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Cyrus Smith lui tendit la main, ainsi qu’il avait coutume de le faire, et, le conduisant près de la fenêtre :

« Ayrton, lui dit-il, nous vous avons prié de venir pour un motif grave. Un bâtiment est en vue de l’île. »

Ayrton, tout d’abord, pâlit légèrement, et ses yeux se troublèrent un instant. Puis, se penchant en dehors de la fenêtre, il parcourut l’horizon, mais il ne vit rien.

« Prenez cette longue-vue, dit Gédéon Spilett, et regardez bien, Ayrton, car il serait possible que ce navire fût le Duncan, venu dans ces mers pour vous rapatrier.

– Le Duncan ! murmura Ayrton. Déjà ! »

Ce dernier mot s’échappa comme involontairement des lèvres d’Ayrton, qui laissa tomber sa tête dans ses mains.

Douze ans d’abandon sur un îlot désert ne lui paraissaient donc pas une expiation suffisante ? Le coupable repentant ne se sentait-il pas encore pardonné, soit à ses propres yeux, soit aux yeux des autres ?

« Non, dit-il, non ! Ce ne peut être le Duncan.

– Regardez, Ayrton, dit alors l’ingénieur, car il importe que nous sachions d’avance à quoi nous en tenir. »

Ayrton prit la lunette et la braqua dans la direction indiquée. Pendant quelques minutes, il observa l’horizon sans bouger, sans prononcer une seule parole. Puis :

« En effet, c’est un navire, dit-il, mais je ne crois pas que ce soit le Duncan.

– Pourquoi ne serait-ce pas lui ? demanda Gédéon Spilett.

– Parce que le Duncan est un yacht à vapeur, et que je n’aperçois aucune trace de fumée, ni au-dessus, ni auprès de ce bâtiment.

– Peut-être navigue-t-il seulement à la voile ? fit observer Pencroff. Le vent est bon pour la route qu’il semble suivre, et il doit avoir intérêt à ménager son charbon, étant si loin de toute terre.

– Il est possible que vous ayez raison, Monsieur Pencroff, répondit Ayrton, et que ce navire ait éteint ses feux. Laissons-le donc rallier la côte, et nous saurons bientôt à quoi nous en tenir. »

Cela dit, Ayrton alla s’asseoir dans un coin de la grande salle et y demeura silencieux. Les colons discutèrent encore à propos du navire inconnu, mais sans qu’Ayrton prît part à la discussion.

Tous se trouvaient alors dans une disposition d’esprit qui ne leur eût pas permis de continuer leurs travaux. Gédéon Spilett et Pencroff étaient singulièrement nerveux, allant, venant, ne pouvant tenir en place. Harbert éprouvait plutôt de la curiosité. Nab, seul, conservait son calme habituel.

Son pays n’était-il pas là où était son maître ?

Quant à l’ingénieur, il restait absorbé dans ses pensées, et, au fond, il redoutait plutôt qu’il ne désirait l’arrivée de ce navire.

Cependant, le bâtiment s’était un peu rapproché de l’île. La lunette aidant, il avait été possible de reconnaître que c’était un long-courrier, et non un de ces praos malais, dont se servent habituellement les pirates du Pacifique. Il était donc permis de croire que les appréhensions de l’ingénieur ne se justifieraient pas, et que la présence de ce bâtiment dans les eaux de l’île Lincoln ne constituait point un danger pour elle. Pencroff, après une minutieuse attention, crut pouvoir affirmer que ce navire était gréé en brick et qu’il courait obliquement à la côte, tribord amures, sous ses basses voiles, ses huniers et ses perroquets. Ce qui fut confirmé par Ayrton.

Mais, à continuer sous cette allure, il devait bientôt disparaître derrière la pointe du cap griffe, car il faisait le sud-ouest, et, pour l’observer, il serait alors nécessaire de gagner les hauteurs de la baie Washington, près de port-ballon. Circonstance fâcheuse, car il était déjà cinq heures du soir, et le crépuscule ne tarderait pas à rendre toute observation bien difficile.

« Que ferons-nous, la nuit venue ? demanda Gédéon Spilett. Allumerons-nous un feu afin de signaler notre présence sur cette côte ? »

C’était là une grave question, et pourtant, quelques pressentiments qu’eût gardés l’ingénieur, elle fut résolue affirmativement. Pendant la nuit, le navire pouvait disparaître, s’éloigner pour jamais, et, ce navire disparu, un autre reviendrait-il dans les eaux de l’île Lincoln ? Or, qui pouvait prévoir ce que l’avenir réservait aux colons ?

« Oui, dit le reporter, nous devons faire connaître à ce bâtiment, quel qu’il soit, que l’île est habitée. Négliger la chance qui nous est offerte, ce serait nous créer des regrets futurs ! »

Il fut donc décidé que Nab et Pencroff se rendraient à port-ballon, et que là, une fois la nuit venue, ils allumeraient un grand feu dont l’éclat attirerait nécessairement l’attention de l’équipage du brick.

Mais, au moment où Nab et le marin se préparaient à quitter Granite-House, le bâtiment changea son allure et laissa porter franchement sur l’île en se dirigeant vers la baie de l’union. C’était un bon marcheur que ce brick, car il s’approcha rapidement.

