"Unleash your creativity and unlock your potential with MsgBrains.Com - the innovative platform for nurturing your intellect." » Français Books » 💚💚,,Madame Bovary'' - Gustave Flaubert

Add to favorite 💚💚,,Madame Bovary'' - Gustave Flaubert

Select the language in which you want the text you are reading to be translated, then select the words you don't know with the cursor to get the translation above the selected word!




Go to page:
Text Size:

Ainsi voilĂ  le tableau : d’un cĂŽtĂ©, le prĂȘtre qui rĂ©cite les priĂšres des agonisants ; de l’autre, le joueur d’orgue, qui excite chez la mourante « un rire atroce, frĂ©nĂ©tique, dĂ©sespĂ©rĂ©, croyant voir la face hideuse du misĂ©rable qui se dressait dans les tĂ©nĂšbres Ă©ternelles comme un Ă©pouvantement...

Une convulsion la rabattit sur le matelas. Tous s’approchĂšrent. Elle n’existait plus. »

Et puis ensuite, lorsque le corps est froid, la chose qu’il faut respecter par-dessus tout, c’est le cadavre que l’ñme a quittĂ©. Quand le mari est lĂ , Ă  genoux, pleurant sa femme, quand il a Ă©tendu sur elle le linceul, tout autre se serait arrĂȘtĂ©, et c’est le moment oĂč M. Flaubert donna le dernier coup de pinceau :

« Le drap se creusait depuis ses seins jusqu’à ses genoux, se relevant ensuite Ă  la pointe des orteils. »

756

VoilĂ  la scĂšne de la mort. Je l’ai abrĂ©gĂ©e, je l’ai groupĂ©e en quelque sorte. C’est Ă  vous de juger et d’apprĂ©cier si c’est lĂ  le mĂ©lange du sacrĂ© au profane, ou si ce ne serait pas plutĂŽt le mĂ©lange du sacrĂ© au voluptueux.

J’ai racontĂ© le roman, je l’ai incriminĂ© ensuite et, permettez-moi de le dire, le genre que M.

Flaubert cultive, celui qu’il rĂ©alise sans les mĂ©nagements de l’art, mais avec toutes les ressources de l’art, c’est le genre descriptif, la peinture rĂ©aliste. Voyez jusqu’à quelle limite il arrive. DerniĂšrement un numĂ©ro de l’ Artiste me tombait sous la main ; il ne s’agit pas d’incriminer l’ Artiste, mais de savoir quel est le genre de M. Flaubert, et je vous demande la permission de vous citer quelques lignes de l’écrit qui n’engagent en rien l’écrit poursuivi contre M. Flaubert, et j’y voyais Ă  quel degrĂ© M.

Flaubert excelle dans la peinture ; il aime Ă  peindre les tentations, surtout les tentations auxquelles a succombĂ© madame Bovary. Eh bien ! je trouve un modĂšle du genre dans les quelques lignes qui suivent de l’ Artiste du mois de janvier, signĂ©es Gustave Flaubert, sur la 757

tentation de saint Antoine. Mon Dieu ! c’est un sujet sur lequel on peut dire beaucoup de choses, mais je ne crois pas qu’il soit possible de donner plus de vivacitĂ© Ă  l’image, plus de trait Ă  la peinture apollinaire1 Ă  saint Antoine : – « Est-ce la science ? Est-ce la gloire ? Veux-tu rafraĂźchir tes yeux sur des jasmins humides ? Veux-tu sentir ton corps s’enfoncer comme dans une onde dans la chair douce des femmes pĂąmĂ©es ? »

Eh bien ! c’est la mĂȘme couleur, la mĂȘme Ă©nergie de pinceau, la mĂȘme vivacitĂ© d’expression !

