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Souvent, il y avait des hommes qui prenaient des femmes, pour les avoir, en se fichant de leur bonheur à elles. Ses larmes coulaient plus chaudes, cela la désespérait maintenant, de 597

songer à la bonne vie qu’elle mènerait, si elle était tombée sur un autre garçon, dont elle aurait senti toujours le bras passé ainsi à sa taille. Un autre ? et l’image vague de cet autre se dressait dans sa grosse émotion. Mais c’était fini, elle n’avait plus que le désir de vivre jusqu’au bout avec celui-là, s’il voulait seulement ne pas la bousculer si fort.

– Alors, dit-elle, tâche donc d’être comme ça de temps en temps.

Des sanglots lui coupèrent la parole, et il l’embrassa de nouveau.

– Es-tu bête !... Tiens ! je jure d’être gentil. On n’est pas plus méchant qu’un autre, va !

Elle le regardait, elle recommençait à sourire dans ses larmes. Peut-être qu’il avait raison, on n’en rencontrait guère, des femmes heureuses.

Puis, bien qu’elle se défiât de son serment, elle s’abandonnait à la joie de le voir aimable. Mon Dieu ! si cela avait pu durer ! Tous deux s’étaient repris ; et, comme ils se serraient d’une longue étreinte, des pas les firent se mettre debout. Trois camarades, qui les avaient vus passer, arrivaient 598

pour savoir.

On repartit ensemble. Il était près de dix heures, et l’on déjeuna dans un coin frais, avant de se remettre à suer au fond de la taille. Mais ils achevaient la double tartine de leur briquet, ils allaient boire une gorgée de café à leur gourde, lorsqu’une rumeur, venue des chantiers lointains, les inquiéta. Quoi donc ? était-ce un accident encore ? Ils se levèrent, ils coururent. Des haveurs, des herscheuses, des galibots les croisaient à chaque instant ; et aucun ne savait, tous criaient, ça devait être un grand malheur.

Peu à peu, la mine entière s’effarait, des ombres affolées débouchaient des galeries, les lanternes dansaient, filaient dans les ténèbres. Où était-ce ?

pourquoi ne le disait-on pas ?

Tout d’un coup, un porion passa en criant :

– On coupe les câbles ! on coupe les câbles !

Alors, la panique souffla. Ce fut un galop furieux au travers des voies obscures. Les têtes se perdaient. À propos de quoi coupait-on les câbles ? et qui les coupait, lorsque les hommes étaient au fond ? Cela paraissait monstrueux.

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Mais la voix d’un autre porion éclata, puis se perdit.

– Ceux de Montsou coupent les câbles ! Que tout le monde sorte !

Quand il eut compris, Chaval arrêta net Catherine. L’idée qu’il rencontrerait là-haut ceux de Montsou, s’il sortait, lui engourdissait les jambes. Elle était donc venue, cette bande qu’il croyait aux mains des gendarmes ! Un instant, il songea à rebrousser chemin et à remonter par Gaston-Marie ; mais la manœuvre ne s’y faisait plus. Il jurait, hésitant, cachant sa peur, répétant que c’était bête de courir comme ça. On n’allait pas les laisser au fond, peut-être !

La voix du porion retentit de nouveau, se rapprocha.

– Que tout le monde sorte ! Aux échelles ! aux échelles !

Et Chaval fut emporté avec les camarades. Il bouscula Catherine, il l’accusa de ne pas courir assez fort. Elle voulait donc qu’ils restassent seuls dans la fosse, à crever de faim ? car les 600

brigands de Montsou étaient capables de casser les échelles, sans attendre que le monde fût sorti.

Cette supposition abominable acheva de les détraquer tous, il n’y eut plus, le long des galeries, qu’une débandade enragée, une course de fous à qui arriverait le premier, pour remonter avant les autres. Des hommes criaient que les échelles étaient cassées, que personne ne sortirait.

Et, quand ils commencèrent à déboucher par groupes épouvantés dans la salle d’accrochage, ce fut un véritable engouffrement : ils se jetaient vers le puits, ils s’écrasaient à l’étroite porte du goyot des échelles ; tandis qu’un vieux palefrenier, qui venait prudemment de faire rentrer les chevaux à l’écurie, les regardait d’un air de dédaigneuse insouciance, habitué aux nuits passées dans la fosse, certain qu’on le tirerait toujours de là.

– Nom de Dieu ! veux-tu monter devant moi !

dit Chaval à Catherine. Au moins, je te tiendrai, si tu tombes.

Ahurie, suffoquée par cette course de trois kilomètres qui l’avait encore une fois trempée de 601

sueur, elle s’abandonnait, sans comprendre, aux remous de la foule. Alors, il la tira par le bras, à le lui briser ; et elle jeta une plainte, ses larmes jaillirent : déjà il oubliait son serment, jamais elle ne serait heureuse.

– Passe donc ! hurla-t-il.

Mais il lui faisait trop peur. Si elle montait devant lui, tout le temps il la brutaliserait. Aussi résistait-elle, pendant que le flot éperdu des camarades les repoussait de côté. Les filtrations du puits tombaient à grosses gouttes, et le plancher de l’accrochage, ébranlé par le piétinement, tremblait au-dessus du bougnoul du puisard vaseux, profond de dix mètres.

Justement, c’était à Jean-Bart, deux ans plus tôt, qu’un terrible accident, la rupture d’un câble, avait culbuté la cage au fond du bougnoul dans lequel deux hommes s’étaient noyés. Et tous y songeaient, on allait tous y rester, si l’on s’entassait sur les planches.

– Sacrée tête de pioche ! cria Chaval, crève donc, je serai débarrassé !

Il monta, et elle le suivit.

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Du fond au jour, il y avait cent deux échelles, d’environ sept mètres, posées chacune sur un étroit palier qui tenait la largeur du goyot, et dans lequel un trou carré permettait à peine le passage des épaules. C’était comme une cheminée plate, de sept cents mètres de hauteur, entre la paroi du puits et la cloison du compartiment d’extraction, un boyau humide, noir et sans fin, où les échelles se superposaient, presque droites, par étages réguliers. Il fallait vingt-cinq minutes à un homme solide pour gravir cette colonne géante.

D’ailleurs, le goyot ne servait plus que dans les cas de catastrophe.

Catherine, d’abord, monta gaillardement. Ses pieds nus étaient faits à l’escaillage tranchant des voies et ne souffraient pas des échelons carrés, recouverts d’une tringle de fer, qui empêchait l’usure. Ses mains, durcies par le roulage, empoignaient sans fatigue les montants trop gros pour elles. Et même cela l’occupait, la sortait de son chagrin, cette montée imprévue, ce long serpent d’hommes se coulant, se hissant, trois par échelle, si bien que la tête déboucherait au jour, lorsque la queue traînerait encore sur le bougnou.

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On n’en était pas là, les premiers devaient se trouver à peine au tiers du puits. Personne ne parlait plus, seuls les pieds roulaient avec un bruit sourd ; tandis que les lampes, pareilles à des étoiles voyageuses, s’espaçaient de bas en haut, en une ligne toujours grandissante.

Derrière elle, Catherine entendit un galibot compter les échelles. Cela lui donna l’idée de les compter aussi. On en avait déjà monté quinze, et l’on arrivait à un accrochage. Mais, au même instant, elle se heurta dans les jambes de Chaval.

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