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Serait-ce au nom de l’opinion publique ? Mais l’opinion publique est personnifiĂ©e dans un ĂȘtre grotesque, dans le pharmacien Homais, entourĂ© de personnages ridicules que cette femme domine.

Le condamnerez-vous au nom du sentiment religieux ? Mais ce sentiment, vous l’avez personnifiĂ© dans le curĂ© Bournisien, prĂȘtre Ă  peu prĂšs aussi grotesque que le pharmacien, ne croyant qu’aux souffrances physiques, jamais aux souffrances morales, Ă  peu prĂšs matĂ©rialiste.

Le condamnerez-vous au nom de la

conscience de l’auteur ? Je ne sais pas ce que pense la conscience de l’auteur ; mais, dans son chapitre X, le seul philosophique de l’Ɠuvre (livr.

du 15 décembre2), je lis la phrase suivante : 1 Page 576.

2 Page 541.

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« Il y a toujours aprĂšs la mort de quelqu’un comme une stupĂ©faction qui se dĂ©gage, tant il est difficile de comprendre cette survenue du nĂ©ant et de se rĂ©signer Ă  y croire. »

Ce n’est pas un cri d’incrĂ©dulitĂ©, mais c’est du moins un cri de scepticisme. Sans doute il est difficile de le comprendre et d’y croire ; mais, enfin, pourquoi cette stupĂ©faction qui se manifeste Ă  la mort ? Pourquoi ? Parce que cette survenue est quelque chose qui est un mystĂšre, parce qu’il est difficile de le comprendre et de le juger, mais il faut s’y rĂ©signer. Et moi je dis que si la mort est la survenue du nĂ©ant, que si le mari bĂ©at sent croĂźtre son amour en apprenant les adultĂšres de sa femme, que si l’opinion est reprĂ©sentĂ©e par des ĂȘtres grotesques, que si le sentiment religieux est reprĂ©sentĂ© par un prĂȘtre ridicule, une seule personne a raison, rĂšgne, domine : c’est Emma Bovary. Messaline a raison contre JuvĂ©nal.

VoilĂ  la conclusion philosophique du livre, tirĂ©e non par l’auteur, mais par un homme qui rĂ©flĂ©chit et approfondit les choses, par un homme 765

qui a cherchĂ© dans le livre un personnage qui pĂ»t dominer cette femme. Il n’y en a pas. Le seul personnage qui y domine, c’est madame Bovary.

Il faut donc chercher ailleurs que dans le livre, il faut chercher dans cette morale chrĂ©tienne qui est le fond des civilisations modernes. Pour cette morale, tout s’explique et s’éclaircit.

En son nom l’adultĂšre est stigmatisĂ©, condamnĂ©, non pas parce que c’est une imprudence qui expose Ă  des dĂ©sillusions et Ă  des regrets, mais parce que c’est un crime pour la famille. Vous stigmatisez et vous condamnez le suicide, non pas parce que c’est une folie, le fou n’est pas responsable ; non pas parce que c’est une lĂąchetĂ©, il demande quelquefois un certain courage physique, mais parce qu’il est le mĂ©pris du devoir dans la vie qui s’achĂšve, et le cri de l’incrĂ©dulitĂ© dans la vie qui commence.

Cette morale stigmatise la littĂ©rature rĂ©aliste, non pas parce qu’elle peint les passions : la haine, la vengeance, l’amour ; le monde ne vit que lĂ -dessus, et l’art doit les peindre ; mais quand elle les peint sans frein, sans mesure. L’art sans rĂšgle 766

n’est plus l’art ; c’est comme une femme qui quitterait tout vĂȘtement. Imposer Ă  l’art l’unique rĂšgle de la dĂ©cence publique, ce n’est pas l’asservir, mais l’honorer. On ne grandit qu’avec une rĂšgle. VoilĂ , messieurs, les principes que nous professons, voilĂ  une doctrine que nous dĂ©fendons avec conscience.

