Flaubert a voulu surtout, çâa Ă©tĂ© de prendre un sujet dâĂ©tudes dans la vie rĂ©elle, çâa Ă©tĂ© de crĂ©er, de constituer des types vrais dans la classe moyenne et dâarriver Ă un rĂ©sultat utile. Oui, ce qui a le plus prĂ©occupĂ© mon client dans lâĂ©tude Ă laquelle il sâest livrĂ©, câest prĂ©cisĂ©ment ce but utile, poursuivi en mettant en scĂšne trois ou quatre personnages de la sociĂ©tĂ© actuelle vivant dans les conditions de la vie rĂ©elle, et prĂ©sentant aux yeux du lecteur le tableau vrai de ce qui se rencontre le plus souvent dans le monde.
Le ministÚre public, résumant son opinion sur
Madame Bovary, a dit : Le second titre de cet ouvrage est : Histoire des adultĂšres dâune femme de province. Je proteste Ă©nergiquement contre ce titre. Il me prouverait Ă lui seul, si je ne lâavais pas senti dâun bout Ă lâautre de votre rĂ©quisitoire, la prĂ©occupation sous lâempire de laquelle vous avez constamment Ă©tĂ©. Non ! le second titre de cet ouvrage nâest pas : Histoire des adultĂšres dâune femme de province ; il est, sâil vous faut absolument un second titre : histoire de 774
lâĂ©ducation trop souvent donnĂ©e en province ; histoire des pĂ©rils auxquels elle peut conduire, histoire de la dĂ©gradation, de la friponnerie, du suicide considĂ©rĂ© comme consĂ©quence dâune premiĂšre faute, et dâune faute amenĂ©e elle-mĂȘme par de premiers torts auxquels souvent une jeune femme est entraĂźnĂ©e ; histoire de lâĂ©ducation, histoire dâune vie dĂ©plorable dont trop souvent lâĂ©ducation est la prĂ©face. VoilĂ ce que M.
Flaubert a voulu peindre, et non pas les adultĂšres dâune femme de province ; vous le reconnaĂźtrez bientĂŽt en parcourant lâouvrage incriminĂ©.
Maintenant, le ministĂšre public a aperçu dans tout cela, par-dessus tout, la couleur lascive. Sâil mâĂ©tait possible de prendre le nombre des lignes du livre que le ministĂšre public a dĂ©coupĂ©es, et de le mettre en parallĂšle avec le nombre des autres lignes quâil a laissĂ©es de cĂŽtĂ©, nous serions dans la proportion totale de un Ă cinq cents, et vous verriez que cette proportion de un Ă cinq cents nâest pas une couleur lascive, nâest nulle part ; elle nâexiste que sous la condition des dĂ©coupures et des commentaires.
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Maintenant, quâest-ce que M. Gustave Flaubert a voulu peindre ? Dâabord une Ă©ducation donnĂ©e Ă une femme au-dessus de la condition dans laquelle elle est nĂ©e, comme il arrive, il faut bien le dire, trop souvent chez nous ; ensuite, le mĂ©lange dâĂ©lĂ©ments disparates qui se produit ainsi dans lâintelligence de la femme, et puis, quand vient le mariage, comme le mariage ne se proportionne pas Ă lâĂ©ducation, mais aux conditions dans lesquelles la femme est nĂ©e, lâauteur a expliquĂ© tous les faits qui se passent dans la position qui lui est faite.
Que montre-t-il encore ? Il montre une femme allant au vice par la mésalliance, et du vice au dernier degré de la dégradation et du malheur.
Tout Ă lâheure, quand, par la lecture de diffĂ©rents passages, jâaurai fait connaĂźtre le livre dans son ensemble, je demanderai au tribunal la libertĂ© dâaccepter la question en ces termes : Ce livre, mis dans les mains dâune jeune femme, pourrait-il avoir pour effet de lâentraĂźner vers des plaisirs faciles, vers lâadultĂšre, ou de lui montrer, au contraire, le danger, dĂšs les premiers pas, et de la faire frissonner dâhorreur ? La question ainsi 776
posĂ©e, câest votre conscience qui la rĂ©soudra.
