Il y eut des poussées et des grondements dans la foule. Étienne finit par se détacher, en disant :
– Monsieur, nous ne venons pas vous faire du mal. Mais il faut que le travail cesse partout.
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Deneulin le traita carrément d’imbécile.
– Est-ce que vous croyez que vous allez me faire du bien, si vous arrêtez le travail chez moi ?
C’est comme si vous me tiriez un coup de fusil dans le dos, à bout portant... Oui, mes hommes sont au fond, et ils ne remonteront pas, ou il faudra que vous m’assassiniez d’abord !
Cette rudesse de parole souleva une clameur.
Maheu dut retenir Levaque, qui se précipitait, menaçant, pendant qu’Étienne parlementait toujours, cherchant à convaincre Deneulin de la légitimité de leur action révolutionnaire. Mais celui-ci répondait par le droit au travail.
D’ailleurs, il refusait de discuter ces bêtises, il voulait être le maître chez lui. Son seul remords était de n’avoir pas là quatre gendarmes pour balayer cette canaille.
– Parfaitement, c’est ma faute, je mérite ce qui m’arrive. Avec des gaillards de votre espèce, il n’y a que la force. C’est comme le gouvernement qui s’imagine vous acheter par des concessions.
Vous le flanquerez à bas, voilà tout, quand il vous aura fourni des armes.
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Étienne, frémissant, se contenait encore. Il baissa la voix.
– Je vous en prie, monsieur, donnez l’ordre qu’on remonte vos ouvriers. Je ne réponds pas d’être maître de mes camarades. Vous pouvez éviter un malheur.
– Non, fichez-moi la paix ! Est-ce que je vous connais ? Vous n’êtes pas de mon exploitation, vous n’avez rien à débattre avec moi... Il n’y a que des brigands qui courent ainsi la campagne pour piller les maisons.
Des vociférations maintenant couvraient sa voix, les femmes surtout l’insultaient. Et lui, continuant à leur tenir tête, éprouvait un soulagement, dans cette franchise qui vidait son cœur d’autoritaire. Puisque c’était la ruine de toute façon, il trouvait lâches les platitudes inutiles. Mais leur nombre augmentait toujours, près de cinq cents déjà se ruaient vers la porte, et il allait se faire écharper, lorsque son maître-porion le tira violemment en arrière.
– De grâce, Monsieur !... Ça va être un massacre. À quoi bon faire tuer des hommes pour 617
rien ?
Il se débattait, il protesta, dans un dernier cri, jeté à la foule.
– Tas de bandits, vous verrez ça, quand nous serons redevenus les plus forts !
On l’emmenait, une bousculade venait de jeter les premiers de la bande contre l’escalier, dont la rampe fut tordue. C’étaient les femmes qui poussaient, glapissantes, excitant les hommes. La porte céda, tout de suite, une porte sans serrure, fermée simplement au loquet. Mais l’escalier était trop étroit, la cohue, écrasée, n’aurait pu entrer de longtemps, si la queue des assiégeants n’avait pris le parti de passer par les autres ouvertures. Alors, il en déborda de tous côtés, de la baraque, du criblage, du bâtiment des chaudières. En moins de cinq minutes, la fosse entière leur appartint, ils en battaient les trois étages, au milieu d’une fureur de gestes et de cris, emportés dans l’élan de leur victoire sur ce patron qui résistait.
Maheu, effrayé, s’était élancé un des premiers, en disant à Étienne :
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– Faut pas qu’ils le tuent !
Celui-ci courait déjà ; puis, quand il eut compris que Deneulin s’était barricadé dans la chambre des porions, il répondit :
– Après ? est-ce que ce serait de notre faute ?
Un enragé pareil !
Cependant, il était plein d’inquiétude, trop calme encore pour céder à ce coup de colère. Il souffrait aussi dans son orgueil de chef, en voyant la bande échapper à son autorité, s’enrager en dehors de la froide exécution des volontés du peuple, telle qu’il l’avait prévue.
Vainement, il réclamait du sang-froid, il criait qu’on ne devait pas donner raison à leurs ennemis par des actes de destruction inutile.
– Aux chaudières ! hurlait la Brûlé. Éteignons les feux !
Levaque, qui avait trouvé une lime, l’agitait comme un poignard, dominant le tumulte d’un cri terrible :
– Coupons les câbles ! coupons les câbles !
Tous le répétèrent bientôt, seuls, Étienne et 619
Maheu continuaient à protester, étourdis, parlant dans le tumulte, sans obtenir le silence. Enfin, le premier put dire :
– Mais il y a des hommes au fond, camarades !
Le vacarme redoubla, des voix partaient de toutes parts.
– Tant pis ! fallait pas descendre !... C’est bien fait pour les traîtres !... Oui, oui, qu’ils y restent !... Et puis, ils ont les échelles !
Alors, quand cette idée des échelles les eut fait s’entêter davantage, Étienne comprit qu’il devait céder. Dans la crainte d’un plus grand désastre, il se précipita vers la machine, voulant au moins remonter les cages, pour que les câbles, sciés au-dessus du puits, ne pussent les broyer de leur poids énorme, en tombant sur elles. Le machineur avait disparu, ainsi que les quelques ouvriers du jour ; et il s’empara de la barre de mise en train, il manœuvra, pendant que Levaque et deux autres grimpaient à la charpente de fonte, qui supportait les molettes. Les cages étaient à peine fixées sur les verrous qu’on entendit le bruit strident de la lime mordant l’acier. Il se fit un grand silence, ce 620
bruit sembla emplir la fosse entière, tous levaient la tête, regardaient, écoutaient, saisis d’émotion.
Au premier rang, Maheu se sentait gagner d’une joie farouche, comme si les dents de la lime les eussent délivrés du malheur, en mangeant le câble d’un de ces trous de misère, où l’on ne descendrait plus.