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Depuis le jeudi, Maheu retournait à la fosse, et l’on était au dimanche. Le soir, Étienne causa de la date prochaine du 1er décembre, préoccupé de savoir si la Compagnie exécuterait sa menace. On veilla jusqu’à dix heures, en attendant Catherine, qui devait s’attarder avec Chaval. Mais elle ne rentra pas. La Maheude ferma furieusement la porte au verrou, sans une parole. Étienne fut long à s’endormir, inquiet de ce lit vide, où Alzire tenait si peu de place.
Le lendemain, toujours personne ; et, l’après-midi seulement, au retour de la fosse, les Maheu apprirent que Chaval gardait Catherine. Il lui faisait des scènes si abominables qu’elle s’était décidée à se mettre avec lui. Pour éviter les reproches, il avait quitté brusquement le Voreux, il venait d’être embauché à Jean-Bart, le puits de monsieur Deneulin, où elle le suivait comme herscheuse. Du reste, le nouveau ménage continuait à habiter Montsou, chez Piquette.
Maheu, d’abord, parla d’aller gifler l’homme et de ramener sa fille coups de pied dans le derrière. Puis, il eut un geste résigné : à quoi 374
bon ? ça tournait toujours comme ça, on n’empêchait pas les filles de se coller quand elles en avaient l’envie. Il valait mieux attendre tranquillement le mariage. Mais la Maheude ne prenait pas si bien les choses.
– Est-ce que je l’ai battue, quand elle a eu ce Chaval ? criait-elle à Étienne, qui l’écoutait, silencieux, très pâle. Voyons, répondez ! vous qui êtes un homme raisonnable... Nous l’avons laissée libre, n’est-ce pas ? parce que, mon Dieu !
toutes passent par là. Ainsi, moi, j’étais grosse, quand le père m’a épousée. Mais je n’ai pas filé de chez mes parents, jamais je n’aurais fait la saleté de porter avant l’âge l’argent de mes journées à un homme qui n’en avait pas besoin...
Ah ! c’est dégoûtant, voyez-vous ! On en arrivera à ne plus faire d’enfants.
Et, comme Étienne ne répondait toujours que par des hochements de tête, elle insista.
– Une fille qui allait tous les soirs où elle voulait ! Qu’a-t-elle donc dans la peau ? Ne pas pouvoir attendre que je la marie, après qu’elle nous aurait aidés à sortir du pétrin ! Hein ? c’était 375
naturel, on a une fille pour qu’elle travaille...
Mais voilà, nous avons été trop bons, nous n’aurions pas dû lui permettre de se distraire avec un homme. On leur en accorde un bout, et elles en prennent long comme ça.
Alzire approuvait de la tête. Lénore et Henri, saisis de cet orage, pleuraient tout bas, tandis que la mère, maintenant, énumérait leurs malheurs : d’abord, Zacharie qu’il avait fallu marier ; puis, le vieux Bonnemort qui était là, sur sa chaise, avec ses pieds tordus ; puis, Jeanlin qui ne pourrait quitter la chambre avant dix jours, les os mal recollés ; et, enfin, le dernier coup, cette garce de Catherine partie avec un homme ! Toute la famille se cassait. Il ne restait que le père à la fosse. Comment vivre, sept personnes, sans compter Estelle, sur les trois francs du père ?
Autant se jeter en chœur dans le canal.
– Ça n’avance à rien que tu te ronges, dit Maheu d’une voix sourde. Nous ne sommes pas au bout peut-être.
Étienne, qui regardait fixement les dalles, leva la tête et murmura, les yeux perdus dans une 376
vision d’avenir :
– Ah ! il est temps, il est temps !
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Quatrième partie
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I
Ce lundi-là, les Hennebeau avaient à déjeuner les Grégoire et leur fille Cécile. C’était toute une partie projetée : en sortant de table, Paul Négrel devait faire visiter à ces dames une fosse, Saint-Thomas, qu’on réinstallait avec luxe. Mais il n’y avait là qu’un aimable prétexte, cette partie était une invention de madame Hennebeau, pour hâter le mariage de Cécile et de Paul.
Et, brusquement, ce lundi même, à quatre heures du matin, la grève venait d’éclater.
Lorsque, le 1er décembre, la Compagnie avait appliqué son nouveau système de salaire, les mineurs étaient restés calmes. À la fin de la quinzaine, le jour de la paie, pas un n’avait fait la moindre réclamation. Tout le personnel, depuis le directeur jusqu’au dernier des surveillants, croyait le tarif accepté ; et la surprise était grande, depuis le matin, devant cette déclaration de 379
guerre, d’une tactique et d’un ensemble qui semblaient indiquer une direction énergique.
