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« Le châtiment tout à la fois et la rançon de l’adultère. » Au surplus, cela pourra faire la matière d’un reproche tout aussi fondé que les autres ; car dans tout ce que vous avez reproché, il n’y a rien qui puisse se soutenir sérieusement.

Or, messieurs, cette espèce de course fantastique ayant déplu à la rédaction de la Revue, la suppression en fut faite. Ce fut là un excès de réserve de la part de la Revue ; et très certainement ce n’est pas un excès de réserve qui pouvait donner matière à un procès ; vous allez voir cependant comment elle a donné matière au procès. Ce qu’on ne voit pas, ce qui est supprimé ainsi paraît une chose fort étrange. On a supposé beaucoup de choses qui n’existaient pas, comme vous l’avez vu par la lecture du passage primitif.

Mon Dieu, savez-vous ce qu’on a supposé ? Qu’il y avait probablement dans le passage supprimé quelque chose d’analogue à ce que vous aurez la bonté de lire dans un des plus merveilleux romans sortis de la plume d’un honorable membre de l’Académie française, M. Mérimée.

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M. Mérimée, dans un roman intitulé la Double Méprise, raconte une scène qui se passe dans une chaise de poste. Ce n’est pas la localité de la voiture qui a de l’importance, c’est, comme ici, dans le détail de ce qui se fait dans son intérieur.

Je ne veux pas abuser de l’audience, je ferai passer le livre au ministère public et au tribunal.

Si nous avions écrit la moitié ou le quart de ce qu’a écrit M. Mérimée, j’éprouverais quelque embarras dans la tâche qui m’est donnée, ou plutôt je la modifierais. Au lieu de dire ce que j’ai dit, ce que j’affirme, que M. Flaubert a écrit un bon livre, un livre honnête, utile, moral, je dirais : la littérature a ses droits ; M. Mérimée a fait une œuvre littéraire très remarquable, et il ne faut pas se montrer si difficile sur le détails quand l’ensemble est irréprochable. Je m’en tiendrais là, j’absoudrais et vous absoudriez. Eh ! mon Dieu !

ce n’est pas par omission qu’un auteur peut pécher en pareille matière. Et, d’ailleurs, vous aurez le détail de ce qui se passa dans le fiacre.

Mais comme mon client, lui, s’était contenté de faire une course et que l’intérieur ne s’était révélé que par « une main nue qui passa sous les petits 800

rideaux de toile jaune et jeta des déchirures de papier qui se dispersèrent au vent et s’abattirent plus loin comme des papillons blancs sur un champ de trèfles rouges tout en fleurs » ; comme mon client s’était contenté de cela, personne n’en savait rien et tout le monde supposait – par la suppression même – qu’il avait dit au moins autant que le membre de l’Académie française.

Vous avez vu qu’il n’en était rien.

Eh bien ! cette malheureuse suppression, c’est le procès, c’est-à-dire que, dans les bureaux qui sont chargés, avec infiniment de raison, de surveiller tous les écrits qui peuvent offenser la morale publique, quand on a vu cette coupure, on s’est tenu en éveil. Je suis obligé de l’avouer, et messieurs de la Revue à Paris me permettront de dire cela, ils ont donné le coup de ciseaux deux mots trop loin ; il fallait le donner avant qu’on montât dans le fiacre ; couper après, ce n’était plus la peine. La coupure a été très malheureuse ; mais si vous avez commis cette petite faute, messieurs de la Revue, assurément vous l’expiez bien aujourd’hui.

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On a dit dans les bureaux : prenons garde à ce qui va suivre ; quand le numéro suivant est venu, on a fait la guerre aux syllabes. Les gens des bureaux ne sont pas obligés de tout lire ; et quand ils ont vu qu’on avait écrit qu’une femme avait retiré tous ses vêtements, ils se sont effarouchés sans aller plus loin. Il est vrai qu’à la différence de nos grands maîtres, M. Flaubert ne s’est pas donné la peine de décrire l’albâtre de ses bras nus, de sa gorge, etc. Il n’a pas dit comme un poète que nous aimons :

Je vis de ses beaux flancs l’albâtre ardent et

/ pur,

Lis, chêne, corail, roses, veines d’azur.

