"Unleash your creativity and unlock your potential with MsgBrains.Com - the innovative platform for nurturing your intellect." » » ,,Metamorphose'' - von Franz Kafka

Add to favorite ,,Metamorphose'' - von Franz Kafka

Select the language in which you want the text you are reading to be translated, then select the words you don't know with the cursor to get the translation above the selected word!




Go to page:
Text Size:

145

La métamorphose de Franz Kafka recommence ! » Et, avec un effroi tout à fait incompréhensible pour Gregor, elle abandonna même sa mère en se rejetant littéralement loin de sa chaise, comme si elle aimait mieux sacrifier sa mère que de rester à proximité de Gregor, et elle courut se réfugier derrière son père, lequel, uniquement troublé par son comportement à elle, se dressa aussi et tendit à demi les bras devant elle comme pour la protéger.

Mais Gregor ne songeait nullement à faire peur à qui que ce fût, et surtout pas à sa sœur. Il avait simplement entrepris de se retourner pour regagner sa chambre, et il est vrai que cela faisait un drôle d’effet, obligé qu’il était par son état peu brillant, dans les manœuvres délicates, de s’aider de sa tête, qu’il dressait et cognait sur le sol alternativement. Il s’interrompit et regarda

146

La métamorphose de Franz Kafka alentour. Ses bonnes intentions paraissaient avoir été comprises ; ce n’avait été qu’une frayeur passagère.

À présent tout le monde le regardait en silence et d’un air triste. La mère était renversée sur sa chaise, les jambes tendues et jointes, ses yeux se fermaient presque d’épuisement ; le père et la sœur étaient assis côte à côte, la sœur tenait le père par le cou.

« Je vais peut-être enfin avoir le droit de me retourner », songea Gregor en se remettant au travail. Dans son effort, il ne pouvait s’empêcher de souffler bruyamment, et il dut même à plusieurs reprises s’arrêter pour se reposer. Au demeurant, personne ne le pressait, on le laissa faire entièrement à sa guise. Lorsqu’il eut accompli son demi-tour, il entama aussitôt son

147

La métamorphose de Franz Kafka trajet de retour en ligne droite. Il s’étonna de la grande distance qui le séparait de sa chambre et il ne put concevoir qu’il ait pu, un moment avant, faible comme il l’était, parcourir le même chemin presque sans s’en rendre compte. Uniquement et constamment soucieux de ramper vite, c’est à peine s’il nota que nulle parole, nulle exclamation de sa famille ne venait le troubler.

C’est seulement une fois sur le seuil de sa chambre qu’il tourna la tête – pas complètement, car il sentait son cou devenir raide – et put tout de même encore voir que derrière lui rien n’avait changé ; simplement, sa sœur s’était levée. Son dernier regard effleura sa mère, qui maintenant s’était endormie tout à fait.

À peine fut-il à l’intérieur de sa chambre que la porte en fut précipitamment claquée et fermée à

148

La métamorphose de Franz Kafka double tour. Ce bruit inopiné derrière lui fit une telle peur à Gregor que ses petites pattes cédèrent sous lui. C’était sa sœur qui s’était ainsi précipitée. Elle s’était tenue debout à l’avance et avait attendu, puis elle avait bondi sur la pointe des pieds, Gregor ne l’avait pas du tout entendu venir, et tout en tournant la clé dans la serrure elle lança à ses parents un « Enfin ! »

« Et maintenant ? » se demanda Gregor en regardant autour de lui dans l’obscurité.

