"Unleash your creativity and unlock your potential with MsgBrains.Com - the innovative platform for nurturing your intellect." » Français Books » "Germinal" de Émile Zola

Add to favorite "Germinal" de Émile Zola

Select the language in which you want the text you are reading to be translated, then select the words you don't know with the cursor to get the translation above the selected word!




Go to page:
Text Size:

Enfin, il quitta le Pas-de-Calais, pour venir occuper à Paris une situation de bureau, dans l’idée qu’elle lui en serait reconnaissante. Mais Paris devait achever la séparation, ce Paris qu’elle souhaitait depuis sa première poupée, et où elle se lava en huit jours de sa province, élégante d’un coup, jetée à toutes les folies luxueuses de l’époque. Les dix ans qu’elle y passa furent emplis par une grande passion, une liaison publique avec un homme, dont l’abandon faillit la tuer. Cette fois, le mari n’avait pu garder son ignorance, et il se résigna, à la suite de scènes abominables, désarmé devant la tranquille inconscience de cette femme, qui prenait son bonheur où elle le trouvait. C’était après la rupture, lorsqu’il l’avait vue malade de chagrin, qu’il avait accepté la direction des mines de Montsou, espérant encore la corriger là-bas, dans ce désert des pays noirs.

Les Hennebeau, depuis qu’ils habitaient Montsou, retournaient à l’ennui irrité des premiers temps de leur mariage. D’abord, elle parut soulagée par ce grand calme, goûtant un 384

apaisement dans la monotonie plate de l’immense plaine ; et elle s’enterrait en femme finie, elle affectait d’avoir le cœur mort, si détachée du monde, qu’elle ne souffrait même plus d’engraisser. Puis, sous cette indifférence, une fièvre dernière se déclara, un besoin de vivre encore, qu’elle trompa pendant six mois en organisant et en meublant à son goût le petit hôtel de la Direction. Elle le disait affreux, elle l’emplit de tapisseries, de bibelots, de tout un luxe d’art, dont on parla jusqu’à Lille. Maintenant, le pays l’exaspérait, ces bêtes de champs étalés à l’infini, ces éternelles routes noires, sans un arbre, où grouillait une population affreuse qui la dégoûtait et l’effrayait. Les plaintes de l’exil commencèrent, elle accusait son mari de l’avoir sacrifiée aux appointements de quarante mille francs qu’il touchait, une misère à peine suffisante pour faire marcher la maison. Est-ce qu’il n’aurait pas dû imiter les autres, exiger une part, obtenir des actions, réussir à quelque chose enfin ? et elle insistait avec une cruauté d’héritière qui avait apporté la fortune. Lui, toujours correct, se réfugiant dans sa froideur 385

menteuse d’homme administratif, était ravagé par le désir de cette créature, un de ces désirs tardifs, si violents, qui croissent avec l’âge. Il ne l’avait jamais possédée en amant, il était hanté d’une continuelle image, l’avoir une fois à lui comme elle s’était donnée à un autre. Chaque matin, il rêvait de la conquérir le soir ; puis, lorsqu’elle le regardait de ses yeux froids, lorsqu’il sentait que tout en elle se refusait, il évitait même de lui effleurer la main. C’était une souffrance sans guérison possible, cachée sous la raideur de son attitude, la souffrance d’une nature tendre agonisant en secret de n’avoir pas trouvé le bonheur dans son ménage. Au bout des six mois, quand l’hôtel, définitivement meublé, n’occupa plus madame Hennebeau, elle tomba à une langueur d’ennui, en victime que l’exil tuerait et qui se disait heureuse d’en mourir.

Justement, Paul Négrel débarquait à Montsou.

Sa mère, veuve d’un capitaine provençal, vivant à Avignon d’une maigre rente, avait dû se contenter de pain et d’eau pour le pousser jusqu’à l’École polytechnique. Il en était sorti dans un mauvais rang, et son oncle, monsieur Hennebeau, 386

venait de lui faire donner sa démission, en offrant de le prendre comme ingénieur, au Voreux. Dès lors, traité en enfant de la maison, il y eut même sa chambre, y mangea, y vécut, ce qui lui permettait d’envoyer à sa mère la moitié de ses appointements de trois mille francs. Pour déguiser ce bienfait, monsieur Hennebeau parlait de l’embarras où était un jeune homme, obligé de se monter un ménage, dans un des petits chalets réservés aux ingénieurs des fosses. Madame Hennebeau, tout de suite, avait pris un rôle de bonne tante, tutoyant son neveu, veillant à son bien-être. Les premiers mois surtout, elle montra une maternité débordante de conseils, aux moindres sujets. Mais elle restait femme pourtant, elle glissait à des confidences personnelles. Ce garçon si jeune et si pratique, d’une intelligence sans scrupule, professant sur l’amour des théories de philosophe, l’amusait, grâce à la vivacité de son pessimisme, dont s’aiguisait sa face mince, au nez pointu. Naturellement, un soir, il se trouva dans ses bras ; et elle parut se livrer par bonté, tout en lui disant qu’elle n’avait plus de cœur et qu’elle voulait être uniquement son amie. En 387

effet, elle ne fut pas jalouse, elle le plaisantait sur les herscheuses qu’il déclarait abominables, le boudait presque, parce qu’il n’avait pas des farces de jeune homme à lui conter. Puis, l’idée de le marier la passionna, elle rêva de se dévouer, de le donner elle-même à une fille riche. Leurs rapports continuaient, un joujou de récréation, où elle mettait ses tendresses dernières de femme oisive et finie.