Je dis ceci, quant Ă prĂ©sent : M. Flaubert a voulu peindre la femme qui, au lieu de chercher Ă sâarranger dans la condition qui lui est donnĂ©e, avec sa situation, avec sa naissance ; au lieu de chercher Ă se faire Ă la vie qui lui appartient, reste prĂ©occupĂ©e de mille aspirations Ă©trangĂšres puisĂ©es dans une Ă©ducation trop Ă©levĂ©e pour elle ; qui, au lieu de sâaccommoder des devoirs de sa position, dâĂȘtre la femme tranquille du mĂ©decin de campagne avec lequel elle passe ses jours, au lieu de chercher le bonheur dans sa maison, dans son union, le cherche dans dâinterminables rĂȘvasseries, et puis, qui, bientĂŽt, rencontrant sur sa route un jeune homme qui coquette avec elle, joue avec elle le mĂȘme jeu (mon Dieu ! ils sont inexpĂ©rimentĂ©s lâun et lâautre), sâexcite en quelque sorte par degrĂ©s, sâeffraye quand, recourant Ă la religion de ses premiĂšres annĂ©es, elle nây trouve pas une force suffisante ; et nous verrons tout Ă lâheure pourquoi elle ne lây trouve pas. Cependant lâignorance du jeune homme et sa propre ignorance la prĂ©servent dâun premier danger. Mais elle est bientĂŽt rencontrĂ©e par un 777
homme comme il y en a tant, comme il y en a trop dans le monde, qui se saisit dâelle, pauvre femme dĂ©jĂ dĂ©viĂ©e, et lâentraĂźne. VoilĂ ce qui est capital, ce quâil fallait voir, ce quâest le livre lui-mĂȘme.
Le ministĂšre public sâirrite, et je crois quâil sâirrite Ă tort, au point de vue de la conscience et du cĆur humain, de ce que, dans la premiĂšre scĂšne, madame Bovary trouve une sorte de plaisir, de joie Ă avoir brisĂ© sa prison, et rentre chez elle en disant : « Jâai un amant. » Vous croyez que ce nâest pas lĂ le premier cri du cĆur humain ! La preuve est entre vous et moi. Mais il fallait regarder un peu plus loin, et vous auriez vu que, si le premier moment, le premier instant de cette chute excite chez cette femme une sorte de transport de joie, de dĂ©lire, Ă quelques lignes plus loin la dĂ©ception arrive, et, suivant lâexpression de lâauteur, elle semble Ă ses propres yeux humiliĂ©e.
Oui, la dĂ©ception, la douleur, le remords lui arrivent Ă lâinstant mĂȘme. Lâhomme auquel elle sâĂ©tait confiĂ©e, livrĂ©e, ne lâavait prise que pour 778
sâen servir un instant comme dâun jouet ; le remords la ronge, la dĂ©chire. Ce qui vous a choquĂ©, çâa Ă©tĂ© dâentendre appeler cela les dĂ©sillusions de lâadultĂšre ; vous auriez mieux aimĂ© les souillures chez un Ă©crivain qui faisait poser cette femme, laquelle nâayant pas compris le mariage, se sentait souillĂ©e par le contact dâun mari ; laquelle, ayant cherchĂ© ailleurs son idĂ©al, avait trouvĂ© les dĂ©sillusions de lâadultĂšre. Ce mot vous a choquĂ© ; au lieu des dĂ©sillusions, vous auriez voulu les souillures de lâadultĂšre. Le tribunal jugera. Quant Ă moi, si jâavais Ă faire poser le mĂȘme personnage, je lui dirais : Pauvre femme ! si vous croyez que les baisers de votre mari sont quelque chose de monotone, dâennuyeux, si vous nây trouvez â câest le mot qui a Ă©tĂ© signalĂ© â que les platitudes du mariage, sâil vous semble voir une souillure dans cette union Ă laquelle lâamour nâa pas prĂ©sidĂ©, prenez-y garde, vos rĂȘves sont une illusion, et vous serez un jour cruellement dĂ©trompĂ©e. Celui qui crie bien fort, messieurs, qui se sert du mot souillure pour exprimer ce que nous avons appelĂ© dĂ©sillusion, celui-lĂ dit un mot vrai, mais vague, 779
qui nâapprend rien Ă lâintelligence. Jâaime mieux celui qui ne crie pas fort, qui ne prononce pas le mot de souillure, mais qui avertit la femme de la dĂ©ception, de la dĂ©sillusion, qui lui dit : LĂ oĂč vous croyez trouver lâamour, vous ne trouverez que le libertinage ; lĂ oĂč vous croyez trouver le bonheur, vous ne trouverez que des amertumes.
