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269

VIII

Ils arrivĂšrent, en effet, ces fameux Comices !

DĂšs le matin de la solennitĂ©, tous les habitants, sur leurs portes, s’entretenaient des prĂ©paratifs ; on avait enguirlandĂ© de lierres le fronton de la mairie ; une tente dans un prĂ© Ă©tait dressĂ©e pour le festin, et, au milieu de la Place, devant l’église, une espĂšce de bombarde devait signaler l’arrivĂ©e de M. le prĂ©fet et le nom des cultivateurs laurĂ©ats.

La garde nationale de Buchy (il n’y en avait point Ă  Yonville) Ă©tait venue s’adjoindre au corps des pompiers, dont Binet Ă©tait le capitaine. Il portait ce jour-lĂ  un col encore plus haut que de coutume ; et, sanglĂ© dans sa tunique, il avait le buste si roide et immobile, que toute la partie vitale de sa personne semblait ĂȘtre descendue dans ses deux jambes, qui se levaient en cadence, Ă  pas marquĂ©s, d’un seul mouvement. Comme une rivalitĂ© subsistait entre le percepteur et le colonel, l’un et l’autre, pour montrer leurs talents, 270

faisaient Ă  part manƓuvrer leurs hommes. On voyait alternativement passer et repasser les Ă©paulettes rouges et les plastrons noirs. Cela ne finissait pas et toujours recommençait ! Jamais il n’y avait eu pareil dĂ©ploiement de pompe !

Plusieurs bourgeois, dĂšs la veille, avaient lavĂ© leurs maisons ; des drapeaux tricolores pendaient aux fenĂȘtres entr’ouvertes ; tous les cabarets Ă©taient pleins ; et, par le beau temps qu’il faisait, les bonnets empesĂ©s, les croix d’or et les fichus de couleur paraissaient plus blancs que neige, miroitaient au soleil clair, et relevaient de leur bigarrure Ă©parpillĂ©e la sombre monotonie des redingotes et des bourgerons bleus. Les fermiĂšres des environs retiraient, en descendant de cheval, la grosse Ă©pingle qui leur serrait autour du corps leur robe retroussĂ©e de peur des taches ; et les maris, au contraire, afin de mĂ©nager leurs chapeaux, gardaient par-dessus des mouchoirs de poche, dont ils tenaient un angle entre les dents.

La foule arrivait dans la grande rue par les deux bouts du village. Il s’en dĂ©gorgeait des ruelles, des allĂ©es, des maisons, et l’on entendait de temps Ă  autre retomber le marteau des portes, 271

derriĂšre les bourgeoises en gants de fil, qui sortaient pour aller voir la fĂȘte. Ce que l’on admirait surtout, c’étaient deux longs ifs couverts de lampions qui flanquaient une estrade oĂč s’allaient tenir les autoritĂ©s ; et il y avait de plus, contre les quatre colonnes de la mairie, quatre maniĂšres de gaules, portant chacune un petit Ă©tendard de toile verdĂątre, enrichi d’inscriptions en lettres d’or. On lisait sur l’un : Au Commerce ; sur l’autre : À l’Agriculture ; sur le troisiĂšme : À

l’Industrie ; et sur le quatriùme : Aux Beaux-Arts.

Mais la jubilation qui Ă©panouissait tous les visages paraissait assombrir madame Lefrançois, l’aubergiste. Debout sur les marches de sa cuisine, elle murmurait dans son menton :

– Quelle bĂȘtise ! quelle bĂȘtise avec leur baraque de toile ! Croient-ils que le prĂ©fet sera bien aise de dĂźner lĂ -bas, sous une tente, comme un saltimbanque ? Ils appellent ces embarras-lĂ , faire le bien du pays ! Ce n’était pas la peine, alors, d’aller chercher un gargotier Ă  NeufchĂątel !

Et pour qui ? pour des vachers ! des va-nu-pieds !...

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L’apothicaire passa. Il portait un habit noir, un pantalon de nankin, des souliers de castor, et par extraordinaire un chapeau, – un chapeau bas de forme.

– Serviteur ! dit-il ; excusez-moi, je suis pressĂ©.

Et comme la grosse veuve lui demanda oĂč il

allait :

– Cela vous semble drĂŽle, n’est-ce pas ? moi qui reste toujours plus confinĂ© dans mon laboratoire que le rat du bonhomme dans son fromage.

– Quel fromage ? fit l’aubergiste.

– Non, rien ! ce n’est rien ! reprit Homais. Je voulais vous exprimer seulement, madame Lefrançois, que je demeure d’habitude tout reclus chez moi. Aujourd’hui cependant, vu la circonstance, il faut bien que...

– Ah ! vous allez lĂ -bas ? dit-elle avec un air de dĂ©dain.

– Oui, j’y vais, rĂ©pliqua l’apothicaire Ă©tonnĂ© ; ne fais-je point partie de la commission 273

consultative ?

La mÚre Lefrançois le considéra quelques minutes, et finit par répondre en souriant :

– C’est autre chose ! Mais qu’est-ce que la culture vous regarde ? vous vous y entendez donc ?