Telle enfin qu’autrefois tu me l’avais montrée,De sa nudité seule embellie et parée,

Quand nos nuits s’envolaient, quand le mol

/ oreiller

La vit sous tes baisers dormir et s’éveiller.

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Il n’a rien dit de semblable à ce qu’a dit André Chénier. Mais enfin il a dit : « Elle s’abandonna...

Ses vêtements tombèrent. »

Elle s’abandonna ! Eh quoi ! toute description est donc interdite ! Mais quand on incrimine, on devrait tout lire, et M. l’avocat impérial n’a pas tout lu. Le passage qu’il incrimine ne s’arrête pas où il s’est arrêté ; il y a le correctif que voici :

« Cependant il y avait sur ce front couvert de gouttes froides, sur ces lèvres balbutiantes, dans ces prunelles égarées, dans l’étreinte de ces bras quelque chose d’extrême, de vague et de lugubre qui semblait à Léon se glisser entre eux subtilement, comme pour les séparer. »

Dans les bureaux on n’a pas lu cela. M.

l’avocat impérial tout à l’heure n’y prenait pas garde. Il n’a vu que ceci : « Puis elle faisait d’un seul geste tomber ensemble tous ses vêtements, »

et il s’est écrié : outrage à la morale publique !

Vraiment, il est par trop facile d’accuser avec un pareil système. Dieu garde les auteurs de dictionnaires de tomber sous la main de M.

l’avocat impérial ! Quel est celui qui échapperait à une condamnation si, au moyen de découpures, 803

non de phrases mais de mots, on s’avisait de faire une liste de tous les mots qui pourraient offenser la morale ou la religion ?

La première pensée de mon client, qui a malheureusement rencontré de la résistance, avait été celle-ci : « Il n’y a qu’une seule chose à faire : imprimer immédiatement, non pas avec des coupures, mais dans son entier, l’œuvre telle qu’elle est sortie de mes mains, en rétablissant la scène du fiacre. » J’étais tout à fait de son avis, c’était la meilleure défense de mon client que l’impression complète de l’ouvrage avec l’indication de quelques points, sur lesquels nous aurions plus spécialement prié le tribunal de porter son attention. J’avais donné moi-même le titre de cette publication : Mémoire de M.

Gustave Flaubert contre la prévention d’outrageà la morale religieuse dirigée contre lui. J’avais écrit de ma main : Tribunal de police correctionnelle, sixième chambre, avec l’indication du président et du ministère public. Il y avait une préface dans laquelle on lisait : « On m’accuse avec des phrases prises çà et là dans mon livre ; je ne puis me défendre qu’avec mon 804

livre. » Demander à des juges la lecture d’un roman tout entier, c’est leur demander beaucoup, mais nous sommes devant des juges qui aiment la vérité, qui la veulent ; qui, pour la connaître, ne reculeront devant aucune fatigue : nous sommes devant des juges qui veulent la justice, qui la veulent énergiquement et qui liront, sans aucune espèce d’hésitation, tout ce que nous les supplierons de lire. J’avais dit à M. Flaubert :

« Envoyez tout de suite cela à l’impression et mettez au bas mon nom à côté du vôtre : Sénard, avocat. » On avait commencé l’impression ; la déclaration était faite pour cent exemplaires que nous voulions faire tirer ; l’impression marchait avec une rapidité extrême, on y passait les jours et les nuits, lorsque nous est venue la défense de continuer l’impression, non pas d’un livre, mais d’un mémoire dans lequel l’œuvre incriminée se trouvait avec des notes explicatives ! On a réclamé au parquet de M. le procureur impérial, –

qui nous a dit que la défense était absolue, qu’elle ne pouvait pas être levée.