Il faut se rĂ©sumer. J’ai analysĂ© le livre, j’ai racontĂ©, sans oublier une page. J’ai incriminĂ© ensuite, c’était la seconde partie de ma tĂąche : j’ai prĂ©cisĂ© quelques portraits, j’ai montrĂ© madame Bovary au repos, vis-Ă -vis de son mari, vis-Ă -vis de ceux qu’elle ne devait pas tenter, et je vous ai fait toucher les couleurs lascives de ce portrait !

Puis, j’ai analysĂ© quelques grandes scĂšnes : la chute avec Rodolphe, la transition religieuse, les amours avec LĂ©on, la scĂšne de la mort, et dans 1 Apollinaire, sic, pour Apollonius de Thyanes !

758

toutes j’ai trouvĂ© le double dĂ©lit d’offense Ă  la morale publique et Ă  la religion.

Je n’ai besoin que de deux scùnes : l’outrage à la morale, est-ce que vous ne le verrez pas dans la chute avec Rodolphe ? Est-ce que vous ne le verrez pas dans cette glorification de l’adultùre ?

Est-ce que vous ne le verrez pas surtout dans ce qui se passe avec LĂ©on ? Et puis, l’outrage Ă  la morale religieuse, je le trouve dans le trait sur la confession, p. 301 de la 1re livraison, n° du 1er octobre, dans la transition religieuse, p. 8542 et

5503 du 15 novembre, et enfin dans la derniĂšre scĂšne de la mort.

Vous avez devant vous, messieurs, trois inculpĂ©s : M. Flaubert, l’auteur du livre, M.

Pichat qui l’a accueilli et M. Pillet qui l’a imprimĂ©. En cette matiĂšre, il n’y a pas de dĂ©lit sans publicitĂ©, et tous ceux qui ont concouru Ă  la publicitĂ© doivent ĂȘtre Ă©galement atteints. Mais nous nous hĂątons de le dire, le gĂ©rant de la Revue et l’imprimeur ne sont qu’en seconde ligne. Le 1 Page 66.

2 Pages 355 et 356.

3 Pages 361-362.

759

principal prĂ©venu, c’est l’auteur, c’est M.

Flaubert, M. Flaubert qui, averti par la note de la rĂ©daction, proteste contre la suppression qui est faite Ă  son Ɠuvre. AprĂšs lui, vient au second rang M. Laurent Pichat, auquel vous demanderez compte non de cette suppression qu’il a faite, mais de celles qu’il aurait dĂ» faire, et, enfin, vient en derniĂšre ligne l’imprimeur qui est une sentinelle avancĂ©e contre le scandale. M. Pillet, d’ailleurs, est un homme honorable contre lequel je n’ai rien Ă  dire. Nous ne vous demandons qu’une chose, de lui appliquer la loi. Les imprimeurs doivent lire ; quand ils n’ont pas lu ou fait lire, c’est Ă  leurs risques et pĂ©rils qu’ils impriment. Les imprimeurs ne sont pas des machines ; ils ont un privilĂšge, ils prĂȘtent serment, ils sont dans une situation spĂ©ciale, ils sont responsables. Encore une fois, ils sont, si vous me permettez l’expression, comme des sentinelles avancĂ©es ; s’ils laissent passer le dĂ©lit, c’est comme s’ils laissaient passer l’ennemi.

AttĂ©nuez la peine autant que vous voudrez vis-Ă -vis de Pillet ; soyez mĂȘme indulgents vis-Ă -vis du gĂ©rant de la Revue ; quant Ă  Flaubert, le principal 760

coupable, c’est Ă  lui que vous devez rĂ©server vos sĂ©vĂ©ritĂ©s !

Ma tĂąche remplie, il faut attendre les objections ou les prĂ©venir. On nous dira comme objection gĂ©nĂ©rale : mais, aprĂšs tout, le roman est moral au fond, puisque l’adultĂšre est puni ?

À cette objection, deux rĂ©ponses : je suppose l’Ɠuvre morale, par hypothĂšse, une conclusion morale ne pourrait pas amnistier les dĂ©tails lascifs qui peuvent s’y trouver. Et puis je dis : l’Ɠuvre au fond n’est pas morale.