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Plaidoirie du défenseur

Me SĂ©nard

Messieurs, M. Gustave Flaubert est accusĂ© devant vous d’avoir fait un mauvais livre, d’avoir, dans ce livre, outragĂ© la morale publique et la religion. M. Gustave Flaubert est auprĂšs de moi ; il affirme devant vous qu’il a fait un livre honnĂȘte ; il affirme devant vous que la pensĂ©e de son livre, depuis la premiĂšre ligne jusqu’à la derniĂšre, est une pensĂ©e morale, religieuse, et que, si elle n’était pas dĂ©naturĂ©e (nous avons vu pendant quelques instants ce que peut un grand talent pour dĂ©naturer une pensĂ©e), elle serait (et elle reviendra tout Ă  l’heure) pour vous ce qu’elle a Ă©tĂ© dĂ©jĂ  pour les lecteurs du livre, une pensĂ©e Ă©minemment morale et religieuse pouvant se traduire par ces mots : l’excitation Ă  la vertu par l’horreur du vice.

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Je vous apporte ici l’affirmation de M.

Gustave Flaubert, et je la mets hardiment en regard du rĂ©quisitoire du ministĂšre public, car cette affirmation est grave ; elle l’est par la personne qui l’a faite, elle l’est par les circonstances qui ont prĂ©sidĂ© Ă  l’exĂ©cution du livre que je vais vous faire connaĂźtre.

L’affirmation est dĂ©jĂ  grave par la personne qui la fait, et, permettez-moi de vous le dire, M.

Gustave Flaubert n’était pas pour moi un inconnu qui eĂ»t besoin auprĂšs de moi de

recommandations, qui eĂ»t des renseignements Ă  me donner, je ne dis pas sur sa moralitĂ©, mais sur sa dignitĂ©. Je viens ici, dans cette enceinte, remplir un devoir de conscience, aprĂšs avoir lu le livre, aprĂšs avoir senti s’exhaler par cette lecture tout ce qu’il y a en moi d’honnĂȘte et de profondĂ©ment religieux. Mais, en mĂȘme temps que je viens remplir un devoir de conscience, je viens remplir un devoir d’amitiĂ©. Je me rappelle, je ne saurais oublier que son pĂšre a Ă©tĂ© pour moi un vieil ami. Son pĂšre, de l’amitiĂ© duquel je me suis longtemps honorĂ©, honorĂ© jusqu’au dernier jour, son pĂšre et, permettez-moi de le dire, son 769

illustre pĂšre, a Ă©tĂ© pendant plus de trente annĂ©es chirurgien en chef de l’HĂŽtel-Dieu de Rouen. Il a Ă©tĂ© le prosecteur de Dupuytren ; en donnant Ă  la science de grands enseignements, il l’a dotĂ©e de grands noms ; je n’en veux citer qu’un seul, Cloquet. Il n’a pas seulement laissĂ© lui-mĂȘme un beau nom dans la science, il y a laissĂ© de grands souvenirs, pour d’immenses services rendus Ă  l’humanitĂ©. Et en mĂȘme temps que je me souviens de mes liaisons avec lui, je veux vous le dire, son fils, qui est traduit en police correctionnelle pour outrage Ă  la morale et Ă  la religion, son fils est l’ami de mes enfants, comme j’étais l’ami de son pĂšre. Je sais sa pensĂ©e, je sais ses intentions, et l’avocat a ici le droit de se poser comme la caution personnelle de son client.

Messieurs, un grand nom et de grands souvenirs obligent. Les enfants de M. Flaubert ne lui ont pas failli. Ils Ă©taient trois, deux fils et une fille, morte Ă  vingt et un ans. L’aĂźnĂ© a Ă©tĂ© jugĂ© digne de succĂ©der Ă  son pĂšre : et c’est lui qui, aujourd’hui, remplit dĂ©jĂ  depuis plusieurs annĂ©es la mission que son pĂšre a remplie pendant trente ans. Le plus jeune, le voici : il est Ă  votre barre.

