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La métamorphose de Franz Kafka larmes que ses parents - le père ayant naturellement sursauté sur sa chaise -

commencèrent par regarder avec stupeur et désarroi ; jusqu’au moment où, à leur tour, ils se mirent en branle ; le père faisant, côté cour, des reproches à la mère pour n’avoir pas laissé à la sœur le soin du ménage dans la chambre de Gregor, tandis que, côté jardin, il criait à la sœur que jamais plus elle n’aurait le droit de faire ladite chambre ; pendant que la mère tentait d’entraîner vers la chambre à coucher le père surexcité qui ne se connaissait plus ; que la sœur, secouée de sanglots, maltraitait la table avec ses petits poings ; et que Gregor sifflait comme un serpent, furieux que personne n’eût l’idée de fermer la porte et de lui épargner ce spectacle et ce vacarme.

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La métamorphose de Franz Kafka Mais même si, exténuée par son travail professionnel, la sœur s’était fatiguée de prendre soin de Gregor comme naguère, sa mère n’aurait pas eu besoin pour autant de prendre sa relève et il n’y aurait pas eu de raison que Gregor fût négligé. Car il y avait maintenant la femme de ménage. Cette veuve âgée, qui sans doute, au cours de sa longue vie, avait dû à sa forte charpente osseuse de surmonter les plus rudes épreuves, n’avait pas vraiment de répugnance pour Gregor. Sans être le moins du monde curieuse, elle avait un jour ouvert par hasard la porte de sa chambre et, à la vue de Gregor tout surpris, qui s’était mis à courir en tous sens bien que personne ne le poursuivît, elle était restée plantée, les mains jointes sur le ventre, l’air étonné.

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La métamorphose de Franz Kafka Dès lors, elle ne manqua jamais, matin et soir, d’entrouvrir un instant la porte et de jeter un coup d’œil sur Gregor. Au début, elle l’appelait même en lui parlant d’une façon qu’elle estimait sans doute gentille, lui disant par exemple :

« Viens un peu ici, vieux cafard ! » ou : « Voyez-moi ce vieux cafard ! » Ainsi interpellé, Gregor restait de marbre et ne bougeait pas, comme si la porte n’avait pas été ouverte. Au lieu de laisser cette femme de ménage le déranger pour rien au gré de son caprice, on aurait mieux fait de lui commander de faire sa chambre tous les jours !

Un matin, de bonne heure – une pluie violente frappait les vitres, peut-être déjà un signe du printemps qui arrivait –, Gregor fut à ce point irrité d’entendre la femme de ménage recommencer sur le même ton qu’il fit mine de

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La métamorphose de Franz Kafka s’avancer sur elle pour l’attaquer, encore que d’une démarche lente et chancelante. Mais elle, au lieu de prendre peur, se contenta de brandir bien haut une chaise qui se trouvait près de la porte et resta là, la bouche ouverte, avec l’intention évidente de ne la refermer qu’une fois que la chaise se serait abattue sur le dos de Gregor. « Alors, ça s’arrête là ? » dit-elle quand Gregor fit demi-tour, et elle reposa calmement la chaise dans son coin.

Gregor ne mangeait à présent presque plus rien. C’est tout juste si, passant par hasard près du repas préparé, il en prenait par jeu une bouchée, la gardait dans sa bouche pendant des heures, puis généralement la recrachait. Il commença par penser que c’était la tristesse provoquée par l’état de sa chambre qui le

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La métamorphose de Franz Kafka dégoûtait de manger, mais justement il se fit très vite aux modifications subies par la pièce. On avait pris l’habitude, quand des choses ne trouvaient pas leur place ailleurs, de s’en débarrasser en les mettant dans sa chambre, et il y avait maintenant beaucoup de choses qui se trouvaient dans ce cas, vu qu’on avait loué une pièce de l’appartement à trois sous-locataires.

Ces messieurs austères – tous trois portaient la barbe, comme Gregor le constata un jour par une porte entrouverte – étaient très pointilleux sur le chapitre de l’ordre, non seulement dans leur chambre, mais dans toute la maison, puisque enfin ils y logeaient, et en particulier dans la cuisine. Ils ne supportaient pas la pagaille, et encore moins la saleté. De plus, ils avaient apporté presque tout ce qu’il leur fallait. C’est

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La métamorphose de Franz Kafka pourquoi beaucoup de choses étaient devenues superflues et, bien qu’elles ne fussent pas vendables, on ne voulait pas non plus les jeter.