Il découvrit bientôt qu’à présent il ne pouvait plus bouger du tout. Il n’en fut pas surpris ; c’était bien plutôt d’avoir pu jusque-là se propulser effectivement sur ces petites pattes grêles qui lui paraissait peu naturel. Au demeurant, il éprouvait un relatif bien-être. Il avait certes des douleurs dans tout le corps, mais

149

La métamorphose de Franz Kafka il avait l’impression qu’elles devenaient peu à peu de plus en plus faibles, et qu’elles finiraient par passer tout à fait. La pomme pourrie dans son dos et la région enflammée tout autour, sous leur couche de poussière molle, ne se sentaient déjà plus guère. Il repensa à sa famille avec attendrissement et amour. L’idée qu’il devait disparaître était encore plus ancrée, si c’était possible, chez lui que chez sa sœur. Il demeura dans cet état de songerie creuse et paisible jusqu’au moment où trois heures du matin sonnèrent au clocher. Il vit encore la clarté qui commençait de se répandre devant la fenêtre, au-dehors. Puis, malgré lui, sa tête retomba tout à fait, et ses narines laissèrent s’échapper faiblement son dernier souffle.

Quand, de bon matin, la femme de ménage

150

La métamorphose de Franz Kafka arriva – à force d’énergie et de diligence, quoiqu’on l’eût souvent priée de s’en abstenir, elle faisait claquer si fort toutes les portes que, dans tout l’appartement, il n’était plus possible de dormir tranquille dès qu’elle était là –, et qu’elle fit à Gregor sa brève visite habituelle, elle ne lui trouva tout d’abord rien de particulier. Elle pensa que c’était exprès qu’il restait ainsi sans bouger, et qu’il faisait la tête ; elle était convaincue qu’il était fort intelligent. Comme il se trouvait qu’elle tenait à la main le grand balai, elle s’en servit pour essayer de chatouiller Gregor depuis la porte.

Comme cela ne donnait rien non plus, elle en fut agacée et lui donna une petite bourrade, et ce n’est que quand elle l’eut poussé et déplacé sans rencontrer de résistance qu’elle commença à

151

La métamorphose de Franz Kafka tiquer. Ayant bientôt vu de quoi il retournait, elle ouvrit de grands yeux, siffla entre ses dents, mais sans plus tarder alla ouvrir d’un grand coup la porte de la chambre à coucher et cria dans l’obscurité, d’une voix forte : « Venez un peu voir ça, il est crevé ; il est là-bas par terre, tout ce qu’il y a de plus crevé ! »

Le couple Samsa était assis bien droit dans son lit et avait du mal à surmonter la frayeur que lui avait causée la femme de ménage, avant même de saisir la nouvelle annoncée. Ensuite, M. et Mme Samsa, chacun de son côté, sortirent du lit, M. Samsa se jeta la couverture sur les épaules, Mme Samsa apparut en simple chemise de nuit ; c’est dans cette tenue qu’ils entrèrent chez Gregor. Pendant ce temps s’était aussi ouverte la porte de la salle de séjour, où Grete dormait

152

La métamorphose de Franz Kafka depuis l’installation des sous-locataires ; elle était habillée de pied en cap, comme si elle n’avait pas dormi, la pâleur de son visage semblait le confirmer. « Mort ? » dit Mme Samsa en levant vers la femme de ménage un regard interrogateur, bien qu’elle pût s’en assurer elle-même, et même le voir sans avoir besoin de s’en assurer. « Je pense bien », dit la femme de ménage, et pour bien le montrer elle poussa encore le cadavre de Gregor d’un grand coup de balai sur le côté. Mme Samsa eut un mouvement pour retenir le balai, mais elle n’en fit rien. « Eh bien, dit M. Samsa, nous pouvons maintenant rendre grâces à Dieu. » Il se signa, et les trois femmes suivirent son exemple. Grete, qui ne quittait pas des yeux le cadavre, dit : « Voyez comme il était maigre.

153

La métamorphose de Franz Kafka Cela faisait d’ailleurs bien longtemps qu’il ne mangeait rien. Les plats repartaient tels qu’ils étaient arrivés. » De fait, le corps de Gregor était complètement plat et sec, on ne s’en rendait bien compte que maintenant, parce qu’il n’était plus rehaussé par les petites pattes et que rien d’autre ne détournait le regard.

