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À ces mots, l’inconnu rougit et fut sur le point de se retirer. Cyrus Smith comprit ce qui se passait dans l’âme du coupable, qui craignait sans doute que l’ingénieur ne l’interrogeât sur son passé !

Cyrus Smith le retint de la main :

« Camarade, lui dit-il, non seulement nous sommes pour vous des compagnons, mais nous sommes des amis. Je tenais à vous dire cela, et maintenant je vous écoute. »

L’inconnu passa la main sur ses yeux. Il était pris d’une sorte de tremblement, et demeura quelques instants sans pouvoir articuler une parole.

« Monsieur, dit-il enfin, je viens vous prier de m’accorder une grâce.

– Laquelle ?

– Vous avez à quatre ou cinq milles d’ici, au pied de la montagne, un corral pour vos animaux domestiques. Ces animaux ont besoin d’être soignés. Voulez-vous me permettre de vivre là-bas avec eux ? »

Cyrus Smith regarda pendant quelques instants l’infortuné avec un sentiment de commisération profonde. Puis :

« Mon ami, dit-il, le corral n’a que des étables, à peine convenables pour les animaux…

– Ce sera assez bon pour moi, monsieur.

– Mon ami, reprit Cyrus Smith, nous ne vous contrarierons jamais en rien. Il vous plaît de vivre au corral. Soit. Vous serez, d’ailleurs, toujours le bienvenu à Granite-House. Mais puisque vous voulez vivre au corral, nous prendrons les dispositions nécessaires pour que vous y soyez convenablement installé.

– N’importe comment, j’y serai toujours bien.

– Mon ami, répondit Cyrus Smith, qui insistait à dessein sur cette cordiale appellation, vous nous laisserez juger de ce que nous devons faire à cet égard !

– Merci, monsieur », répondit l’inconnu en se retirant.

L’ingénieur fit aussitôt part à ses compagnons de la proposition qui lui avait été faite, et il fut décidé que l’on construirait au corral une maison de bois que l’on rendrait aussi confortable que possible.

Le jour même, les colons se rendirent au corral avec les outils nécessaires, et la semaine ne s’était pas écoulée que la maison était prête à recevoir son hôte. Elle avait été élevée à une vingtaine de pieds des étables, et, de là, il serait facile de surveiller le troupeau de mouflons, qui comptait alors plus de quatre-vingts têtes. Quelques meubles, couchette, table, banc, armoire, coffre, furent fabriqués, et des armes, des munitions, des outils furent transportés au corral.

L’inconnu, d’ailleurs, n’avait point été voir sa nouvelle demeure, et il avait laissé les colons y travailler sans lui, pendant qu’il s’occupait sur le plateau, voulant sans doute mettre la dernière main à sa besogne. Et de fait, grâce à lui, toutes les terres étaient labourées et prêtes à être ensemencées, dès que le moment en serait venu.

C’était le 20 décembre que les installations avaient été achevées au corral. L’ingénieur annonça à l’inconnu que sa demeure était prête à le recevoir, et celui-ci répondit qu’il irait y coucher le soir même.

Ce soir-là, les colons étaient réunis dans la grande salle de Granite-House. Il était alors huit heures, – heure à laquelle leur compagnon devait les quitter. Ne voulant pas le gêner en lui imposant par leur présence des adieux qui lui auraient peut-être coûté, ils l’avaient laissé seul et ils étaient remontés à Granite-House.

Or, ils causaient dans la grande salle, depuis quelques instants, quand un coup léger fut frappé à la porte. Presque aussitôt, l’inconnu entra, et sans autre préambule :

« Messieurs, dit-il, avant que je vous quitte, il est bon que vous sachiez mon histoire. La voici. »

Ces simples mots ne laissèrent pas d’impressionner très vivement Cyrus Smith et ses compagnons.

L’ingénieur s’était levé.

« Nous ne vous demandons rien, mon ami, dit-il. C’est votre droit de vous taire…

– C’est mon devoir de parler.

– Asseyez-vous donc.

– Je resterai debout.

– Nous sommes prêts à vous entendre », répondit Cyrus Smith.

L’inconnu se tenait dans un coin de la salle, un peu protégé par la pénombre. Il était tête nue, les bras croisés sur la poitrine, et c’est dans cette posture que, d’une voix sourde, parlant comme quelqu’un qui se force à parler, il fit le récit suivant, que ses auditeurs n’interrompirent pas une seule fois :

« Le 20 décembre 1854, un yacht de plaisance à vapeur, le Duncan, appartenant au laird écossais, lord Glenarvan, jetait l’ancre au cap Bernouilli, sur la côte occidentale de l’Australie, à la hauteur du trente-septième parallèle. À bord de ce yacht étaient lord Glenarvan, sa femme, un major de l’armée anglaise, un géographe français, une jeune fille et un jeune garçon. Ces deux derniers étaient les enfants du capitaine Grant, dont le navire le Britannia avait péri corps et biens, une année auparavant. Le Duncan était commandé par le capitaine John Mangles et monté par un équipage de quinze hommes.

« Voici pourquoi ce yacht se trouvait à cette époque sur les côtes de l’Australie.

« Six mois auparavant, une bouteille renfermant un document écrit en anglais, en allemand et en français, avait été trouvée dans la mer d’Irlande et ramassée par le Duncan. Ce document portait en substance qu’il existait encore trois survivants du naufrage du Britannia, que ces survivants étaient le capitaine Grant et deux de ses hommes, et qu’ils avaient trouvé refuge sur une terre dont le document donnait la latitude, mais dont la longitude, effacée par l’eau de mer, n’était plus lisible.