Elles se retrouvèrent toutes dans la chambre de Gregor. De même, la poubelle aux cendres et, en provenance de la cuisine, celle des détritus. Tout ce qui n’avait pas son utilité sur le moment, la femme de ménage, toujours extrêmement pressée, le balançait tout simplement dans la chambre de Gregor ; heureusement, Gregor ne voyait le plus souvent que l’objet en question et la main qui le tenait. La femme de ménage avait peut-être l’intention, à terme et à l’occasion, de revenir chercher ces objets ou bien de les jeter tous à la fois, mais de fait ils gisaient à l’endroit où ils avaient d’abord été lancés et ils y restaient, sauf quand Gregor se faufilait à travers ce fatras

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La métamorphose de Franz Kafka et le faisait bouger, par nécessité d’abord, parce que sinon il n’avait pas de place pour évoluer, et ensuite de plus en plus par plaisir, bien qu’au terme de telles pérégrinations il fût fatigué et triste à mourir, et ne bougeât plus pendant des heures.

Comme parfois les sous-locataires prenaient aussi leur dîner à la maison, dans la salle de séjour, la porte de celle-ci restait parfois fermée ; mais Gregor s’y résignait sans peine, car bien des soirs où elle avait été ouverte il n’en avait pas profité, il était au contraire resté tapi, sans que sa famille s’en aperçût, dans le coin le plus sombre de sa chambre.

Mais, un jour, la femme de ménage avait laissé cette porte entrouverte, et celle-ci le resta même quand ces messieurs rentrèrent le soir et qu’on

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La métamorphose de Franz Kafka alluma la lumière. Ils s’assirent en bout de table, aux places jadis occupées par Gregor, son père et sa mère, déployèrent leurs serviettes et saisirent fourchette et couteau. Aussitôt, la mère apparut sur le seuil, portant un plat de viande, et sur ses talons la sœur, avec un plat surchargé de pommes de terre. Ces mets étaient tout fumants d’une épaisse vapeur. Les messieurs se penchèrent sur les plats qu’on posait devant eux, comme pour les examiner avant d’en manger, et de fait celui du milieu, qui semblait être une autorité aux yeux des deux autres, coupa en deux, dans le plat, un morceau de viande, manifestement pour s’assurer s’il était assez bien cuit et si peut-être il ne fallait pas le renvoyer à la cuisine. Il fut satisfait, et la mère et la sœur qui l’avaient observé avec anxiété, eurent un sourire

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La métamorphose de Franz Kafka de soulagement.

La famille elle-même mangeait à la cuisine.

Néanmoins, avant de s’y rendre, le père entra dans la salle de séjour et fit le tour de la tablée en restant courbé, la casquette à la main. Les messieurs se levèrent, tous autant qu’ils étaient, et marmottèrent quelque chose dans leurs barbes. Une fois seuls, ils mangèrent dans un silence presque parfait. Gregor trouva singulier que, parmi les divers bruits du repas, on distinguât régulièrement celui des dents qui mâchaient, comme s’il s’était agi de montrer à Gregor qu’il faut des dents pour manger et qu’on ne saurait arriver à rien avec des mâchoires sans dents, si belles soient ces mâchoires. « J’ai pourtant de l’appétit, se disait Gregor soucieux, mais pas pour ces choses. Comme ces sous-

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La métamorphose de Franz Kafka locataires se nourrissent, et moi je dépéris ! »

Ce soir-là précisément – Gregor ne se souvenait pas d’avoir entendu le violon pendant toute cette période – le son de l’instrument retentit dans la cuisine.

Les messieurs avaient déjà fini de dîner, celui du milieu avait tiré de sa poche un journal et en avait donné une feuille à chacun des deux autres, et tous trois lisaient, bien adossés, et fumaient.

Lorsque le violon se mit à jouer, ils dressèrent l’oreille, se levèrent et, sur la pointe des pieds, gagnèrent la porte de l’antichambre, où ils restèrent debout, serrés l’un contre l’autre. On avait dû les entendre depuis la cuisine, car le père cria : « Cette musique importune peut-être ces messieurs ? Elle peut cesser immédiatement.