Un mari qui va tranquillement Ă ses affaires, qui vous embrasse, qui met son bonnet de coton et mange la soupe avec vous est un mari prosaĂŻque qui vous rĂ©volte ; vous aspirez Ă un homme qui vous aime, qui vous idolĂątre, pauvre enfant ! cet homme sera un libertin, qui vous aura prise une minute pour jouer avec vous. Lâillusion se sera produite la premiĂšre fois, peut-ĂȘtre la seconde ; vous serez rentrĂ©e chez vous enjouĂ©e, en chantant la chanson de lâadultĂšre : « jâai un amant ! » La troisiĂšme fois vous nâaurez pas besoin dâarriver jusquâĂ lui, la dĂ©sillusion sera venue. Cet homme que vous aviez rĂȘvĂ©, aura perdu tout son prestige ; vous aurez retrouvĂ© dans lâamour les platitudes du mariage ; et vous les aurez retrouvĂ©es avec le mĂ©pris, le dĂ©dain, le dĂ©goĂ»t et le remords poignant.
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VoilĂ , messieurs, ce que M. Flaubert a dit, ce quâil a peint, ce qui est Ă chaque ligne de son livre ; voilĂ ce qui distingue son Ćuvre de toutes les Ćuvres du mĂȘme genre. Câest que chez lui les grands travers de la sociĂ©tĂ© figurent Ă chaque page ; câest que chez lui lâadultĂšre marche plein de dĂ©goĂ»t et de honte. Il a pris dans les relations habituelles de la vie lâenseignement le plus saisissant qui puisse ĂȘtre donnĂ© Ă une jeune femme. Oh ! mon Dieu, celles de nos jeunes femmes qui ne trouvent pas dans les principes honnĂȘtes, Ă©levĂ©s, dans une religion sĂ©vĂšre de quoi se tenir fermes dans lâaccomplissement de leurs devoirs de mĂšres, qui ne le trouvent pas surtout dans cette rĂ©signation, cette science pratique de la vie qui nous dit quâil faut sâaccommoder de ce que nous avons, mais qui portent leurs rĂȘveries au dehors, ces jeunes femmes les plus honnĂȘtes, les plus pures qui, dans le prosaĂŻsme de leur mĂ©nage, sont quelquefois tourmentĂ©es par ce qui se passe autour dâelles, un livre comme celui-lĂ , soyez-en sĂ»rs, en fait rĂ©flĂ©chir plus dâune. VoilĂ ce que M.
Flaubert a fait.
Et prenez bien garde Ă une chose : M. Flaubert 781
nâest pas un homme qui vous peint un charmant adultĂšre, pour faire arriver ensuite le Deus ex machina, non ; vous avez sautĂ© trop vite de la page que vous avez lue Ă la derniĂšre. LâadultĂšre, chez lui, nâest quâune suite de tourments, de regrets, de remords ; et puis il arrive Ă une expiation finale, Ă©pouvantable. Elle est excessive.
Si M. Flaubert pĂšche, câest par lâexcĂšs, et je vous dirai tout Ă lâheure de qui est ce mot. Lâexpiation ne se fait pas attendre ; et câest en cela que le livre est Ă©minemment moral et utile, câest quâil ne promet pas Ă la jeune femme quelques-unes de ces belles annĂ©es au bout desquelles elle peut dire : aprĂšs cela, on peut mourir. Non ! DĂšs le second jour arrive lâamertume, la dĂ©sillusion. Le dĂ©nouement pour la moralitĂ© se trouve Ă chaque ligne du livre.