« Cette latitude était celle de 37°11’ australe. Donc, la longitude étant inconnue, si l’on suivait ce trente-septième parallèle à travers les continents et les mers, on était certain d’arriver sur la terre habitée par le capitaine Grant et ses deux compagnons.

« L’amirauté anglaise ayant hésité à entreprendre cette recherche, lord Glenarvan résolut de tout tenter pour retrouver le capitaine. Mary et Robert Grant avaient été mis en rapport avec lui. Le yacht le Duncan fut équipé pour une campagne lointaine à laquelle la famille du lord et les enfants du capitaine voulurent prendre part, et le Duncan, quittant Glasgow, se dirigea vers l’Atlantique, doubla le détroit de Magellan et remonta par le Pacifique jusqu’à la Patagonie, où, suivant une première interprétation du document, on pouvait supposer que le capitaine Grant était prisonnier des indigènes.

« Le Duncan débarqua ses passagers sur la côte occidentale de la Patagonie et repartit pour les reprendre sur la côte orientale, au cap Corrientes.

« Lord Glenarvan traversa la Patagonie, en suivant le trente-septième parallèle, et, n’ayant trouvé aucune trace du capitaine, il se rembarqua le 13 novembre, afin de poursuivre ses recherches à travers l’océan.

« Après avoir visité sans succès les îles Tristan d’Acunha et d’Amsterdam, situées sur son parcours, le Duncan, ainsi que je l’ai dit, arriva au cap Bernouilli, sur la côte australienne, le 20 décembre 1854.

« L’intention de lord Glenarvan était de traverser l’Australie comme il avait traversé l’Amérique, et il débarqua. À quelques milles du rivage était établie une ferme, appartenant à un irlandais, qui offrit l’hospitalité aux voyageurs. Lord Glenarvan fit connaître à cet irlandais, les raisons qui l’avaient amené dans ces parages, et il lui demanda s’il avait connaissance qu’un trois-mâts anglais, le Britannia, se fût perdu depuis moins de deux ans sur la côte ouest de l’Australie.

« L’irlandais n’avait jamais entendu parler de ce naufrage ; mais, à la grande surprise des assistants, un des serviteurs de l’irlandais, intervenant, dit :

« – Milord, louez et remerciez Dieu. Si le capitaine Grant est encore vivant, il est vivant sur la terre australienne.

« – Qui êtes-vous ? demanda lord Glenarvan.

« – Un écossais comme vous, milord, répondit cet homme, et je suis un des compagnons du capitaine Grant, un des naufragés du Britannia. »

« Cet homme s’appelait Ayrton. C’était, en effet, le contre-maître du Britannia, ainsi que le témoignaient ses papiers. Mais, séparé du capitaine Grant au moment où le navire se brisait sur les récifs, il avait cru jusqu’alors que son capitaine avait péri avec tout l’équipage, et qu’il était lui, Ayrton, seul survivant du Britannia.

« – Seulement, ajouta-t-il, ce n’est pas sur la côte ouest, mais sur la côte est de l’Australie que le Britannia s’est perdu, et si le capitaine Grant est vivant encore, comme l’indique son document, il est prisonnier des indigènes australiens, et c’est sur l’autre côte qu’il faut le chercher. »

« Cet homme, en parlant ainsi, avait la voix franche, le regard assuré. On ne pouvait douter de ses paroles. L’irlandais, qui l’avait à son service depuis plus d’un an, en répondait. Lord Glenarvan crut à la loyauté de cet homme, et, grâce à ses conseils, il résolut de traverser l’Australie en suivant le trente-septième parallèle. Lord Glenarvan, sa femme, les deux enfants, le major, le français, le capitaine Mangles et quelques matelots devaient composer la petite troupe sous la conduite d’Ayrton, tandis que le Duncan, aux ordres du second, Tom Austin, allait se rendre à Melbourne, où il attendrait les instructions de lord Glenarvan.

« Ils partirent le 23 décembre 1854.

« Il est temps de dire que cet Ayrton était un traître. C’était, en effet, le contre-maître du Britannia ; mais, à la suite de discussions avec son capitaine, il avait essayé d’entraîner son équipage à la révolte et de s’emparer du navire, et le capitaine Grant l’avait débarqué, le 8 avril 1852, sur la côte ouest de l’Australie, puis il était reparti en l’abandonnant, – ce qui n’était que justice.

« Ainsi, ce misérable ne savait rien du naufrage du Britannia. Il venait de l’apprendre par le récit de Glenarvan ! Depuis son abandon, il était devenu, sous le nom de Ben Joyce, le chef de convicts évadés, et, s’il soutint impudemment que le naufrage avait eu lieu sur la côte est, s’il poussa lord Glenarvan à se lancer dans cette direction, c’est qu’il espérait le séparer de son navire, s’emparer du Duncan et faire de ce yacht un pirate du Pacifique. »

Ici, l’inconnu s’interrompit un instant. Sa voix tremblait, mais il reprit en ces termes :

« L’expédition partit et se dirigea à travers la terre australienne. Elle fut naturellement malheureuse, puisque Ayrton ou Ben Joyce, comme on voudra l’appeler, la dirigeait, tantôt précédé, tantôt suivi de sa bande de convicts, qui avait été prévenue du coup à faire.

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