voleurs. S’ils te trouvent ici quand ils arriveront, ils te tueront.

– Vous ne pouvez donc pas me protéger ? demanda la petite fille.

– Non ! répondirent-ils, car nous ne pouvons quitter notre peau de cygne que durant un quart d’heure chaque soir et, pendant ce temps, nous reprenons notre apparence humaine. Mais ensuite, nous redevenons des cygnes.

La petite fille pleura et dit :

– Ne pouvez-vous donc pas être sauvés ?

– Ah, non, répondirent-ils, les conditions en sont trop difficiles. Il faudrait que pendant six ans tu ne parles ni ne ries et que pendant ce temps tu nous confectionnes six petites chemises faites de fleurs. Si un seul mot sortait de ta bouche, toute ta peine aurait été inutile.

Et comme ses frères disaient cela, le quart d’heure s’était écoulé et, redevenus cygnes, ils s’en allèrent par la fenêtre.

La jeune fille résolut cependant de sauver ses frères, même si cela devait lui coûter la vie. Elle quitta la hutte, gagna le centre de la forêt, grimpa sur un arbre et y passa la nuit. Le lendemain, elle rassembla des fleurs et commença à coudre. Elle n’avait personne à qui parler et n’avait aucune envie de rire. Elle restait assise où elle était et ne regardait que son travail. Il en était ainsi depuis longtemps déjà, lorsqu’il advint que le roi du pays chassa dans la forêt et que ses gens s’approchèrent de l’arbre sur lequel elle se tenait. Ils l’appelèrent et lui dirent :

– Qui es-tu ?

Elle ne répondit pas.

– Viens, lui dirent-ils, nous ne te ferons aucun mal.

Elle secoua seulement la tête. Comme ils continuaient à la presser de questions, elle leur lança son collier d’or, espérant les satisfaire. Mais ils n’en démordaient pas. Elle leur lança alors sa ceinture ; mais cela ne leur suffisait pas non plus. Puis sa jarretière et, petit à petit, tout ce qu selle avait sur elle et dont elle pouvait se passer, si bien qu’il ne lui resta que sa petite chemise. Mais les chasseurs ne s’en contentèrent pas. Ils grimpèrent sur l’arbre, se saisirent d’elle et la conduisirent au roi. Le roi demanda :

– Qui es-tu ? Que fais-tu sur cet arbre ?

Elle ne répondit pas. Il lui posa des questions dans toutes les langues qu’il connaissait, mais elle resta muette comme une carpe. Comme elle était très belle, le roi en fut ému et il s’éprit d’un grand amour pour elle. Il l’enveloppa de son manteau, la mit devant lui sur son cheval et l’emmena dans son château. Il lui fit donner de riches vêtements et elle resplendissait de beauté comme un soleil. Mais il était impossible de lui arracher une parole. À table, il la plaça à ses côtés et sa modestie comme sa réserve lui plurent si fort qu’il dit :

– Je veux l’épouser, elle et personne d’autre au monde.

Au bout de quelques jours, il se maria avec elle. Mais le roi avait une mère méchante, à laquelle ce mariage ne plaisait pas. Elle disait du mal de la jeune reine. « Qui sait d’où vient cette folle, disait-elle. Elle ne sait pas parler et ne vaut rien pour un roi. » Au bout d’un an, quand la reine eut un premier enfant, la vieille le lui enleva et, pendant qu’elle dormait, elle lui barbouilla les lèvres de sang. Puis elle se rendit auprès du roi et accusa sa femme d’être une mangeuse d’hommes. Le roi ne voulut pas la croire et n’accepta pas qu’on lui fit du mal. Elle, cependant, restait là, cousant ses chemises et ne prêtant attention à rien d’autre. Lorsqu’elle eut son second enfant, un beau garçon, la méchante belle-mère recommença, mais le roi n’arrivait pas à la croire. Il dit :

– Elle est trop pieuse et trop bonne pour faire pareille chose. Si elle n’était pas muette et pouvait se défendre, son innocence éclaterait.

Mais lorsque la vieille lui enleva une troisième fois son enfant nouveau-né et accusa la reine qui ne disait pas un mot pour sa défense, le roi ne put rien faire d’autre que de la traduire en justice et elle fut condamnée à être brûlée vive.

