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Ce travail s’accomplit rapidement. Nab et Pencroff étaient devenus de très habiles charpentiers et n’avaient qu’à suivre les gabarits fournis par l’ingénieur. Aussi une sorte de guérite cylindrique, une vraie poivrière, coiffée d’un toit aigu, s’éleva-t-elle bientôt à l’endroit désigné. Les quatre châssis qui formaient les ailes avaient été solidement implantés dans l’arbre de couche, de manière à faire un certain angle avec lui, et ils furent fixés au moyen de tenons de fer. Quant aux diverses parties du mécanisme intérieur, la boîte destinée à contenir les deux meules, la meule gisante et la meule courante, la trémie, sorte de grande auge carrée, large du haut, étroite du bas, qui devait permettre aux grains de tomber sur les meules, l’auget oscillant destiné à régler le passage du grain, et auquel son perpétuel tic-tac a fait donner le nom de « babillard », et enfin le blutoir, qui, par l’opération du tamisage, sépare le son de la farine, cela se fabriqua sans peine. Les outils étaient bons, et le travail fut peu difficile, car, en somme, les organes d’un moulin sont très simples. Ce ne fut qu’une question de temps.

Tout le monde avait travaillé à la construction du moulin, et le 1er décembre il était terminé.

Comme toujours, Pencroff était enchanté de son ouvrage, et il ne doutait pas que l’appareil ne fût parfait.

« Maintenant, un bon vent, dit-il, et nous allons joliment moudre notre première récolte !

– Un bon vent, soit, répondit l’ingénieur, mais pas trop de vent, Pencroff.

– Bah ! Notre moulin n’en tournera que plus vite !

– Il n’est pas nécessaire qu’il tourne si vite, répondit Cyrus Smith. On sait par expérience que la plus grande quantité de travail est produite par un moulin quand le nombre de tours parcourus par les ailes en une minute est sextuple du nombre de pieds parcourus par le vent en une seconde. Avec une brise moyenne, qui donne vingt-quatre pieds à la seconde, il imprimera seize tours aux ailes pendant une minute, et il n’en faut pas davantage.

– Justement ! s’écria Harbert, il souffle une jolie brise de nord-est qui fera bien notre affaire ! »

Il n’y avait aucune raison de retarder l’inauguration du moulin, car les colons avaient hâte de goûter au premier morceau de pain de l’île Lincoln. Ce jour-là donc, dans la matinée, deux à trois boisseaux de blé furent moulus, et le lendemain, au déjeuner, une magnifique miche, un peu compacte peut-être, quoique levée avec de la levure de bière, figurait sur la table de Granite-House. Chacun y mordit à belles dents, et avec quel plaisir, on le comprend de reste !

Cependant l’inconnu n’avait pas reparu. Plusieurs fois, Gédéon Spilett et Harbert avaient parcouru la forêt aux environs de Granite-House, sans le rencontrer, sans en trouver aucune trace. Ils s’inquiétaient sérieusement de cette disparition prolongée. Certainement, l’ancien sauvage de l’île Tabor ne pouvait être embarrassé de vivre dans ces giboyeuses forêts du Far-West, mais n’était-il pas à craindre qu’il ne reprît ses habitudes, et que cette indépendance ne ravivât ses instincts farouches ?

Toutefois, Cyrus Smith, par une sorte de pressentiment, sans doute, persistait toujours à dire que le fugitif reviendrait.

« Oui, il reviendra ! répétait-il avec une confiance que ses compagnons ne pouvaient partager. Quand cet infortuné était à l’île Tabor, il se savait seul ! Ici, il sait que ses semblables l’attendent ! Puisqu’il a à moitié parlé de sa vie passée, ce pauvre repenti, il reviendra la dire tout entière, et ce jour-là il sera à nous ! »

L’événement allait donner raison à Cyrus Smith.

Le 3 décembre, Harbert avait quitté le plateau de Grande-vue et était allé pêcher sur la rive méridionale du lac. Il était sans armes, et jusqu’alors il n’y avait jamais eu aucune précaution à prendre, puisque les animaux dangereux ne se montraient pas dans cette partie de l’île.

Pendant ce temps, Pencroff et Nab travaillaient à la basse-cour, tandis que Cyrus Smith et le reporter étaient occupés aux cheminées à fabriquer de la soude, la provision de savon étant épuisée.

Soudain, des cris retentissent :

« Au secours ! à moi ! »

Cyrus Smith et le reporter, trop éloignés, n’avaient pu entendre ces cris. Pencroff et Nab, abandonnant la basse-cour en toute hâte, s’étaient précipités vers le lac.

Mais avant eux, l’inconnu, dont personne n’eût pu soupçonner la présence en cet endroit, franchissait le creek-glycérine, qui séparait le plateau de la forêt, et bondissait sur la rive opposée.

Là, Harbert était en face d’un formidable jaguar, semblable à celui qui avait été tué au promontoire du reptile. Inopinément surpris, il se tenait debout contre un arbre, tandis que l’animal, ramassé sur lui-même, allait s’élancer… mais l’inconnu, sans autres armes qu’un couteau, se précipita sur le redoutable fauve, qui se retourna contre ce nouvel adversaire.

