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Elle se retrouvait devant chez elle. Ses jambes ne la portaient plus, et elle rentra.

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Personne n’avait bougé. Maheu était toujours au bord de la table, abattu. Le vieux Bonnemort et les petits se serraient sur le banc, pour avoir moins froid. Et on ne s’était pas dit une parole, seule la chandelle avait brûlé, si courte, que la lumière elle-même bientôt leur manquerait. Au bruit de la porte, les enfants tournèrent la tête ; mais, en voyant que la mère ne rapportait rien, ils se remirent à regarder par terre, renfonçant une grosse envie de pleurer, de peur qu’on ne les grondât. La Maheude était retombée à sa place, près du feu mourant. On ne la questionna point, le silence continua. Tous avaient compris, ils jugeaient inutile de se fatiguer encore à causer ; et c’était maintenant une attente anéantie, sans courage, l’attente dernière du secours qu’Étienne, peut-être, allait déterrer quelque part. Les minutes s’écoulaient, ils finissaient par ne plus y compter.

Lorsque Étienne reparut, il avait, dans un torchon, une douzaine de pommes de terre, cuites et refroidies.

– Voilà tout ce que j’ai trouvé, dit-il.

Chez la Mouquette, le pain manquait 507

également : c’était son dîner qu’elle lui avait mis de force dans ce torchon, en le baisant de tout son cœur.

– Merci, répondit-il à la Maheude qui lui offrait sa part. J’ai mangé là-bas.

Il mentait, il regardait d’un air sombre les enfants se jeter sur la nourriture. Le père et la mère, eux aussi, se retenaient, afin d’en laisser davantage ; mais le vieux, goulûment, avalait tout. On dut lui reprendre une pomme de terre pour Alzire.

Alors, Étienne dit qu’il avait appris des nouvelles. La Compagnie, irritée de l’entêtement des grévistes, parlait de rendre leurs livrets aux mineurs compromis. Elle voulait la guerre, décidément. Et un bruit plus grave circulait, elle se vantait d’avoir décidé un grand nombre d’ouvriers à redescendre : le lendemain, la Victoire et Feutry-Cantel devaient être au complet ; même il y aurait, à Madeleine et à Mirou, un tiers des hommes. Les Maheu furent exaspérés.

– Nom de Dieu ! cria le père, s’il y a des 508

traîtres, faut régler leur compte !

Et, debout, cédant à l’emportement de sa souffrance :

– À demain soir, dans la forêt !... Puisqu’on nous empêche de nous entendre au Bon-Joyeux, c’est dans la forêt que nous serons chez nous.

Ce cri avait réveillé le vieux Bonnemort, que sa gloutonnerie assoupissait. C’était le cri ancien de ralliement, le rendez-vous où les mineurs de jadis allaient comploter leur résistance aux soldats du roi.

– Oui, oui, à Vandame ! J’en suis, si l’on va là-bas !

La Maheude eut un geste énergique.

– Nous irons tous. Ça finira, ces injustices et ces traîtrises.

Étienne décida que le rendez-vous serait donné à tous les corons, pour le lendemain soir.

Mais le feu était mort, comme chez les Levaque, et la chandelle brusquement s’éteignit. Il n’y avait plus de houille, plus de pétrole, il fallut se 509

coucher à tâtons, dans le grand froid qui pinçait la peau. Les petits pleuraient.

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VI

Jeanlin, guéri, marchait à présent ; mais ses jambes étaient si mal recollées, qu’il boitait de la droite et de la gauche ; et il fallait le voir filer d’un train de canard, courant aussi fort qu’autrefois, avec son adresse de bête malfaisante et voleuse.

Ce soir-là, au crépuscule, sur la route de Réquillart, Jeanlin, accompagné de ses inséparables, Bébert et Lydie, faisait le guet. Il s’était embusqué dans un terrain vague, derrière une palissade, en face d’une épicerie borgne, plantée de travers à l’encoignure d’un sentier.

Une vieille femme, presque aveugle, y étalait trois ou quatre sacs de lentilles et de haricots, noirs de poussière ; et c’était une antique morue sèche, pendue à la porte, chinée de chiures de mouche, qu’il couvait de ses yeux minces. Déjà deux fois, il avait lancé Bébert, pour aller la 511

décrocher. Mais, chaque fois, du monde avait paru, au coude du chemin. Toujours des gêneurs, on ne pouvait pas faire ses affaires !

Un monsieur à cheval déboucha, et les enfants s’aplatirent au pied de la palissade, en reconnaissant monsieur Hennebeau. Souvent, on le voyait ainsi par les routes, depuis la grève, voyageant seul au milieu des corons révoltés, mettant un courage tranquille à s’assurer en personne de l’état du pays. Et jamais une pierre n’avait sifflé à ses oreilles, il ne rencontrait que des hommes silencieux et lents à le saluer, il tombait le plus souvent sur des amoureux, qui se moquaient de la politique et se bourraient de plaisir, dans les coins. Au trot de sa jument, la tête droite pour ne déranger personne, il passait, tandis que son cœur se gonflait d’un besoin inassouvi, à travers cette goinfrerie des amours libres. Il aperçut parfaitement les galopins, les petits sur la petite, en tas. Jusqu’aux marmots qui déjà s’égayaient à frotter leur misère ! Ses yeux s’étaient mouillés, il disparut, raide sur la selle, militairement boutonné dans sa redingote.