À cinq heures, Dansaert réveilla monsieur Hennebeau pour l’avertir que pas un homme n’était descendu au Voreux. Le coron des Deux-Cent-Quarante, qu’il avait traversé, dormait profondément, fenêtres et portes closes. Et, dès que le directeur eut sauté du lit, les yeux gros encore de sommeil, il fut accablé : de quart d’heure en quart d’heure, des messagers accouraient, des dépêches tombaient sur son bureau, dru comme grêle. D’abord, il espéra que la révolte se limitait au Voreux ; mais les nouvelles devenaient plus graves à chaque minute : c’était Mirou, c’était Crèvecœur, c’était Madeleine, où il n’avait paru que les palefreniers ; c’étaient la Victoire et Feutry-Cantel, les deux fosses les mieux disciplinées, dans lesquelles la descente se trouvait réduite d’un tiers ; Saint-Thomas seul avait son monde au complet et semblait demeurer en dehors du mouvement. Jusqu’à neuf heures, il dicta les dépêches, télégraphiant de tous côtés, au préfet de Lille, aux régisseurs de la Compagnie, 380
prévenant les autorités, demandant des ordres. Il avait envoyé Négrel faire le tour des fosses voisines, pour avoir des renseignements précis.
Tout d’un coup, monsieur Hennebeau songea au déjeuner ; et il allait envoyer le cocher avertir les Grégoire que la partie était remise, lorsqu’une hésitation, un manque de volonté l’arrêta, lui qui venait, en quelques phrases brèves, de préparer militairement son champ de bataille. Il monta chez madame Hennebeau, qu’une femme de chambre achevait de coiffer, dans son cabinet de toilette.
– Ah ! ils sont en grève, dit-elle tranquillement, lorsqu’il l’eut consultée. Eh bien, qu’est-ce que cela nous fait ?... Nous n’allons point cesser de manger, n’est-ce pas ?
Et elle s’entêta, il eut beau lui dire que le déjeuner serait troublé, que la visite à Saint-Thomas ne pourrait avoir lieu. elle trouvait une réponse à tout, pourquoi perdre un déjeuner déjà sur le feu ? et quant à visiter la fosse, on pouvait y renoncer ensuite, si cette promenade était vraiment imprudente.
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– Du reste, reprit-elle, lorsque la femme de chambre fut sortie, vous savez pourquoi je tiens à recevoir ces braves gens. Ce mariage devrait vous toucher plus que les bêtises de vos ouvriers...
Enfin, je le veux, ne me contrariez pas.
Il la regarda, agité d’un léger tremblement, et son visage dur et fermé d’homme de discipline exprima la secrète douleur d’un cœur meurtri.
Elle était restée les épaules nues, déjà trop mûre, mais éclatante et désirable encore, avec sa carrure de Cérès dorée par l’automne. Un instant, il dut avoir le désir brutal de la prendre, de rouler sa tête entre les deux seins qu’elle étalait, dans cette pièce tiède, d’un luxe intime de femme sensuelle, et où traînait un parfum irritant de musc ; mais il se recula, depuis dix années le ménage faisait chambre à part.
– C’est bon, dit-il en la quittant. Ne décommandons rien.
– Monsieur Hennebeau était né dans les Ardennes. Il avait eu les commencements difficiles d’un garçon pauvre, jeté orphelin sur le pavé de Paris. Après avoir suivi péniblement des 382
cours de l’École des mines, il était, à vingt-quatre ans, parti pour la Grand-Combe, comme ingénieur du puits Sainte-Barbe. Trois ans plus tard, il devint ingénieur divisionnaire, dans le Pas-de-Calais, aux fosses de Marles ; et ce fut là qu’il se maria, épousant, par un de ces coups de fortune qui sont la règle pour le corps des mines, la fille d’un riche filateur d’Arras. Pendant quinze années, le ménage habita la même petite ville de province, sans qu’un événement rompît la monotonie de son existence, pas même la naissance d’un enfant. Une irritation croissante détachait madame Hennebeau, élevée dans le respect de l’argent, dédaigneuse de ce mari qui gagnait durement des appointements médiocres, et dont elle ne tirait aucune des satisfactions vaniteuses, rêvées en pension. Lui, d’une honnêteté stricte, ne spéculait point, se tenait à son poste, en soldat. Le désaccord n’avait fait que grandir, aggravé par un de ces singuliers malentendus de la chair qui glacent les plus ardents : il adorait sa femme, elle était d’une sensualité de blonde gourmande, et déjà ils couchaient à part, mal à l’aise, tout de suite 383
blessés. Elle eut dès lors un amant, qu’il ignora.