770

En leur laissant une fortune considĂ©rable et un grand nom, leur pĂšre leur a laissĂ© le besoin d’ĂȘtre des hommes d’intelligence et de cƓur, des hommes utiles. Le frĂšre de mon client s’est lancĂ© dans une carriĂšre oĂč les services rendus sont de chaque jour. Celui-ci a dĂ©vouĂ© sa vie Ă  l’étude, aux lettres, et l’ouvrage qu’on poursuit en ce moment devant vous est son premier ouvrage. Ce premier ouvrage, messieurs, qui provoque les passions, au dire de M. l’avocat impĂ©rial, est le rĂ©sultat de longues Ă©tudes, de longues mĂ©ditations. M. Gustave Flaubert est un homme d’un caractĂšre sĂ©rieux portĂ© par sa nature aux choses graves, aux choses tristes. Ce n’est pas l’homme que le ministĂšre public, avec quinze ou vingt lignes mordues çà et lĂ , est venu vous prĂ©senter comme un faiseur de tableaux lascifs.

Non ; il y a dans sa nature, je le rĂ©pĂšte, tout ce qu’on peut imaginer au monde de plus grave, de plus sĂ©rieux, mais en mĂȘme temps de plus triste.

Son livre, en rétablissant seulement une phrase, en mettant à cÎté des quelques lignes citées les quelques lignes qui précÚdent et qui suivent, reprendra bientÎt devant vous sa véritable 771

couleur, en mĂȘme temps qu’il fera connaĂźtre les intentions de l’auteur. Et, de la parole trop habile que vous avez entendue, il ne restera dans vos souvenirs qu’un sentiment d’admiration profonde pour un talent qui peut tout transformer.

Je vous ai dit que M. Gustave Flaubert était un homme sérieux et grave. Ses études, conformes à la nature de son esprit, ont été sérieuses et larges.

Elles ont embrassé non seulement toutes les branches de la littérature, mais le droit. M.

Flaubert est un homme qui ne s’est pas contentĂ© des observations que pouvait lui fournir le milieu oĂč il a vĂ©cu ; il a interrogĂ© d’autres milieux : Qui mores multorum vidit et urbes.

AprĂšs la mort de son pĂšre et ses Ă©tudes de collĂšge, il a visitĂ© l’Italie et, de 1848 Ă  1851, parcouru ces contrĂ©es de l’Orient, l’Égypte, la Palestine, l’Asie Mineure, dans lesquelles, sans doute, l’homme qui les parcourt, en y apportant une grande intelligence, peut acquĂ©rir quelque chose d’élevĂ©, de poĂ©tique, ces couleurs, ce prestige de style que le ministĂšre public faisait 772

tout Ă  l’heure ressortir, pour Ă©tablir le dĂ©lit qu’il nous impute. Ce prestige de style, ces qualitĂ©s littĂ©raires resteront, ressortiront avec Ă©clat de ces dĂ©bats, mais ne pourront en aucune façon laisser prise Ă  l’incrimination.

De retour depuis 1852, M. Gustave Flaubert a Ă©crit et cherchĂ© Ă  produire dans un grand cadre le rĂ©sultat d’études attentives et sĂ©rieuses, le rĂ©sultat de ce qu’il avait recueilli dans ses voyages.

Quel est le cadre qu’il a choisi, le sujet qu’il a pris, et comment l’a-t-il traitĂ© ? Mon client est de ceux qui n’appartiennent Ă  aucune des Ă©coles dont j’ai trouvĂ©, tout Ă  l’heure, le nom dans le rĂ©quisitoire. Mon Dieu ! il appartient Ă  l’école rĂ©aliste, en ce sens qu’il s’attache a la rĂ©alitĂ© des choses. Il appartiendrait Ă  l’école psychologique en ce sens que ce n’est pas la matĂ©rialitĂ© des choses qui le pousse, mais le sentiment humain, le dĂ©veloppement des passions dans le milieu oĂč il est placĂ©. Il appartiendrait Ă  l’école romantique moins peut-ĂȘtre qu’à toute autre, car si le romantisme apparaĂźt dans son livre, de mĂȘme que si le rĂ©alisme y apparaĂźt, ce n’est pas par quelques 773

expressions ironiques, jetées çà et là, que le ministÚre public a prises au sérieux. Ce que M.

Are sens

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