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Alors il lui dit qu’il croit rêver. El e ne répond pas. Ce n’est pas la peine qu’el e réponde, que répondrait-el e. El e attend. Alors il le lui demande mais d’où venez-vous ? El e dit qu’el e est la fil e de l’institutrice de l’école de fil es de Sadec. Il réfléchit et puis il dit qu’il a entendu parler de cette dame, sa mère, de son manque de chance avec cette concession qu’el e aurait achetée au Cambodge, c’est bien ça n’est-ce pas ? Oui c’est ça.

Il répète que c’est tout à fait extraordinaire de la voir sur ce bac. Si tôt le matin, une jeune fil e bel e comme el e l’est, vous ne vous rendez pas compte, c’est très inattendu, une jeune fil e blanche dans un car indigène.

Il lui dit que le chapeau lui va bien, très bien même, que c’est… original… un chapeau d’homme, pourquoi pas ?

el e est si jolie, el e peut tout se permettre.

El e le regarde. El e lui demande qui il est. Il dit qu’il revient de Paris où il a fait ses études, qu’il habite Sadec

lui aussi, justement sur le fleuve, la grande maison avec les grandes terrasses aux balus– trades de céramique bleue.

El e lui demande ce qu’il est. Il dit qu’il est chinois, que sa famil e vient de la Chiné du Nord, de Fou-Chouen. Voulez-vous me permettre de vous ramener chez vous à Saigon ?

El e est d’accord. Il dit au chauffeur de prendre les bagages de la jeune fil e dans le car et de les mettre dans l’auto noire.

Chinois. Il est de cette minorité financière d’origine chinoise qui tient tout l’immobilier populaire de la colonie. Il est celui qui passait le Mékong ce jour-là en direction de Saigon.

El e entre dans l’auto noire. La portière se referme. Une détresse à peine ressentie se produit tout à coup, une fatigue, la lumière sur le fleuve qui se ternit, mais à peine.

Une surdité très légère aussi, un brouil ard, partout.

Je ne ferai plus jamais le voyage en car pour indigènes.

Dorénavant, j’aurai une limousine pour al er au lycée et me ramener à la pension. Je dînerai dans les endroits les plus élégants de la vil e. Et je serai toujours là à regretter tout ce que je fais, tout ce que je laisse, tout ce que je prends, le bon comme le mauvais, le car, le chauffeur du car avec qui je riais, les vieil es chiqueuses de bétel des places arrière, les enfants sur les porte-bagages, la famil e de Sadec, l’horreur de la famil e de Sadec, son silence génial.

Il parlait. Il disait qu’il s’ennuyait de Paris, des adorables Parisiennes, des noces, des bombes, ah là là, de la Coupole, de la Rotonde, moi la Rotonde je préfère, des

boîtes de nuit, de cette existence « épatante » qu’il avait menée pendant deux ans. El e écoutait, attentive aux renseignements de son discours qui débouchaient sur la richesse, qui auraient pu donner une indication sur le montant des mil ions. Il continuait à raconter. Sa mère à lui était morte, il était enfant unique. Seul lui restait le père détenteur de l’argent. Mais vous savez ce que c’est, il est rivé à sa pipe d’opium face au fleuve depuis dix ans, il gère sa fortune depuis son lit de camp. El e dit qu’el e voit.

Il refusera le mariage de son fils avec la petite prostituée blanche du poste de Sadec.

L’image commence bien avant qu’il ait abordé l’enfant blanche près du bastingage, au moment où il est descendu de la limousine noire, quand il a commencé à s’approcher d’el e, et qu’el e, el e le savait, savait qu’il avait peur.

Dès le premier instant el e sait quelque chose comme ça, à savoir qu’il est à sa merci. Donc que d’autres que lui pourraient être aussi à sa merci si l’occasion se présentait.

El e sait aussi quelque chose d’autre, que dorénavant le temps est sans doute arrivé où el e ne peut plus échapper à certaines obligations qu’el e a envers el e-même. Et que de cela la mère ne doit rien apprendre, ni les frères, el e le sait aussi ce jour-là. Dès qu’el e a pénétré dans l’auto noire, el e l’a su, el e est à l’écart de cette famil e pour la première fois et pour toujours. Désormais ils ne doivent plus savoir ce qu’il adviendra d’el e. Qu’on la leur prenne, qu’on la leur emporte, qu’on la leur blesse, qu’on la leur gâche, ils ne doivent plus le savoir. Ni la mère, ni les frères.

Ce sera désormais leur sort. C’est déjà à en pleurer dans la limousine noire.

L’enfant maintenant aura à faire avec cet homme– là, le premier, celui qui s’est présenté sur le bac.

C’est arrivé très vite ce jour-là, un jeudi. Il est venu tous les jours la chercher au lycée pour la ramener à la pension.