Quand vint le jour où le verdict devait être exécuté, c’était également le dernier des six années au cours desquelles elle n’avait le droit ni de parler ni de rire et où elle pourrait libérer ses frères chéris du mauvais sort. Les six chemises étaient achevées. Il ne manquait que la manche gauche de la sixième. Quand on la conduisit à la mort, elle plaça les six chemises sur son bras et quand elle fut en haut du bûcher, au moment où le feu allait être allumé, elle regarda autour d’elle et vit que les six cygnes arrivaient en volant. Elle comprit que leur délivrance approchait et son cœur se remplit de joie. Les cygnes s’approchèrent et se posèrent auprès d’elle de sorte qu’elle put leur lancer les chemises. Dès qu’elles les atteignirent, les plumes de cygnes tombèrent et ses frères se tinrent devant elle en chair et en os, frais et beaux. Il ne manquait au plus jeune que le bras gauche. À la place, il avait une aile de cygne dans le dos. Ils s’embrassèrent et la reine s’approcha du roi complètement bouleversé, commença à parler et dit :

– Mon cher époux, maintenant j’ai le droit de parler et de te dire que je suis innocente et que l’on m’a faussement accusée.

Et elle lui dit la tromperie de la vieille qui lui avait enlevé ses trois enfants et les avait cachés. Pour la plus grande joie du roi, ils lui furent ramenés et, en punition, la méchante belle-mère fut attachée au bûcher et réduite en cendres. Pendant de nombreuses années, le roi, la reine et ses six frères vécurent dans le bonheur et la paix.

Chapitre 30 Du Souriceau, de l’oiselet et de la saucisse

Il était une fois un souriceau, un oiselet est une petite saucisse qui s’étaient pris d’amitié, avaient mis en commun les soucis du ménage et vivaient fort heureux, tranquilles et contents depuis un bon bout de temps. L’oiselet avait pour tâche d’aller chaque jour d’un coup d’ailes jusque dans la forêt pour ramasser le bois ; le souriceau s’occupait de puiser l’eau, d’allumer le feu et de mettre la table ; la saucisse faisait la cuisine.

On n’est jamais content quand les choses vont bien. Et c’est ainsi que l’oiselet, un jour, rencontra en chemin un autre oiseau devant lequel il se félicite de l’excellence de son état. L’autre le rabroua et le traita de tous les noms, ce pauvre idiot qui faisait tout le gros travail pendant que les autres avaient la belle vie dans la maison : « Quand le souriceau a apporté son eau et allumé le feu, disait-il, il n’a plus qu’à aller se coucher dans la chambre, paresser et se reposer jusqu’à ce qu’on l’appelle pour se mettre à table. La petite saucisse, elle, n’a rien à faire qu’à rester douillettement devant le feu en surveillant la marmite, et quand approche l’heure du repas, tout ce qu’elle a à faire, c’est de plonger une fois ou deux dans le bouillon ou dans le plat, et c’est fini : tout est graissé, parfumé et salé !

Ils n’attendent que toi et ton retour avec ta lourde charge, mais lorsque tu reviens ils n’ont qu’à passer à table, et après qu’ils se sont gavés ils n’ont plus qu’à aller dormir à poings fermés, le ventre bien garni, jusqu’au lendemain matin. Voilà ce qui peut s’appeler une belle vie ! »

Le jour suivant, l’oiselet, sensible à la provocation, se refusa à aller chercher le bois, affirmant aux deux autres qu’il était leur esclave depuis assez longtemps dans sa stupidité et qu’il fallait que ça change ! Le souriceau et la saucisse eurent beau le supplier de toutes les manières, il ne voulut rien savoir et ce fut lui qui resta le maître, imposant ses conditions : ils n’avaient qu’à tirer au sort les différentes tâches. Ils tirèrent et le sort désigna la saucisse pour aller au bois, le souriceau pour la cuisine et l’oiselet pour puiser l’eau.

Qu’arrivera-t-il ? La petite saucisse s’en alla de bon matin dans la forêt pour ramasser le bois, l’oiselet alluma le feu à la maison, et le souriceau prépara la marmite et surveilla la cuisson ; puis tous deux attendirent le retour de leur compagne. Mais elle resta si longtemps en route qu’ils finirent par s’inquiéter vraiment, trouvant que cela ne présageait rien de bon. L’oiselet s’envola pour aller un peu à sa rencontre, et voilà que, sans aller bien loin, il rencontra un chien qui avait trouvé la saucisse à son goût et, la voyant en liberté, l’avait croquée d’un coup. L’oiselet pouvait bien s’en prendre au chien, l’accuser de vol et d’assassinat, qu’est-ce que cela changeait ? Le chien, lui, se contenta d’affirmer qu’il avait trouvé des messages compromettants sur la saucisse, et qu’à cause de cela il avait bien fallu qu’il lui ôtât la vie.