Nab et Pencroff suspendirent alors leur départ, et la lunette fut mise entre les mains d’Ayrton, afin qu’il pût reconnaître d’une façon définitive si ce navire était ou non le Duncan. Le yacht écossais était, lui aussi, gréé en brick. La question était donc de savoir si une cheminée s’élevait entre les deux mâts du bâtiment observé, qui n’était plus alors qu’à une distance de dix milles.

L’horizon était encore très clair. La vérification fut facile, et Ayrton laissa bientôt retomber sa lunette en disant :

« Ce n’est point le Duncan ! ce ne pouvait être lui !… »

Pencroff encadra de nouveau le brick dans le champ de la longue-vue, et il reconnut que ce brick, d’une jauge de trois à quatre cents tonneaux, merveilleusement effilé, hardiment mâté, admirablement taillé pour la marche, devait être un rapide coureur des mers. Mais à quelle nation appartenait-il ? Cela était difficile à dire.

« Et cependant, ajouta le marin, un pavillon flotte à sa corne, mais je ne puis en distinguer les couleurs.

– Avant une demi-heure, nous serons fixés à cet égard, répondit le reporter. D’ailleurs, il est bien évident que le capitaine de ce navire a l’intention d’atterrir, et par conséquent, si ce n’est pas aujourd’hui, demain, au plus tard, nous ferons sa connaissance.

– N’importe ! dit Pencroff. Mieux vaut savoir à qui on a affaire, et je ne serais pas fâché de reconnaître ses couleurs, à ce particulier-là ! »

Et, tout en parlant ainsi, le marin ne quittait pas sa lunette.

Le jour commençait à baisser, et, avec le jour, le vent du large tombait aussi. Le pavillon du brick, moins tendu, s’engageait dans les drisses, et il devenait de plus en plus difficile à observer.

« Ce n’est point là un pavillon américain, disait de temps en temps Pencroff, ni un anglais, dont le rouge se verrait aisément, ni les couleurs françaises ou allemandes, ni le pavillon blanc de la Russie, ni le jaune de l’Espagne… on dirait qu’il est d’une couleur uniforme… voyons… dans ces mers… que trouverions-nous plus communément ?… le pavillon chilien ? Mais il est tricolore… brésilien ? Il est vert… japonais ? Il est noir et jaune… tandis que celui-ci… »

En ce moment, une brise tendit le pavillon inconnu.

Ayrton, saisissant la lunette que le marin avait laissé retomber, l’appliqua à son œil, et, d’une voix sourde :

« Le pavillon noir ! » s’écria-t-il.

En effet, une sombre étamine se développait à la corne du brick, et c’était à bon droit qu’on pouvait maintenant le tenir pour un navire suspect !

L’ingénieur avait-il donc raison dans ses pressentiments ? Était-ce un bâtiment de pirates ? Écumait-il ces basses mers du Pacifique, faisant concurrence aux praos malais qui les infestent encore ? Que venait-il chercher sur les atterrages de l’île Lincoln ? Voyait-il en elle une terre inconnue, ignorée, propre à devenir une receleuse de cargaisons volées ? Venait-il demander à ces côtes un port de refuge pour les mois d’hiver ? L’honnête domaine des colons était-il destiné à se transformer en un refuge infâme, – sorte de capitale de la piraterie du Pacifique ?

Toutes ces idées se présentèrent instinctivement à l’esprit des colons. Il n’y avait pas à douter, d’ailleurs, de la signification qu’il convenait d’attacher à la couleur du pavillon arboré. C’était bien celui des écumeurs de mer ! C’était celui que devait porter le Duncan, si les convicts avaient réussi dans leurs criminels projets !

On ne perdit pas de temps à discuter.

« Mes amis, dit Cyrus Smith, peut-être ce navire ne veut-il qu’observer le littoral de l’île ? Peut-être son équipage ne débarquera-t-il pas ? C’est une chance. Quoi qu’il en soit, nous devons tout faire pour cacher notre présence ici. Le moulin, établi sur le plateau de Grande-vue, est trop facilement reconnaissable. Qu’Ayrton et Nab aillent en démonter les ailes. Dissimulons également, sous des branchages plus épais, les fenêtres de Granite-House. Que tous les feux soient éteints. Que rien enfin ne trahisse la présence de l’homme sur cette île !

– Et notre embarcation ? dit Harbert.

– Oh ! répondit Pencroff, elle est abritée dans port-ballon, et je défie bien ces gueux-là de l’y trouver ! »

Les ordres de l’ingénieur furent immédiatement exécutés. Nab et Ayrton montèrent sur le plateau et prirent les mesures nécessaires pour que tout indice d’habitation fût dissimulé. Pendant qu’ils s’occupaient de cette besogne, leurs compagnons allèrent à la lisière du bois de jacamar et en rapportèrent une grande quantité de branches et de lianes, qui devaient, à une certaine distance, figurer une frondaison naturelle et voiler assez bien les baies de la muraille granitique. En même temps, les munitions et les armes furent disposées de manière à pouvoir être utilisées au premier instant, dans le cas d’une agression inopinée.

Quand toutes ces précautions eurent été prises :

« Mes amis, dit Cyrus Smith, – et on sentait à sa voix qu’il était ému, – si ces misérables veulent s’emparer de l’île Lincoln, nous la défendrons, n’est-ce pas ?

– Oui, Cyrus, répondit le reporter, et, s’il le faut, nous mourrons tous pour la défendre ! »

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