Ce livre est Ă©crit avec une puissance dâobservation Ă laquelle M. lâavocat impĂ©rial a rendu justice : et câest ici que jâappelle votre attention, parce que si lâaccusation nâa pas de cause, il faut quâelle tombe. Ce livre est Ă©crit avec une puissance vraiment remarquable dâobservation dans les moindres dĂ©tails. Un 782
article de lâ Artiste, signĂ© Flaubert, a servi encore de prĂ©texte Ă lâaccusation. Que M. lâavocat impĂ©rial veuille remarquer dâabord que cet article est Ă©tranger Ă lâincrimination ; quâil veuille remarquer ensuite que nous le tenons pour trĂšs innocent et trĂšs moral aux yeux du tribunal, Ă une condition, que M. lâavocat impĂ©rial aura la bontĂ© de le lire en entier, au lieu de le dĂ©chiqueter. Ce qui a saisi dans le livre de M. Flaubert, câest ce que quelques comptes rendus ont appelĂ© une fidĂ©litĂ© toute daguerrienne dans la reproduction du type de toutes les choses, dans la nature intime de la pensĂ©e, du cĆur humain, â et cette reproduction devient plus saisissante encore par la magie du style. Remarquez bien que sâil nâavait appliquĂ© cette fidĂ©litĂ© quâaux scĂšnes de dĂ©gradation, vous pourriez dire avec raison : lâauteur sâest complu Ă peindre la dĂ©gradation avec cette puissance de description qui lui est propre. De la premiĂšre Ă la derniĂšre page de son livre, il sâattache sans aucune espĂšce de rĂ©serve Ă tous les faits de la vie dâEmma, Ă son enfance dans la maison paternelle, Ă son Ă©ducation dans le couvent, il ne fait grĂące de rien. Mais ceux qui 783
ont lu comme moi du commencement Ă la fin, diront â chose notable dont vous lui saurez grĂ©, qui non seulement sera lâabsolution pour lui, mais qui aurait dĂ» Ă©carter de lui toute espĂšce de poursuite â que, quand il arrive aux parties difficiles, prĂ©cisĂ©ment Ă la dĂ©gradation, au lieu de faire comme quelques auteurs classiques que le ministĂšre public connaĂźt bien, mais quâil a oubliĂ©s pendant quâil Ă©crivait son rĂ©quisitoire et dont jâai apportĂ© ici des passages, non pas pour vous les lire, mais pour que vous les parcouriez dans la chambre du conseil (jâen citerai quelques lignes tout Ă lâheure), au lieu de faire comme nos grands auteurs classiques, nos grands maĂźtres, qui, lorsquâils ont rencontrĂ© des scĂšnes de lâunion des sens chez lâhomme et la femme, nâont pas manquĂ© de tout dĂ©crire, M. Flaubert se contente dâun mot. LĂ , toute sa puissance descriptive disparaĂźt, parce que sa pensĂ©e est chaste, parce que lĂ oĂč il pourrait Ă©crire Ă sa maniĂšre et avec toute la magie du style, il sent quâil y a des choses qui ne peuvent pas ĂȘtre abordĂ©es, dĂ©crites.
Le ministĂšre public trouve quâil a trop dit encore.
Quand je lui montrerai des hommes qui, dans de 784
grandes Ćuvres philosophiques, se sont complu Ă la description de ces choses, et quâen regard je placerai lâhomme qui possĂšde la science descriptive Ă un si haut degrĂ© et qui, loin de lâemployer, sâarrĂȘte et sâabstient, jâaurai bien le droit de demander raison Ă lâaccusation qui est produite.
Toutefois, messieurs, de mĂȘme quâil se plaĂźt Ă nous dĂ©crire le riant berceau oĂč se joue Emma encore enfant, avec son feuillage, avec ses petites fleurs roses ou blanches qui viennent de sâĂ©panouir, et ses sentiers embaumĂ©s â de mĂȘme, quand elle sera sortie de lĂ , quand elle ira dans dâautres chemins, dans des chemins oĂč elle trouvera de la fange, quand elle y salira ses pieds, quand les taches mĂȘmes rejailliront plus haut sur elle, il ne faudrait pas quâil le dit ! Mais ce serait supprimer complĂštement le livre, je vais plus loin : lâĂ©lĂ©ment moral, sous prĂ©texte de le dĂ©fendre, car si la faute ne peut pas ĂȘtre montrĂ©e, si elle ne peut pas ĂȘtre indiquĂ©e, si dans un tableau de la vie rĂ©elle qui a pour but de montrer par la pensĂ©e le pĂ©ril, la chute, lâexpiation, si vous voulez empĂȘcher de peindre tout cela, câest 785
Ă©videmment ĂŽter au livre sa conclusion.
