J'enlace et je berce son âme
Dans le réseau mobile et bleu
Qui monte de ma bouche en feu,
Et je roule un puissant dictame
Qui charme son cœur et guérit
De ses fatigues son esprit.
LXIX La Musique
La musique souvent me prend comme une mer!
Vers ma pâle étoile,
Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther, Je mets à la voile;
La poitrine en avant et les poumons gonflés
© "https://athena.unige.ch/" Baudelaire, Les Fleurs du Mal, p. 54 / 106
Comme de la toile
J'escalade le dos des flots amoncelés Que la nuit me voile;
Je sens vibrer en moi toutes les passions D'un vaisseau qui souffre;
Le bon vent, la tempête et ses convulsions Sur l'immense gouffre
Me bercent. D'autres fois, calme plat, grand miroir De mon désespoir!
LXX Sépulture
Si par une nuit lourde et sombre
Un bon chrétien, par charité,
Derrière quelque vieux décombre
Enterre votre corps vanté,
A l'heure où les chastes étoiles
Ferment leurs yeux appesantis,
L'araignée y fera ses toiles,
Et la vipère ses petits;
Vous entendrez toute l'année
Sur votre tête condamnée
Les cris lamentables des loups
Et des sorcières faméliques,
Les ébats des vieillards lubriques
Et les complots des noirs filous.
LXXI Une gravure fantastique
Ce spectre singulier n'a pour toute toilette, Grotesquement campé sur son front de squelette, Qu'un diadème affreux sentant le carnaval.
Sans éperons, sans fouet, il essouffle un cheval, Fantôme comme lui, rosse apocalyptique, Qui bave des naseaux comme un épileptique.
Au travers de l'espace ils s'enfoncent tous deux, Et foulent l'infini d'un sabot hasardeux.
Le cavalier promène un sabre qui flamboie
© "https://athena.unige.ch/" Baudelaire, Les Fleurs du Mal, p. 55 / 106
Sur les foules sans nom que sa monture broie, Et parcourt, comme un prince inspectant sa maison, Le cimetière immense et froid, sans horizon, Où gisent, aux lueurs d'un soleil blanc et terne, Les peuples de l'histoire ancienne et moderne.
LXXII Le Mort joyeux