Eh bien, soit ! Nous n’aurons pas publié le livre avec nos notes et nos observations, mais si 805

votre première lecture, messieurs, vous avait laissé un doute, je vous le demande en grâce, vous en feriez une seconde. Vous aimez, vous voulez la vérité ; vous ne pouvez pas être de ceux qui, quand on leur porte deux lignes de l’écriture d’un homme, sont assurés de le faire pendre à quelque condition que ce soit. Vous ne voulez pas qu’un homme soit jugé sur des découpures, plus ou moins habilement faites. Vous ne voulez pas cela ; vous ne voulez pas nous priver des ressources ordinaires de la défense. Eh bien !

vous avez le livre, et quoique ce soit moins commode que ce que nous voulions faire, vous ferez vous-mêmes les divisions, les observations, les rapprochements, parce que vous voulez la vérité et qu’il faut que ce soit la vérité qui serve de base à votre jugement, et la vérité sortira de l’examen sérieux du livre.

Cependant je ne puis pas m’en tenir là. Le ministère public attaque le livre, il faut que je prenne le livre même pour le défendre, que je complète les citations qu’il en a faites, et que, sur chaque passage incriminé, je montre le néant de l’incrimination ; ce sera toute ma défense.

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Je n’essayerai pas, assurément, d’opposer aux appréciations élevées, animées, pathétiques, dont le ministère public a entouré tout ce qu’il a dit, des appréciations du même genre ; la défense n’aurait pas le droit de prendre de telles allures ; elle se contentera de citer les textes tels qu’ils sont.

Et d’abord, je déclare que rien n’est plus faux que ce qu’on a dit tout à l’heure de la couleur lascive. La couleur lascive ! Où donc avez-vous pris cela ? Mon client a dépeint dans Madame Bovary quelle femme ? Eh ! mon Dieu ! c’est triste à dire, mais cela est vrai, une jeune fille, née comme elles le sont presque toutes, honnête ; c’est du moins le plus grand nombre, mais bien fragiles quand l’éducation, au lieu de les fortifier, les a amollies ou jetées dans une mauvaise voie.

Il a pris une jeune fille ; est-ce une nature perverse ? Non, c’est une nature impressionnable, accessible à l’exaltation.

M. l’avocat impérial a dit : Cette jeune fille, on la présente constamment comme lascive. Mais non ! on la représente née à la campagne, née à la 807

ferme, où elle s’occupe de tous les travaux de son père, et où aucune espèce de lascivité n’avait pu passer dans son esprit ou dans son cœur. On la représente ensuite, au lieu de suivre la destinée qui lui appartenait tout naturellement d’être élevée pour la ferme dans laquelle elle devait vivre ou dans un milieu analogue, on la représente sous l’autorité imprévoyante d’un père qui s’imagine de faire élever au couvent cette fille née à la ferme, qui devait épouser un fermier, un homme de la campagne. La voilà conduite dans un couvent hors de sa sphère. Il n’y a rien qui ne soit grave dans la parole du ministère public, il ne faut donc rien laisser sans réponse. Ah ! vous avez parlé de ses petits péchés ; en citant quelques lignes de la première livraison, vous avez dit : « Quand elle allait à confesse, elle inventait de petits péchés, afin de rester là plus longtemps, à genoux dans l’ombre...

sous le chuchotement du prêtre. » Vous vous êtes déjà gravement trompé sur l’appréciation de mon client. Il n’a pas fait la faute que vous lui reprochez, l’erreur est tout entière de votre côté, d’abord sur l’âge de la jeune fille. Comme elle 808

n’est entrée au couvent qu’à treize ans, il est évident qu’elle en avait quatorze lorsqu’elle allait à confesse. Ce n’était donc pas une enfant de dix ans comme il vous a plu de le dire ; vous vous êtes trompé là-dessus matériellement. Mais je n’en suis pas sur l’invraisemblance d’une enfant de dix ans qui aime à rester au confessionnal

« sous le chuchotement du prêtre ». Ce que je veux, c’est que vous lisiez les lignes qui précèdent, ce qui n’est pas facile, j’en conviens.

Are sens