Ce livre nâa pas Ă©tĂ© pour mon client lâobjet dâune distraction de quelques heures, il reprĂ©sente deux ou trois annĂ©es dâĂ©tudes incessantes. Et je vais vous dire maintenant quelque chose de plus : M. Flaubert qui, aprĂšs tant dâannĂ©es de travaux, tant dâĂ©tudes, tant de voyages, tant de notes recueillies dans les auteurs quâil a lus â vous verrez, mon Dieu ! oĂč il a puisĂ©, car câest quelque chose dâĂ©trange qui se chargera de le justifier, â vous le verrez, lui aux couleurs lascives, tout imprĂ©gnĂ© de Bossuet et de Massillon. Câest dans lâĂ©tude de ces auteurs que nous allons le retrouver tout Ă lâheure, cherchant, non pas Ă les plagier, mais Ă reproduire dans ses descriptions les pensĂ©es, les couleurs employĂ©es par eux. Quand, aprĂšs tout ce travail fait avec tant dâamour, quand son Ćuvre Ă son but, est-ce que vous croyez que, plein de confiance en lui-mĂȘme et malgrĂ© tant dâĂ©tudes et de mĂ©ditations, il a voulu immĂ©diatement se lancer dans la lice ! Il lâaurait fait, sans doute, sâil eĂ»t Ă©tĂ© un inconnu dans le monde, si son nom lui eĂ»t appartenu en toute propriĂ©tĂ©, sâil eĂ»t cru pouvoir en disposer et 786
le livrer comme bon lui semblait ; mais, je le rĂ©pĂšte, il est de ceux chez lesquels noblesse oblige : il sâappelle Flaubert, il est le second fils de M. Flaubert ; il voulait se tracer une voie dans la littĂ©rature, en respectant profondĂ©ment la morale et la religion â non pas par inquiĂ©tude du parquet, un tel intĂ©rĂȘt ne pourrait se prĂ©senter Ă sa pensĂ©e â mais par dignitĂ© personnelle, ne voulant pas laisser son nom Ă la tĂȘte dâune publication, si elle ne semblait pas, Ă quelques personnes en lesquelles il avait foi, digne dâĂȘtre publiĂ©e. M.
Flaubert a lu, par fragments et en totalitĂ© mĂȘme, devant quelques amis haut placĂ©s dans les lettres, les pages quâun jour il devrait livrer Ă lâimpression, et jâaffirme quâaucun dâeux nâa Ă©tĂ© offensĂ© de ce qui excite en ce moment si vivement la sĂ©vĂ©ritĂ© de M. lâAvocat impĂ©rial.
Personne mĂȘme nây a songĂ©. On a seulement examinĂ©, Ă©tudiĂ© la valeur littĂ©raire du livre. Quant au but moral, il est si Ă©vident, il est Ă©crit Ă chaque ligne en termes si peu Ă©quivoques, quâil nâĂ©tait pas mĂȘme besoin de le mettre en question.
RassurĂ© sur la valeur du livre, encouragĂ© dâailleurs par les hommes les plus Ă©minents de la 787
presse, M. Flaubert ne songe plus quâĂ le livrer Ă lâimpression, Ă la publicitĂ©. Je le rĂ©pĂšte, tout le monde a Ă©tĂ© unanime pour rendre hommage au
mĂ©rite littĂ©raire, au style et en mĂȘme temps Ă la pensĂ©e excellente qui prĂ©side Ă lâĆuvre depuis la premiĂšre jusquâĂ la derniĂšre ligne. Et quand la poursuite est venue, ce nâest pas lui seulement qui a Ă©tĂ© surpris, profondĂ©ment affligĂ© ; mais, permettez-moi de vous le dire, câest nous qui ne comprenions pas cette poursuite, câest moi tout le premier, qui avais lu le livre avec un intĂ©rĂȘt trĂšs vif, Ă mesure que la publication en a Ă©tĂ© faite ; ce sont des amis intimes. Mon Dieu ! il y a des nuances qui quelquefois pourraient nous Ă©chapper dans nos habitudes, mais qui ne peuvent pas Ă©chapper Ă des femmes dâune grande intelligence, dâune grande puretĂ©, dâune grande chastetĂ©. Il nây a pas de nom qui puisse se prononcer dans cette audience, mais si je vous disais ce qui a Ă©tĂ© dit Ă M. Flaubert, ce qui mâa Ă©tĂ© dit Ă moi-mĂȘme par des mĂšres de famille qui avaient lu ce livre, si je vous disais leur Ă©tonnement aprĂšs avoir reçu de cette lecture une impression si bonne quâelles ont cru devoir en 788
remercier lâauteur, si je vous disais leur Ă©tonnement, leur douleur, quand elles ont appris que ce livre devait ĂȘtre considĂ©rĂ© comme contraire Ă la morale publique, Ă leur foi religieuse, Ă la foi de toute leur vie, mon Dieu !