« Grete, viens donc un moment dans notre chambre », dit Mme Samsa avec un sourire mélancolique, et Grete, non sans se retourner encore vers le cadavre, suivit ses parents dans la chambre à coucher. La femme de ménage referma la porte et ouvrit en grand la fenêtre.

Bien qu’il fût tôt dans la matinée, l’air frais était déjà mêlé d’un peu de tiédeur. C’est qu’on était déjà fin mars.

Les trois sous-locataires sortirent de leur

154

La métamorphose de Franz Kafka chambre et, d’un air étonné, cherchèrent des yeux leur petit déjeuner ; on les avait oubliés.

« Où est le déjeuner ? » demanda d’un ton rogue à la femme de ménage celui des messieurs qui était toujours au milieu. Mais elle mit le doigt sur ses lèvres et, sans dire mot, invita par des signes pressants ces messieurs à pénétrer dans la chambre de Gregor. Ils y allèrent et, les mains dans les poches de leurs vestons quelque peu élimés, firent cercle autour du cadavre de Gregor, dans la pièce maintenant tout à fait claire.

Alors, la porte de la chambre à coucher s’ouvrit et M. Samsa fit son apparition, en tenue, avec sa femme à un bras et sa fille à l’autre. On voyait que tous trois avaient pleuré ; Grete appuyait par instants son visage contre le bras de son père.

155

La métamorphose de Franz Kafka

« Quittez immédiatement mon appartement », dit M. Samsa en montrant la porte, sans pourtant lâcher les deux femmes.

« Qu’est-ce que ça signifie ? » dit le monsieur du milieu, un peu décontenancé, et il eut un sourire doucereux.

Les deux autres avaient les mains croisées derrière le dos et ne cessaient de les frotter l’une contre l’autre, comme s’ils se régalaient d’avance d’une grande altercation, mais qui ne pouvait que tourner à leur avantage. « Cela signifie exactement ce que je viens de dire », répondit M.

Samsa et, son escorte féminine et lui restant sur un seul rang, il marcha vers le monsieur.

Celui-ci commença par rester là sans rien dire en regardant à terre, comme si dans sa tête les choses se remettaient dans un autre ordre. « Eh

156

La métamorphose de Franz Kafka bien, donc, nous partons », dit-il ensuite en relevant les yeux vers M. Samsa, comme si, dans un brusque accès d’humilité, il quêtait derechef son approbation même pour cette décision-là. M.

Samsa se contenta d’opiner plusieurs fois brièvement de la tête, en ouvrant grands les yeux. Sur quoi, effectivement, le monsieur gagna aussitôt à grands pas l’antichambre ; ses deux amis, qui depuis déjà un petit moment avaient les mains tranquilles et l’oreille aux aguets, sautillèrent carrément sur ses talons, comme craignant que M. Samsa les précédât dans l’antichambre et compromît le contact entre leur chef et eux. Dans l’antichambre, ils prirent tous trois leur chapeau au portemanteau, tirèrent leur canne du porte-parapluies, s’inclinèrent en silence et quittèrent l’appartement. Animé d’une

157

La métamorphose de Franz Kafka méfiance qui se révéla sans aucun fondement, M.

Samsa s’avança sur le palier avec les deux femmes ; penchés sur la rampe, ils regardèrent les trois messieurs descendre, lentement certes, mais sans s’arrêter, le long escalier, et les virent à chaque étage disparaître dans une certaine courbe de la cage pour en resurgir au bout de quelques instants ; plus ils descendaient, plus s’amenuisait l’intérêt que leur portait la famille Samsa ; et quand ils croisèrent un garçon boucher qui, portant fièrement son panier sur la tête, s’éleva rapidement bien au-dessus d’eux, M.

Samsa ne tarda pas à s’écarter de la rampe avec les deux femmes, et ils rentrèrent tous dans leur appartement avec une sorte de soulagement.

Ils décidèrent de consacrer la journée au repos et à la promenade ; non seulement ils avaient

Are sens