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Levaque, qui avait trouvé une lime, l’agitait comme un poignard, dominant le tumulte d’un cri terrible :

– Coupons les câbles ! coupons les câbles !

Tous le répétèrent bientôt, seuls, Étienne et 619

Maheu continuaient à protester, étourdis, parlant dans le tumulte, sans obtenir le silence. Enfin, le premier put dire :

– Mais il y a des hommes au fond, camarades !

Le vacarme redoubla, des voix partaient de toutes parts.

– Tant pis ! fallait pas descendre !... C’est bien fait pour les traîtres !... Oui, oui, qu’ils y restent !... Et puis, ils ont les échelles !

Alors, quand cette idée des échelles les eut fait s’entêter davantage, Étienne comprit qu’il devait céder. Dans la crainte d’un plus grand désastre, il se précipita vers la machine, voulant au moins remonter les cages, pour que les câbles, sciés au-dessus du puits, ne pussent les broyer de leur poids énorme, en tombant sur elles. Le machineur avait disparu, ainsi que les quelques ouvriers du jour ; et il s’empara de la barre de mise en train, il manœuvra, pendant que Levaque et deux autres grimpaient à la charpente de fonte, qui supportait les molettes. Les cages étaient à peine fixées sur les verrous qu’on entendit le bruit strident de la lime mordant l’acier. Il se fit un grand silence, ce 620

bruit sembla emplir la fosse entière, tous levaient la tête, regardaient, écoutaient, saisis d’émotion.

Au premier rang, Maheu se sentait gagner d’une joie farouche, comme si les dents de la lime les eussent délivrés du malheur, en mangeant le câble d’un de ces trous de misère, où l’on ne descendrait plus.

Mais la Brûlé avait disparu par l’escalier de la baraque, en hurlant toujours :

– Faut renverser les feux ! aux chaudières !

aux chaudières !

Des femmes la suivaient. La Maheude se hâta pour les empêcher de tout casser, de même que son homme avait voulu raisonner les camarades.

Elle était la plus calme, on pouvait exiger son droit, sans faire du dégât chez le monde.

Lorsqu’elle entra dans le bâtiment des chaudières, les femmes en chassaient déjà les deux chauffeurs, et la Brûlé, armée d’une grande pelle, accroupie devant un des foyers, le vidait violemment, jetait le charbon incandescent sur le carreau de briques, où il continuait à brûler avec une fumée noire. Il y avait dix foyers pour les 621

cinq générateurs. Bientôt, les femmes s’y acharnèrent, la Levaque manœuvrant sa pelle des deux mains, la Mouquette se retroussant jusqu’aux cuisses afin de ne pas s’allumer, toutes sanglantes dans le reflet d’incendie, suantes et échevelées de cette cuisine de sabbat. Les tas de houille montaient, la chaleur ardente gerçait le plafond de la vaste salle.

– Assez donc ! cria la Maheude. La cambuse flambe.

– Tant mieux ! répondit la Brûlé. Ce sera de la besogne faite... Ah ! nom de Dieu ! je disais bien que je leur ferais payer la mort de mon homme !

À ce moment, on entendit la voix aiguë de Jeanlin.

– Attention ! je vas éteindre, moi ! je lâche tout !

Entré un des premiers, il avait gambillé au travers de la cohue, enchanté de cette bagarre, cherchant ce qu’il pourrait faire de mal ; et l’idée lui était venue de tourner les robinets de décharge, pour lâcher la vapeur. Les jets partirent 622

avec la violence de coups de feu, les cinq chaudières se vidèrent d’un souffle de tempête, sifflant dans un tel grondement de foudre, que les oreilles en saignaient. Tout avait disparu au milieu de la vapeur, le charbon pâlissait, les femmes n’étaient plus que des ombres aux gestes cassés. Seul, l’enfant apparaissait, monté sur la galerie, derrière les tourbillons de buée blanche, l’air ravi, la bouche fendue par la joie d’avoir déchaîné cet ouragan.

Cela dura près d’un quart d’heure. On avait lancé quelques seaux d’eau sur les tas, pour achever de les éteindre : toute menace d’incendie était écartée. Mais la colère de la foule ne tombait pas, fouettée au contraire. Des hommes descendaient avec des marteaux, les femmes elles-mêmes s’armaient de barres de fer ; et l’on parlait de crever les générateurs, de briser les machines, de démolir la fosse.