La lutte fut courte. L’inconnu était d’une force et d’une adresse prodigieuses. Il avait saisi le jaguar à la gorge d’une main puissante comme une cisaille, sans s’inquiéter si les griffes du fauve lui pénétraient dans les chairs, et, de l’autre, il lui fouillait le cœur avec son couteau.

Le jaguar tomba. L’inconnu le poussa du pied, et il allait s’enfuir au moment où les colons arrivaient sur le théâtre de la lutte, quand Harbert, s’attachant à lui, s’écria :

« Non ! Non ! Vous ne vous en irez pas ! »

Cyrus Smith alla vers l’inconnu, dont les sourcils se froncèrent, lorsqu’il le vit s’approcher. Le sang coulait à son épaule sous sa veste déchirée, mais il n’y prenait pas garde.

« Mon ami, lui dit Cyrus Smith, nous venons de contracter une dette de reconnaissance envers vous. Pour sauver notre enfant, vous avez risqué votre vie !

– Ma vie ! murmura l’inconnu. Qu’est-ce qu’elle vaut ? Moins que rien !

– Vous êtes blessé ?

– Peu importe.

– Voulez-vous me donner votre main ? »

Et comme Harbert cherchait à saisir cette main, qui venait de le sauver, l’inconnu se croisa les bras, sa poitrine se gonfla, son regard se voila, et il parut vouloir fuir ; mais, faisant un violent effort sur lui-même, et d’un ton brusque :

« Qui êtes-vous ? dit-il, et que prétendez-vous être pour moi ? »

C’était l’histoire des colons qu’il demandait ainsi, et pour la première fois. Peut-être, cette histoire racontée, dirait-il la sienne ? En quelques mots, Cyrus Smith raconta tout ce qui s’était passé depuis leur départ de Richmond, comment ils s’étaient tirés d’affaire, et quelles ressources étaient maintenant à leur disposition.

L’inconnu l’écoutait avec une extrême attention.

Puis, l’ingénieur dit alors ce qu’ils étaient tous, Gédéon Spilett, Harbert, Pencroff, Nab, lui, et il ajouta que la plus grande joie qu’ils avaient éprouvée depuis leur arrivée dans l’île Lincoln, c’était à leur retour de l’îlot, quand ils avaient pu compter un compagnon de plus.

À ces mots, celui-ci rougit, sa tête s’abaissa sur sa poitrine, et un sentiment de confusion se peignit sur toute sa personne.

« Et maintenant que vous nous connaissez, ajouta Cyrus Smith, voulez-vous nous donner votre main ?

– Non, répondit l’inconnu d’une voix sourde, non ! Vous êtes d’honnêtes gens, vous ! Et moi !… »


CHAPITRE XVII

Ces dernières paroles justifiaient les pressentiments des colons. Il y avait dans la vie de ce malheureux quelque funeste passé, expié peut-être aux yeux des hommes, mais dont sa conscience ne l’avait pas encore absous. En tout cas, le coupable avait des remords, il se repentait, et, cette main qu’ils lui demandaient, ses nouveaux amis l’eussent cordialement pressée, mais il ne se sentait pas digne de la tendre à d’honnêtes gens ! Toutefois, après la scène du jaguar, il ne retourna pas dans la forêt, et depuis ce jour il ne quitta plus l’enceinte de Granite-House. Quel était le mystère de cette existence ? L’inconnu parlerait-il un jour ? C’est ce que l’avenir apprendrait. En tout cas, il fut bien convenu que son secret ne lui serait jamais demandé et que l’on vivrait avec lui comme si l’on n’eût rien soupçonné.

Pendant quelques jours, la vie commune continua donc d’être ce qu’elle avait été. Cyrus Smith et Gédéon Spilett travaillaient ensemble, tantôt chimistes, tantôt physiciens. Le reporter ne quittait l’ingénieur que pour chasser avec Harbert, car il n’eût pas été prudent de laisser le jeune garçon courir seul la forêt, et il fallait se tenir sur ses gardes.

Quant à Nab et à Pencroff, un jour aux étables ou à la basse-cour, un autre au corral, sans compter les travaux à Granite-House, ils ne manquaient pas d’ouvrage.

L’inconnu travaillait à l’écart, et il avait repris son existence habituelle, n’assistant point aux repas, couchant sous les arbres du plateau, ne se mêlant jamais à ses compagnons. Il semblait vraiment que la société de ceux qui l’avaient sauvé lui fût insupportable !

« Mais alors, faisait observer Pencroff, pourquoi a-t-il réclamé le secours de ses semblables ? Pourquoi a-t-il jeté ce document à la mer ?

– Il nous le dira, répondait invariablement Cyrus Smith.

– Quand ?

– Peut-être plus tôt que vous ne le pensez, Pencroff. »

Et, en effet, le jour des aveux était proche.

Le 10 décembre, une semaine après son retour à Granite-House, Cyrus Smith vit venir à lui l’inconnu, qui, d’une voix calme et d’un ton humble, lui dit :

« Monsieur, j’aurais une demande à vous faire.

– Parlez, répondit l’ingénieur ; mais auparavant, laissez-moi vous faire une question. »

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