— Au contraire, dit le monsieur du milieu, est-

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La métamorphose de Franz Kafka ce que la demoiselle ne veut pas venir nous rejoindre et jouer dans cette pièce, où c’est tout de même bien plus confortable et sympathique ?

— Mais certainement », dit le père comme si c’était lui le violoniste. Les messieurs réintégrèrent la pièce et attendirent. On vit bientôt arriver le père avec le pupitre, la mère avec la partition et la sœur avec son violon. La sœur s’apprêta calmement à jouer ; ses parents, qui n’avaient jamais loué de chambre auparavant et poussaient donc trop loin la courtoisie envers leurs locataires, n’osèrent pas s’asseoir sur leurs propres chaises ; le père s’accota à la porte, la main droite glissée entre deux boutons de sa veste d’uniforme, qu’il avait refermée ; quant à la mère, l’un des messieurs lui offrit une chaise et, comme elle la laissa là où il l’avait par hasard

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La métamorphose de Franz Kafka placée, elle se retrouva assise à l’écart, dans un coin.

La sœur se mit à jouer ; le père et la mère suivaient attentivement, chacun de son côté, les mouvements de ses mains. Gregor, attiré par la musique, s’était risqué à s’avancer un peu et avait déjà la tête dans la salle de séjour. Il ne s’étonnait guère d’avoir si peu d’égards pour les autres, ces derniers temps ; naguère, ces égards avaient fait sa fierté.

Et pourtant il aurait eu tout lieu de se cacher, surtout maintenant, car du fait de la poussière qu’il y avait partout dans sa chambre et qui volait au moindre mouvement, il était couvert de poussière lui aussi ; sur son dos et ses flancs, il traînait avec lui des fils, des cheveux, des débris alimentaires ; il était bien trop indifférent à tout

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La métamorphose de Franz Kafka pour se mettre sur le dos et se frotter au tapis, comme il le faisait auparavant plusieurs fois par jour. Et en dépit de l’état où il était, il n’éprouva aucune gêne à s’engager un peu sur le parquet immaculé de la salle de séjour.

Du reste, personne ne se souciait de lui. La famille était toute occupée par le violon ; les sous-locataires, en revanche, qui avaient commencé par se planter, les mains dans les poches de leur pantalon, beaucoup trop près du pupitre de la sœur, au point de tous pouvoir suivre la partition, ce qui ne pouvait assurément que gêner l’exécutante, se retirèrent bientôt du côté de la fenêtre en devisant à mi-voix, têtes penchées, et restèrent là-bas, observés par le père avec inquiétude. On avait vraiment l’impression un peu trop nette qu’ils avaient

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La métamorphose de Franz Kafka espéré entendre bien jouer, ou agréablement, et qu’ils étaient déçus, qu’ils avaient assez de tout ce numéro et que c’était par pure courtoisie qu’ils laissaient encore troubler leur tranquillité.

En particulier, la façon qu’ils avaient tous de rejeter la fumée de leur cigare vers le haut, par le nez et par la bouche, démontrait une extrême nervosité. Et pourtant, la sœur de Gregor jouait si bien ! Son visage était incliné sur le côté, ses regards suivaient la portée en la scrutant d’un air triste. Gregor avança encore un peu, tenant la tête au ras du sol afin de croiser éventuellement le regard de sa sœur.

Était-il une bête, pour être à ce point ému par la musique ? Il avait le sentiment d’apercevoir le chemin conduisant à la nourriture inconnue dont il avait le désir. Il était résolu à s’avancer

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La métamorphose de Franz Kafka jusqu’à sa sœur, à tirer sur sa jupe et à lui suggérer par là de bien vouloir venir dans sa chambre avec son violon, car personne ici ne méritait qu’elle jouât comme lui entendait le mériter. Il ne la laisserait plus sortir de sa chambre, du moins tant qu’il vivrait ; son apparence effrayante le servirait, pour la première fois ; il serait en même temps à toutes les portes de sa chambre, crachant comme un chat à la figure des agresseurs ; mais il ne faudrait pas que sa sœur restât par contrainte, elle demeurerait de son plein gré auprès de lui ; elle serait assise à ses côtés sur le canapé, elle inclinerait vers lui son oreille, et alors il lui confierait avoir eu la ferme intention de l’envoyer au conservatoire, il lui dirait que, si le malheur ne s’était pas produit entre-temps, il

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