Étienne, prévenu, se hâta d’accourir avec Maheu. Lui-même se grisait, emporté dans cette fièvre chaude de revanche. Il luttait pourtant, il les conjurait d’être calmes, maintenant que les 623

câbles coupés, les feux éteints, les chaudières vidées rendaient le travail impossible. On ne l’écoutait toujours pas, il allait être débordé de nouveau, lorsque des huées s’élevèrent dehors, à une petite porte basse, où débouchait le goyot des échelles.

– À bas les traîtres !... Oh ! les sales gueules de lâches !... À bas ! à bas !

C’était la sortie des ouvriers du fond qui commençait. Les premiers, aveuglés par le grand jour, restaient là, à battre des paupières. Puis, ils défilèrent, tâchant de gagner la route et de fuir.

– À bas les lâches ! à bas les faux frères !

Toute la bande des grévistes était accourue. En moins de trois minutes, il ne resta pas un homme dans les bâtiments, les cinq cents de Montsou se rangèrent sur deux files, pour forcer à passer entre cette double haie ceux de Vandame qui avaient eu la traîtrise de descendre. Et, à chaque nouveau mineur apparaissant sur la porte du goyot, avec les vêtements en loques et la boue noire du travail, les huées redoublaient, des blagues féroces l’accueillaient : oh ! celui-là, trois 624

pouces de jambes, et le cul tout de suite ! et celui-ci, le nez mangé par les garces du Volcan ! et cet autre, dont les yeux pissaient de la cire à fournir dix cathédrales ! et cet autre, le grand sans fesses, long comme un carême ! Une herscheuse qui déboula, énorme, la gorge dans le ventre et le ventre dans le derrière, souleva un rire furieux.

On voulait toucher, les plaisanteries s’aggravaient, tournaient à la cruauté, des coups de poing allaient pleuvoir ; pendant que le défilé des pauvres diables continuait, grelottants, silencieux sous les injures, attendant les coups d’un regard oblique, heureux quand ils pouvaient enfin galoper hors de la fosse.

– Ah çà ! combien sont-ils, là-dedans ?

demanda Étienne.

Il s’étonnait d’en voir sortir toujours, il s’irritait à l’idée qu’il ne s’agissait pas de quelques ouvriers, pressés par la faim, terrorisés par les porions. On lui avait donc menti, dans la forêt ? presque tout Jean-Bart était descendu.

Mais un cri lui échappa, il se précipita, en apercevant Chaval debout sur le seuil.

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– Nom de Dieu ! c’est à ce rendez-vous que tu nous fais venir ?

Des imprécations éclataient, il y eut une poussée pour se jeter sur le traître. Eh quoi ! il avait juré avec eux, la veille, et on le trouvait au fond, en compagnie des autres ? C’était donc pour se foutre du monde !

– Enlevez-le ! au puits ! au puits !

Chaval, blême de peur, bégayait, cherchait à s’expliquer. Mais Étienne lui coupait la parole, hors de lui, pris de la fureur de la bande.

– Tu as voulu en être, tu en seras... Allons ! en marche, bougre de mufle !

Une autre clameur couvrit sa voix. Catherine, à son tour, venait de paraître, éblouie dans le clair soleil, effarée de tomber au milieu de ces sauvages. Et, les jambes cassées des cent deux échelles, les paumes saignantes, elle soufflait, lorsque la Maheude, en la voyant, s’élança, la main haute.

– Ah ! salope, toi aussi !... Quand ta mère crève de faim, tu la trahis pour ton maquereau !

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Maheu retint le bras, empêcha la gifle. Mais il secouait sa fille, il s’enrageait comme sa femme à lui reprocher sa conduite, tous les deux perdant la tête, criant plus fort que les camarades.

La vue de Catherine avait achevé d’exaspérer Étienne. Il répétait :

– En route ! aux autres fosses ! et tu viens avec nous, sale cochon !

Chaval eut à peine le temps de reprendre ses sabots à la baraque, et de jeter son tricot de laine sur ses épaules glacées. Tous l’entraînaient, le forçaient à galoper au milieu d’eux. Éperdue, Catherine remettait également ses sabots, boutonnait à son cou la vieille veste d’homme dont elle se couvrait depuis le froid ; et elle courut derrière son galant, elle ne voulait pas le quitter, car on allait le massacrer, bien sûr.

Alors, en deux minutes, Jean-Bart se vida.

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