Affligé de ce deuil et tout triste dans son cœur, l’oiselet ramassa le bois et rapporta la charge à la maison, où il fait le récit de ce qu’il avait vu et entendu. Le souriceau et l’oiselet étaient en grand chagrin, mais ils finirent par décider de faire contre mauvaise fortune bon cœur et de rester ensemble. L’oiselet, donc, dressa la table et le souriceau prépara la cuisine ; au moment de servir et voulant imiter la saucisse et faire pour le mieux, il se plongea dans la marmite afin de parfumer le plat et relever son goût ; mais, hélas ! il n’alla pas bien loin : à peine entré, il était cuit et devait laisser là son poil, et sa peau, et ses os et sa vie, s’il faut tout dire.

Quand l’oiselet s’en vint pour chercher la marmite, il n’y avait plus trace de cuisinière dans la maison ! Il chercha, fouilla, alla jusqu’à retourner tout le bois, mais il n’y avait plus de cuisinière dans la cuisine. Et voilà que, dans son émoi, il ne vit pas que le feu avait pris dans le bois qu’il venait de retourner ; quand il s’en aperçut, c’était déjà un commencement d’incendie. Et il mit tant de hâte à courir puiser de l’eau pour l’éteindre, qu’il laissa échapper le seau et fut entraîné derrière lui au fond du puis, d’où il lui fût impossible de ressortir, et dans lequel il finit par se noyer.

Chapitre 31 Le Sou volé

Père, mère et enfants étaient tous à table, un jour, avec un ami qui était venu leur faire visite et qui partageait leur repas. Midi sonna pendant qu’ils étaient en train de manger, et au douzième coup, la porte s’ouvrit, à la grande surprise de l’invité, qui vit entrer un enfant d’une étrange pâleur et tout de blanc vêtu. Sans prononcer une parole, sans seulement détourner les yeux, il alla droit dans la chambre à côté, d’où il ressortit au bout d’un petit moment pour gagner la porte et s’en aller comme il était venu, silencieusement et sans tourner la tête. Comme cela se reproduisit exactement le lendemain et le surlendemain, l’ami finit par demander au père qui était ce bel enfant qui venait tous les jours et entrait dans la chambre.

– Je n’ai jamais rien vu, répondit le père, et je n’ai pas la moindre idée de l’identité possible de cet enfant. Le jour suivant, quand l’enfant entra de nouveau, l’ami le désigna au père qui regarda bien, mais ne put le voir, pas plus, d’ailleurs, que la mère ni les autres enfants. Alors l’ami se leva et alla sur la pointe des pieds entrouvrir la porte de la chambre pour voir ce qu’il s’y passait. L’enfant blanc était à genoux par terre, grattant et fouillant fiévreusement avec ses petits doigts dans les raies entre les lames du parquet ; mais dès qu’il aperçut l’étranger, il disparut. L’ami revint alors à table et raconta ce qu’il avait vu, décrivant si bien l’enfant que la mère, tout à coup, le reconnut. « Mon Dieu ! s’écria-t-elle, c’est lui, c’est le cher petit que nous avons perdu il y a quatre semaines. » Ils allèrent alors arracher le parquet dans la chambre et trouvèrent deux petits sous. Ces deux piécettes, c’était la mère qui les avait données, un jour, à son petit garçon pour qu’il en fît la charité à un pauvre ; mais le garçonnet s’était dit qu’avec ces sous, il pourrait s’acheter quelque sucrerie ; et il les avait gardés en les cachant dans une rainure du parquet. À présent, dans sa tombe, il ne connaissait pas le repos et il revenait tous les jours sur le coup de midi pour chercher les sous. Mais après que les parents les eurent vraiment donnés à un pauvre, jamais plus l’enfant n’est revenu.

Chapitre 32 Tom Pouce

Un pauvre laboureur assis un soir au coin de son feu dit à sa femme, qui filait à côté de lui :

– Quel grand chagrin pour nous de ne pas avoir d’enfants. Notre maison est si triste tandis que la gaieté et le bruit animent celle de nos voisins.

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