Je dis, messieurs, que des dĂ©tails lascifs ne peuvent pas ĂȘtre couverts par une conclusion morale, sinon on pourrait raconter toutes les orgies imaginables, dĂ©crire toutes les turpitudes d’une femme publique, en la faisant mourir sur un grabat Ă  l’hĂŽpital. Il serait permis d’étudier et de montrer toutes ses poses lascives ! Ce serait aller contre toutes les rĂšgles du bon sens. Ce serait placer le poison Ă  la portĂ©e de tous et le remĂšde Ă  la portĂ©e d’un bien petit nombre, s’il y avait un remĂšde. Qui est-ce qui lit le roman de M.

Flaubert ? Sont-ce des hommes qui s’occupent 761

d’économie politique ou sociale ? Non ! Les pages lĂ©gĂšres de Madame Bovary tombent en des mains plus lĂ©gĂšres, dans des mains de jeunes filles, quelquefois de femmes mariĂ©es. Eh bien !

lorsque l’imagination aura Ă©tĂ© sĂ©duite, lorsque cette sĂ©duction sera descendue jusqu’au cƓur, lorsque le cƓur aura parlĂ© aux sens, est-ce que vous croyez qu’un raisonnement bien froid sera bien fort contre cette sĂ©duction des sens et du sentiment ? Et puis, il ne faut pas que l’homme se drape trop dans sa force et dans sa vertu, l’homme porte les instincts d’en bas et les idĂ©es d’en haut, et, chez tous, la vertu n’est que la consĂ©quence d’un effort, bien souvent pĂ©nible.

Les peintures lascives ont gĂ©nĂ©ralement plus d’influence que les froids raisonnements. VoilĂ  ce que je rĂ©ponds Ă  cette thĂ©orie, voilĂ  ma premiĂšre rĂ©ponse, mais j’en ai une seconde.

Je soutiens que le roman de Madame Bovary, envisagĂ© au point de vue philosophique, n’est point moral. Sans doute madame Bovary meurt

empoisonnĂ©e ; elle a beaucoup souffert, c’est vrai ; mais elle meurt Ă  son heure et Ă  son jour, mais elle meurt, non parce qu’elle est adultĂšre, 762

mais parce qu’elle l’a voulu ; elle meurt dans tout le prestige de sa jeunesse et de sa beautĂ© ; elle meurt aprĂšs avoir eu deux amants, laissant un mari qui l’aime, qui l’adore, qui trouvera le portrait de Rodolphe, qui trouvera ses lettres et celles de LĂ©on, qui lira les lettres d’une femme deux fois adultĂšre, et qui, aprĂšs cela, l’aimera encore davantage au-delĂ  du tombeau. Qui peut condamner cette femme dans le livre ? Personne.

Telle est la conclusion. Il n’y a pas dans le livre un personnage qui puisse la condamner. Si vous y trouvez un personnage sage, si vous y trouvez un seul principe en vertu duquel l’adultĂšre soit stigmatisĂ©, j’ai tort. Donc, si, dans tout le livre, il n’y a pas un personnage qui puisse lui faire courber la tĂȘte, s’il n’y a pas une idĂ©e, une ligne en vertu de laquelle l’adultĂšre soit flĂ©tri, c’est moi qui ai raison, le livre est immoral !

Serait-ce au nom de l’honneur conjugal que le livre serait condamnĂ© ? Mais l’honneur conjugal est reprĂ©sentĂ© par un mari bĂ©at, qui, aprĂšs la mort de sa femme, rencontrant Rodolphe, cherche sur le visage de l’amant les traits de la femme qu’il 763

aime (livr. du 15 dĂ©cembre, p. 2891). Je vous le demande, est ce au nom de l’honneur conjugal que vous pouvez stigmatiser cette femme, quand il n’y a pas dans le livre un seul mot oĂč le mari ne s’incline devant l’adultĂšre.

Are sens

Copyright 2023-2059 MsgBrains.Com