Deux ans s’étaient écoulés. Une nuit, monsieur Hennebeau, en entendant des pieds nus frôler sa porte, eut un soupçon. Mais cette nouvelle aventure le révoltait, chez lui, dans sa demeure, entre cette mère et ce fils ! Et, du reste, le lendemain, sa femme lui parla précisément du choix qu’elle avait fait de Cécile Grégoire pour leur neveu. Elle s’employait à ce mariage avec une telle ardeur, qu’il rougit de son imagination monstrueuse. Il garda simplement au jeune homme une reconnaissance de ce que la maison, depuis son arrivée, était moins triste.

Comme il descendait du cabinet de toilette, monsieur Hennebeau trouva justement, dans le 388

vestibule, Paul qui rentrait. Celui-ci avait l’air tout amusé par cette histoire de grève.

– Eh bien ? lui demanda son oncle.

– Eh bien, j’ai fait le tour des corons. Ils paraissent très sages, là-dedans... Je crois seulement qu’ils vont t’envoyer des délégués.

Mais, à ce moment, la voix de madame Hennebeau appela, du premier étage.

– C’est toi, Paul ?... Monte donc me donner des nouvelles. Sont-ils drôles de faire les méchants, ces gens qui sont si heureux !

Et le directeur dut renoncer à en savoir davantage, puisque sa femme lui prenait son messager. Il revint s’asseoir devant son bureau, sur lequel s’était amassé un nouveau paquet de dépêches.

À onze heures, lorsque les Grégoire arrivèrent, ils s’étonnèrent qu’Hippolyte, le valet de chambre, posé en sentinelle, les bousculât pour les introduire, après avoir jeté des regards inquiets aux deux bouts de la route. Les rideaux du salon étaient fermés, on les fit passer 389

directement dans le cabinet de travail, où monsieur Hennebeau s’excusa de les recevoir ainsi ; mais le salon donnait sur le pavé, et il était inutile d’avoir l’air de provoquer les gens.

– Comment ! vous ne savez pas ? continua-t-il, en voyant leur surprise.

Monsieur Grégoire, quand il apprit que la grève avait enfin éclaté, haussa les épaules de son air placide. Bah ! ce ne serait rien, la population était honnête. D’un hochement du menton, madame Grégoire approuvait sa confiance dans la résignation séculaire des charbonniers ; tandis que Cécile, très gaie ce jour-là, belle de santé dans une toilette de drap capucine, souriait à ce mot de grève, qui lui rappelait des visites et des distributions d’aumônes dans les corons.

Mais madame Hennebeau, suivie de Négrel, parut, toute en soie noire.

– Hein ! est-ce ennuyeux ! cria-t-elle dès la porte. Comme s’ils n’auraient pas dû attendre, ces hommes !... Vous savez que Paul refuse de nous conduire à Saint-Thomas.

390

– Nous resterons ici, dit obligeamment monsieur Grégoire. Ce sera tout plaisir.

Paul s’était contenté de saluer Cécile et sa mère. Fâchée de ce peu d’empressement, sa tante le lança d’un coup d’œil sur la jeune fille ; et, quand elle les entendit rire ensemble, elle les enveloppa d’un regard maternel.

Cependant, monsieur Hennebeau acheva de lire les dépêches et rédigea quelques réponses.

On causait près de lui, sa femme expliquait qu’elle ne s’était pas occupée de ce cabinet de travail, qui avait en effet gardé son ancien papier rouge déteint, ses lourds meubles d’acajou, ses cartonniers éraflés par l’usage. Trois quarts d’heure se passèrent, on allait se mettre à table, lorsque le valet de chambre annonça monsieur Deneulin. Celui-ci, l’air excité, entra et s’inclina devant madame Hennebeau.

– Tiens ! vous voilà ? dit-il en apercevant les Grégoire.

Et, vivement, il s’adressa au directeur.

– Ça y est donc ? Je viens de l’apprendre par 391

mon ingénieur... Chez moi, tous les hommes sont descendus, ce matin. Mais ça peut gagner. Je ne suis pas tranquille... Voyons, où en êtes-vous ?

Il accourait à cheval, et son inquiétude se trahissait dans son verbe haut et son geste cassant, qui le faisaient ressembler à un officier de cavalerie en retraite.

Monsieur Hennebeau commençait à le renseigner sur la situation exacte, lorsque Hippolyte ouvrit la porte de la salle à manger.

Alors, il s’interrompit pour dire.

– Déjeunez avec nous. Je vous continuerai ça au dessert.

– Oui, comme il vous plaira, répondit Deneulin, si plein de son idée, qu’il acceptait sans autres façons.

Il eut pourtant conscience de son impolitesse, il se tourna vers madame Hennebeau, en s’excusant. Elle fut d’ailleurs charmante. Quand elle eut fait mettre un septième couvert, elle installa ses convives : madame Grégoire et Cécile aux côtés de son mari, puis, monsieur Grégoire et 392

Deneulin à sa droite et à sa gauche ; enfin, Paul, qu’elle plaça entre la jeune fille et son père.

Comme on attaquait les hors-d’œuvre, elle reprit avec un sourire :

– Vous m’excuserez, je voulais vous donner des huîtres... Le lundi, vous savez qu’il y a un arrivage d’Ostende à Marchiennes, et j’avais projeté d’envoyer la cuisinière avec la voiture...

Are sens

Copyright 2023-2059 MsgBrains.Com