Et puis une fois il est venu un jeudi après-midi à la pension.

Il l’a emmenée dans l’automobile noire.

C’est à Cholen. C’est à l’opposé des boulevards qui relient la vil e chinoise au centre de Saigon, ces grandes voies à l’américaine sil onnées par les tramways, les pousse-pousse, les cars. C’est tôt dans l’après-midi. El e a échappé à la promenade obligatoire des jeunes fil es du pensionnat.

C’est un compartiment au sud de la vil e. L’endroit est moderne, meublé à la va-vite dirait-on, avec des meubles de principe modern style. Il dit je n’ai pas choisi les meubles. Il fait sombre dans le studio, el e ne demande pas qu’il ouvre les persiennes. El e est sans sentiment très défini, sans haine, sans répugnance non plus, alors est-ce sans doute là déjà du désir. El e en est ignorante. El e a consenti à venir dès qu’il le lui a demandé la veil e au soir.

El e est là où il faut qu’el e soit, déplacée là. El e éprouve une légère peur. Il semblerait en effet que cela doive correspondre non seulement à ce qu’el e attend, mais à ce qui devrait arriver précisément dans son cas à el e. El e est très attentive à l’extérieur des choses, à la lumière, au vacarme de la vil e dans laquel e la chambre est immergée.

Lui, il tremble. Il la regarde tout d’abord comme s’il attendait qu’el e parle, mais el e ne parle pas. Alors il ne bouge pas non plus, il ne la déshabil e pas, il dit qu’il l’aime comme un fou, il le dit tout bas. Puis il se tait. El e ne lui répond pas. El e pourrait répondre qu’el e ne l’aime pas.

El e ne dit rien. Tout à coup el e sait, là, à l’instant, el e sait qu’il ne la connaît pas, qu’il ne la connaîtra jamais, qu’il n’a pas les moyens de connaître tant de perversité. Et de faire tant et tant de détours pour l’attraper, lui il ne pourra jamais.

C’est à el e à savoir. El e sait. À partir de son ignorance à lui, el e sait tout à coup il lui plaisait déjà sur le bac. Il lui plaît, la chose ne dépendait que d’el e seule.

El e lui dit je préférerais que vous ne m’aimiez pas.

Même si vous m’aimez je voudrais que vous fassiez comme d’habitude avec les femmes. Il la regarde comme épouvanté, il demande c’est ce que vous voulez ? El e dit que oui. Il a commencé à souffrir là, dans la chambre, pour la première fois, il ne ment plus sur ce point. Il lui dit que déjà il sait qu’el e ne l’aimera jamais. El e le laisse dire.

D’abord el e dit qu’el e ne sait pas. Puis el e le laisse dire.

Il dit qu’il est seul, atrocement seul avec cet amour qu’il a pour el e. El e lui dit qu’el e aussi el e est seule. El e ne dit pas avec quoi. Il dit : vous m’avez suivi jusqu’ici comme vous auriez suivi n’importe qui. El e répond qu’el e ne peut pas savoir, qu’el e n’a encore jamais suivi personne dans une chambre. El e lui dit qu’el e ne veut pas qu’il lui parle, que ce qu’el e veut c’est qu’il fasse comme d’habitude il fait avec les femmes qu’il emmène dans sa garçonnière. El e

le supplie de faire de cette façon-là.

Il a arraché la robe, il la jette, il a arraché le petit slip de coton blanc et il la porte ainsi nue jus qu’au lit. Et alors il se tourne de l’autre côté du lit et il pleure. Et el e, lente, patiente, el e le ramène vers el e et el e commence à le déshabil er. Les yeux fermés, el e le fait. Lentement. Il veut faire des gestes pour l’aider. El e lui demande de ne pas bouger. Laisse-moi. El e dit qu’el e veut le faire el e. El e le fait. El e le déshabil e. Quand el e le lui demande il déplace son corps dans le lit, mais à peine, avec légèreté, comme pour ne pas la réveil er.

La peau est d’une somptueuse douceur. Le corps. Le corps est maigre, sans force, sans muscles, il pourrait avoir été malade, être en convalescence, il est imberbe, sans virilité autre que cel e du sexe, il est très faible, il paraît être à la merci d’une insulte, souffrant. El e ne le regarde pas au visage. El e ne le regarde pas. El e le touche. El e touche la douceur du sexe, de la peau, el e caresse la couleur dorée, l’inconnue nouveauté. Il gémit, il pleure. Il est dans un amour abominable.

Et pleurant il le fait. D’abord il y a la douleur. Et puis après cette douleur est prise à son tour, el e est changée, lentement arrachée, emportée vers la jouissance, embrassée à el e.

La mer, sans forme, simplement incomparable.

Déjà, sur le bac, avant son heure, l’image aurait participé de cet instant.

Are sens

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