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– Foutu sort ! dit Jeanlin, ça ne finira pas...

Vas-y, Bébert ! tire sur la queue !

Mais deux hommes, de nouveau, arrivaient, et l’enfant étouffa encore un juron, quand il entendit la voix de son frère Zacharie, en train de raconter à Mouquet comment il avait découvert une pièce de quarante sous, cousue dans une jupe de sa femme. Tous deux ricanaient d’aise, en se tapant sur les épaules. Mouquet eut l’idée d’une grande partie de crosse pour le lendemain : on partirait à deux heures de l’Avantage, on irait du côté de Montoire, près de Marchiennes. Zacharie accepta.

Qu’est-ce qu’on avait à les embêter avec la grève ? autant rigoler, puisqu’on ne fichait rien !

Et ils tournaient le coin de la route, lorsque Étienne, qui venait du canal, les arrêta et se mit à causer.

– Est-ce qu’ils vont coucher ici ? reprit Jeanlin exaspéré. V’là la nuit, la vieille rentre ses sacs.

Un autre mineur descendait vers Réquillart.

Étienne s’éloigna avec lui ; et, comme ils passaient devant la palissade, l’enfant les entendit parler de la forêt : on avait dû remettre le rendez-513

vous au lendemain, par crainte de ne pouvoir avertir en un jour tous les corons.

– Dites donc, murmura-t-il à ses deux camarades, la grande machine est pour demain.

Faut en être. Hein ? nous filerons, l’après-midi.

Et, la route enfin étant libre, il lança Bébert.

– Hardi ! tire sur la queue !... Et méfie-toi, la vieille a son balai. Heureusement, la nuit se faisait noire. Bébert, d’un bond, s’était pendu à la morue, dont la ficelle cassa. Il prit sa course, en l’agitant comme un cerf-volant, suivi par les deux autres, galopant tous les trois. L’épicière, étonnée, sortit de sa boutique, sans comprendre, sans pouvoir distinguer ce troupeau qui se perdait dans les ténèbres.

Ces vauriens finissaient par être la terreur du pays. Ils l’avaient envahi peu à peu, ainsi qu’une horde sauvage. D’abord, ils s’étaient contentés du carreau du Voreux, se culbutant dans le stock de charbon, d’où ils sortaient pareils à des nègres, faisant des parties de cache-cache parmi la provision des bois, au travers de laquelle ils se perdaient, comme au fond d’une forêt vierge.

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Puis, ils avaient pris d’assaut le terri, ils en descendaient sur leur derrière les parties nues, bouillantes encore des incendies intérieurs, ils se glissaient parmi les ronces des parties anciennes, cachés la journée entière, occupés à des petits jeux tranquilles de souris polissonnes. Et ils élargissaient toujours leurs conquêtes, allaient se battre au sang dans les tas de briques, couraient les prés en mangeant sans pain toutes sortes d’herbes laiteuses, fouillaient les berges du canal pour prendre des poissons de vase qu’ils avalaient crus, et poussaient plus loin, et voyageaient à des kilomètres, jusqu’aux futaies de Vandaine, sous lesquelles ils se gorgeaient de fraises au printemps, de noisettes et de myrtilles en été. Bientôt l’immense plaine leur avait appartenu.

Mais ce qui les lançait ainsi, de Montsou à Marchiennes, sans cesse par les chemins, avec des yeux de jeunes loups, c’était un besoin croissant de maraude. Jeanlin restait le capitaine de ces expéditions, jetant la troupe sur toutes les proies, ravageant les champs d’oignons, pillant les vergers, attaquant les étalages. Dans le pays, 515

on accusait les mineurs en grève, on parlait d’une vaste bande organisée. Un jour même, il avait forcé Lydie à voler sa mère, il s’était fait apporter par elle deux douzaines de sucres d’orge que la Pierronne tenait dans un bocal, sur une des planches de sa fenêtre ; et la petite, rouée de coups, ne l’avait pas trahi, tellement elle tremblait devant son autorité. Le pis était qu’il se taillait la part du lion. Bébert, également, devait lui remettre le butin, heureux si le capitaine ne le giflait pas, pour garder tout.

Depuis quelque temps, Jeanlin abusait. Il battait Lydie comme on bat une femme légitime, et il profitait de la crédulité de Bébert pour l’engager dans des aventures désagréables, très amusé de faire tourner en bourrique ce gros garçon, plus fort que lui, qui l’aurait assommé d’un coup de poing. Il les méprisait tous les deux, les traitait en esclaves, leur racontait qu’il avait pour maîtresse une princesse, devant laquelle ils étaient indignes de se montrer. Et, en effet, il y avait huit jours qu’il disparaissait brusquement, au bout d’une rue, au tournant d’un sentier, n’importe où il se trouvait, après leur avoir 516

ordonné, l’air terrible, de rentrer au coron.

D’abord, il empochait le butin.

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