– Certainement, je m’y entends, puisque je suis pharmacien, c’est-Ă -dire chimiste ! et la chimie, madame Lefrançois, ayant pour objet la connaissance de l’action rĂ©ciproque et molĂ©culaire de tous les corps de la nature, il s’ensuit que l’agriculture se trouve comprise dans son domaine ! Et, en effet, composition des engrais, fermentation des liquides, analyse des gaz et influence des miasmes, qu’est-ce que tout cela, je vous le demande, si ce n’est de la chimie pure et simple ?

L’aubergiste ne rĂ©pondit rien. Homais continua :

– Croyez-vous qu’il faille, pour ĂȘtre agronome, avoir soi-mĂȘme labourĂ© la terre ou engraissĂ© des volailles ? Mais il faut connaĂźtre 274

plutĂŽt la constitution des substances dont il s’agit, les gisements gĂ©ologiques, les actions atmosphĂ©riques, la qualitĂ© des terrains, des minĂ©raux, des eaux, la densitĂ© des diffĂ©rents corps et leur capillaritĂ© ! que sais-je ? Et il faut possĂ©der Ă  fond tous ses principes d’hygiĂšne, pour diriger, critiquer la construction des bĂątiments, le rĂ©gime des animaux, l’alimentation des domestiques ! Il faut encore, madame Lefrançois, possĂ©der la botanique ; pouvoir discerner les plantes, entendez-vous, quelles sont les salutaires d’avec les dĂ©lĂ©tĂšres, quelles les improductives et quelles les nutritives, s’il est bon de les arracher par-ci et de les ressemer par-lĂ , de propager les unes, de dĂ©truire les autres ; bref, il faut se tenir au courant de la science par les brochures et papiers publics, ĂȘtre toujours en haleine, afin d’indiquer les amĂ©liorations...

L’aubergiste ne quittait point des yeux la porte du CafĂ© Français, et le pharmacien poursuivit :

– PlĂ»t Ă  Dieu que nos agriculteurs fussent des chimistes, ou que du moins ils Ă©coutassent davantage les conseils de la science ! Ainsi, moi, 275

j’ai derniĂšrement Ă©crit un fort opuscule, un mĂ©moire de plus de soixante et douze pages, intitulĂ© : Du cidre, de sa fabrication et de ses effets, suivi de quelques rĂ©flexions nouvelles Ă  ce sujet, que j’ai envoyĂ© Ă  la SociĂ©tĂ© agronomique de Rouen ; ce qui m’a mĂȘme valu l’honneur d’ĂȘtre reçu parmi ses membres, section d’agriculture, classe de pomologie ; eh bien ! si mon ouvrage avait Ă©tĂ© livrĂ© Ă  la publicitĂ©...

Mais l’apothicaire s’arrĂȘta, tant madame Lefrançois paraissait prĂ©occupĂ©e.

– Voyez-les donc ! disait-elle, on n’y comprend rien ! une gargote semblable !

Et, avec des haussements d’épaules qui tiraient sur sa poitrine les mailles de son tricot, elle montrait des deux mains le cabaret de son rival, d’oĂč sortaient alors des chansons.

– Du reste, il n’en a pas pour longtemps, ajouta-t-elle ; avant huit jours, tout est fini.

Homais se recula de stupĂ©faction. Elle descendit ses trois marches, et, lui parlant Ă  l’oreille :

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– Comment ! vous ne savez pas cela ? On va le saisir cette semaine. C’est Lheureux qui le fait vendre. Il l’a assassinĂ© de billets.

– Quelle Ă©pouvantable catastrophe ! s’écria l’apothicaire, qui avait toujours des expressions congruantes Ă  toutes les circonstances imaginables. L’hĂŽtesse donc se mit Ă  lui raconter cette histoire, qu’elle savait par ThĂ©odore, le domestique de M. Guillaumin, et, bien qu’elle exĂ©crĂąt Tellier, elle blĂąmait Lheureux. C’était un enjĂŽleur, un rampant.

– Ah ! tenez, dit-elle, le voilà sous les halles ; il salue madame Bovary, qui a un chapeau vert.

Elle est mĂȘme au bras de M. Boulanger.

– Madame Bovary ! fit Homais. Je

m’empresse d’aller lui offrir mes hommages.

Peut-ĂȘtre qu’elle sera bien aise d’avoir une place dans l’enceinte, sous le pĂ©ristyle. Et, sans Ă©couter la mĂšre Lefrançois, qui le rappelait pour lui en conter plus long, le pharmacien s’éloigna d’un pas rapide, sourire aux lĂšvres et jarret tendu, distribuant de droite et de gauche quantitĂ© de salutations et emplissant beaucoup d’espace avec 277

les grandes basques de son habit noir, qui flottaient au vent derriĂšre lui.

Rodolphe l’ayant aperçu de loin, avait pris un train rapide ; mais madame Bovary s’essouffla ; il se ralentit donc et lui dit en souriant, d’un ton brutal :

– C’est pour Ă©viter ce gros homme : vous savez, l’apothicaire.

Elle lui donna un coup de coude.

Are sens