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« Arrêtez ! » dit-il.

Le canot s’arrêta, et les colons aperçurent une vive lumière qui illuminait l’énorme crypte, si profondément creusée dans les entrailles de l’île.

Il fut alors possible d’examiner cette caverne, dont rien n’avait pu faire soupçonner l’existence.

À une hauteur de cent pieds s’arrondissait une voûte, supportée sur des fûts de basalte qui semblaient avoir tous été fondus dans le même moule. Des retombées irrégulières, des nervures capricieuses s’appuyaient sur ces colonnes que la nature avait dressées par milliers aux premières époques de la formation du globe. Les tronçons basaltiques, emboîtés l’un dans l’autre, mesuraient quarante à cinquante pieds de hauteur, et l’eau, paisible malgré les agitations du dehors, venait en baigner la base. L’éclat du foyer de lumière, signalé par l’ingénieur, saisissant chaque arête prismatique et les piquant de pointes de feux, pénétrait pour ainsi dire les parois comme si elles eussent été diaphanes et changeait en autant de cabochons étincelants les moindres saillies de cette substruction.

Par suite d’un phénomène de réflexion, l’eau reproduisait ces divers éclats à sa surface, de telle sorte que le canot semblait flotter entre deux zones scintillantes.

Il n’y avait pas à se tromper sur la nature de l’irradiation projetée par le centre lumineux dont les rayons, nets et rectilignes, se brisaient à tous les angles, à toutes les nervures de la crypte.

Cette lumière provenait d’une source électrique, et sa couleur blanche en trahissait l’origine. C’était là le soleil de cette caverne, et il l’emplissait tout entière. Sur un signe de Cyrus Smith, les avirons retombèrent en faisant jaillir une véritable pluie d’escarboucles, et le canot se dirigea vers le foyer lumineux, dont il ne fut bientôt plus qu’à une demi-encablure. En cet endroit, la largeur de la nappe d’eau mesurait environ trois cent cinquante pieds, et l’on pouvait apercevoir, au delà du centre éblouissant, un énorme mur basaltique qui fermait toute issue de ce côté. La caverne s’était donc considérablement élargie, et la mer y formait un petit lac. Mais la voûte, les parois latérales, la muraille du chevet, tous ces prismes, tous ces cylindres, tous ces cônes étaient baignés dans le fluide électrique, à ce point que cet éclat leur paraissait propre, et l’on eût pu dire de ces pierres, taillées à facettes comme des diamants de grand prix, qu’elles suaient la lumière ! Au centre du lac, un long objet fusiforme flottait à la surface des eaux, silencieux, immobile. L’éclat qui en sortait s’échappait de ses flancs, comme de deux gueules de four qui eussent été chauffées au blanc soudant. Cet appareil, semblable au corps d’un énorme cétacé, était long de deux cent cinquante pieds environ et s’élevait de dix à douze pieds au-dessus du niveau de la mer.

Le canot s’en approcha lentement. À l’avant, Cyrus Smith s’était levé. Il regardait, en proie à une violente agitation. Puis, tout à coup, saisissant le bras du reporter :

« Mais c’est lui ! Ce ne peut être que lui ! s’écria-t-il, lui !… »

Puis, il retomba sur son banc, en murmurant un nom que Gédéon Spilett fut seul à entendre.

Sans doute, le reporter connaissait ce nom, car cela fit sur lui un prodigieux effet, et il répondit d’une voix sourde :

« Lui ! Un homme hors la loi !

– Lui ! » dit Cyrus Smith.

Sur l’ordre de l’ingénieur, le canot s’approcha de ce singulier appareil flottant. Le canot accosta la hanche gauche, de laquelle s’échappait un faisceau de lumière à travers une épaisse vitre.

Cyrus Smith et ses compagnons montèrent sur la plate-forme. Un capot béant était là. Tous s’élancèrent par l’ouverture. Au bas de l’échelle se dessinait une coursive intérieure, éclairée électriquement. À l’extrémité de cette coursive s’ouvrait une porte que Cyrus Smith poussa. Une salle richement ornée, que traversèrent rapidement les colons, confinait à une bibliothèque, dans laquelle un plafond lumineux versait un torrent de lumière. Au fond de la bibliothèque, une large porte, fermée également, fut ouverte par l’ingénieur. Un vaste salon, sorte de musée où étaient entassées, avec tous les trésors de la nature minérale, des œuvres de l’art, des merveilles de l’industrie, apparut aux yeux des colons, qui durent se croire féeriquement transportés dans le monde des rêves.

Étendu sur un riche divan, ils virent un homme qui ne sembla pas s’apercevoir de leur présence.

Alors Cyrus Smith éleva la voix, et, à l’extrême surprise de ses compagnons, il prononça ces paroles :

« Capitaine Nemo, vous nous avez demandés ? Nous voici. »


CHAPITRE XVI

À ces mots, l’homme couché se releva, et son visage apparut en pleine lumière : tête magnifique, front haut, regard fier, barbe blanche, chevelure abondante et rejetée en arrière.

Cet homme s’appuya de la main sur le dossier du divan qu’il venait de quitter. Son regard était calme. On voyait qu’une maladie lente l’avait miné peu à peu, mais sa voix parut forte encore, quand il dit en anglais, et d’un ton qui annonçait une extrême surprise :

« Je n’ai pas de nom, monsieur.

– Je vous connais ! » répondit Cyrus Smith.

Le capitaine Nemo fixa un regard ardent sur l’ingénieur, comme s’il eût voulu l’anéantir.

Puis, retombant sur les oreillers du divan :

« Qu’importe, après tout, murmura-t-il, je vais mourir ! »

Cyrus Smith s’approcha du capitaine Nemo, et Gédéon Spilett prit sa main, qu’il trouva brûlante. Ayrton, Pencroff, Harbert et Nab se tenaient respectueusement à l’écart dans un angle de ce magnifique salon, dont l’air était saturé d’effluences électriques.

Cependant, le capitaine Nemo avait aussitôt retiré sa main, et d’un signe il pria l’ingénieur et le reporter de s’asseoir.

Tous le regardaient avec une émotion véritable. Il était donc là celui qu’ils appelaient le « génie de l’île », l’être puissant dont l’intervention, en tant de circonstances, avait été si efficace, ce bienfaiteur auquel ils devaient une si large part de reconnaissance ! Devant les yeux, ils n’avaient qu’un homme, là où Pencroff et Nab croyaient trouver presque un dieu, et cet homme était prêt à mourir !

Mais comment se faisait-il que Cyrus Smith connût le capitaine Nemo ? Pourquoi celui-ci s’était-il si vivement relevé en entendant prononcer ce nom, qu’il devait croire ignoré de tous ?…

Le capitaine avait repris place sur le divan, et, appuyé sur son bras, il regardait l’ingénieur, placé près de lui.

« Vous savez le nom que j’ai porté, monsieur ? demanda-t-il.

– Je le sais, répondit Cyrus Smith, comme je sais le nom de cet admirable appareil sous-marin…

– Le Nautilus ? dit en souriant à demi le capitaine.

– Le Nautilus.

– Mais savez-vous… savez-vous qui je suis ?

– Je le sais.

– Il y a pourtant trente années que je n’ai plus aucune communication avec le monde habité, trente ans que je vis dans les profondeurs de la mer, le seul milieu où j’aie trouvé l’indépendance ! Qui donc a pu trahir mon secret ?

– Un homme qui n’avait jamais pris d’engagement envers vous, capitaine Nemo, et qui, par conséquent, ne peut être accusé de trahison.

– Ce français que le hasard jeta à mon bord il y a seize ans ?

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